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Policy Brief
Le système éducatif est au cœur de tous les débats. Normal, l’École pose les fondations des sociétés futures car elle est déterminante pour notre prospérité future qui dépend largement des compétences et des connaissances que le système scolaire inculque aujourd’hui aux élèves. Cette année, le Maroc a accueilli dans ses écoles et universités un peu plus de neuf millions d’élèves et d’étudiants répartis entre les différents cycles de l’enseignement. Pour accueillir ces effectifs, l’État consent, chaque année, un effort financier substantiel à l’ensemble du système éducatif. Le niveau moyen de nos élèves serait parmi les plus faibles des pays de la région. Cette situation n’est ni viable ni acceptable. Circonstance aggravante, notre enseignement consomme de la ressource. Quelle que soit la réalité et quelles qu'en soient les causes, le jugement est rude.
Notre politique éducative oscille - au gré des conjonctures et des alternances - entre des moments de mise à plat de tous les problèmes éducatifs, qui ne dictent que rarement une ligne politique claire, et des retours sporadiques à des décisions prises de façon assez autoritaire, pour répondre, par exemple, à une crise budgétaire ou à un mouvement social. Ces fluctuations perturbent la mise en œuvre de la réforme. Toutes les sociétés, même les plus développées, sont constamment à la recherche de mécanismes stabilisateurs des politiques de l’éducation, car elles ont compris qu’une succession de réformes sans lendemain ne tenait pas lieu de réponse aux problèmes endémiques du système éducatif. Il importe que notre système apprenne à gérer intelligemment les réformes. Le pilotage du changement reste un art difficile, qui se heurte à des obstacles et passe par l’invention de formes institutionnelles originales.
La réforme du système éducatif ne peut se décréter ni être réductible à une simple augmentation des dépenses publiques. Les changements passent par une évolution des représentations, des identités, des compétences, des comportements professionnels et de l’organisation institutionnelle. Il est alors indispensable, pour que le changement programmé ne soit pas un faux-semblant, de se concerter sur son contenu avec les acteurs, pour emporter l’adhésion du plus grand nombre. Il reste à trouver les méthodes et les mécanismes qui produiraient une politique éducative à la fois négociée et forte.
Des dépenses substantielles et des réformes récurrentes, pour un rendement limité
En 2023, l’État a dépensé 90,6 milliards MAD dans le domaine de l'éducation, soit près de 6% du PIB. Ce montant représente près de 12 % du budget de l'État. En comparaison, notre pays dépense environ 17,7 milliards pour sa politique de l’équipement et de l’eau et 19,5 pour sa politique agricole et de la pêche maritime. Le budget de l’Éducation nationale progresse plus vite que le budget de l’État. L'État assure ainsi, pour employer le jargon des économistes, une externalité positive, en offrant aux individus de meilleures chances d'intégration sociale et professionnelle, et aux entreprises un accès à des ressources en main-d’œuvre.
Le Maroc dépense plus pour l’éducation, en pourcentage du PIB, que de nombreux pays situés dans sa tranche de revenus. Pour des performances moindres. Les comparaisons internationales, si utiles soient-elles, sont périlleuses en la matière. Elles souffrent souvent d’une faiblesse méthodologique, oubliant le poids de l’histoire, les différences de structures des systèmes et des paramètres comportementaux. Il n’empêche que le déficit en efficacité de la dépense nationale dans l’éducation est réel quand on le mesure par l’échec scolaire, les abandons et le chômage des diplômés. L'amélioration des performances du système éducatif passe certes par un accroissement des crédits qui lui sont consacrés. Mais elle dépend aussi d'une rénovation profonde de ses structures, de ses méthodes, de son mode de fonctionnement. En une cruelle ritournelle, il se dit de toutes parts et depuis fort longtemps que notre système éducatif va mal. Pourtant, le système est l’objet d’un processus de réforme entamé depuis plus d’un quart de siècle.
La Charte nationale d’éducation et de formation qui, rappelons-le, repose sur un consensus national fort, a fait des années 2000 la « Décennie de l'éducation et de la formation ». La stratégie préconisée s’est donnée comme objectif, d’une part, l’accroissement de l’efficacité des prestations du système, l’amélioration de sa gestion et la répartition équitable de son offre en vue d’instaurer une égalité des chances entre milieux et genres, tout en accentuant les efforts sur les zones défavorisées et en ciblant les communautés à besoins spécifiques. D’autre part, elle a visé une réactivité adéquate du système par rapport aux besoins en ressources humaines exprimés par les différents secteurs de l’économie et de la société. Ainsi, notre pays aspirait à atteindre des normes internationales en matière de qualité de l’éducation. Le bilan des réalisations de la réforme reste mitigé malgré les efforts déployés et en dépit des avancées constatées dans certains domaines.
Le Programme d’urgence Éducation-Formation (2009-2011), assez audacieux, couvrant la période 2009-2012, a été formulé pour accélérer le processus de la réforme entamée en 2000. Le principe directeur de ce programme consistait à placer l’apprenant au cœur du système d’éducation et de formation et mettre tous les leviers de la réforme à son service. Le programme d’action proposé répondait à quatre objectifs clés : rendre effective l’obligation de la scolarité jusqu’à l’âge de 15 ans, stimuler l’initiative et l’excellence au lycée et à l’université, affronter les problématiques transversales du système, et se donner les moyens de le réussir est une condition déterminante. Toutefois, l'accomplissement des objectifs du Programme d’urgence a été contraint par les limites dans l’efficacité de l’absorption des ressources et par les déficiences institutionnelles dans le soutien à l'exécution de la réforme. Il a échoué dans la résolution des problématiques transversales du système, la stimulation de l’initiative et l’excellence au lycée et à l’université.
La vision stratégique de la réforme 2015-2030, définie par le Conseil supérieur de l’éducation, a rencontré de fortes résistances pour traduire concrètement ses principes fondateurs d’équité et d’égalité et promouvoir une dynamique qualitative au développement de l’éducation. L’élaboration de la loi-cadre sur la réforme du système d’éducation, de formation et de recherche scientifique a peiné à définir le cadre et des projets en conformité avec l’impératif de réformer l’école, en réponse aux questions stratégiques telles que la gouvernance, l’autonomie, les fonctions de l’école et son rôle dans la cohésion sociale
Un bilan de ce processus est contrasté, avec des avancées et des dysfonctionnements persistants. L'accroissement de l'offre d'éducation a rendu possibles des avancées quantitatives vers l’obligation de scolarité jusqu’à 5 ans et la réduction des écarts de taux de scolarisation entre milieux et genres. Ainsi, avec un taux de scolarisation de plus de 90 % au primaire, le système éducatif s'est rapproché de l'objectif de généralisation et la marche vers l'obligation de scolarité jusqu'à 15 ans est bien engagée. Cette généralisation de l’enseignement s'est accompagnée d'une résorption significative des écarts de taux de scolarisation, aussi bien entre milieux qu'entre genres. De telles avancées quantitatives ont été rendues possibles par l'accroissement de l'offre d'éducation et la création nette de milliers de postes d'enseignants. Mais malgré l’effort déployé, le système n’en continue pas moins d’avoir des difficultés à intégrer de manière durable les enfants de zones rurales enclavées et les enfants à besoins spécifiques. Le parcours éducatif des apprenants poussant trop souvent à une certaine propension au redoublement ou à l'abandon scolaire : seuls environ 50 % des élèves achèvent le cycle collégial.
Des taux qui renseignent sur l’inadéquation de l'école à son environnement ou la mauvaise qualité des infrastructures. Des grandes orientations de la politique de l’éducation, celle de la généralisation de la scolarisation semble la plus avancée mais, les rendements interne et externe du système de l’enseignement ne s’améliorent pas suffisamment. Quant aux autres, tout aussi essentiels, ils tardent à atteindre des niveaux de performance appréciables, que ce soit dans l’amélioration de la qualité, la formation des ressources humaines, l’organisation pédagogique ou la gouvernance du système. Les rapports du Conseil consultatif ont pointé, avec force arguments, les sources de ces défaillances (ressources financières mal affectées, faible mobilisation autour de l’école,… ). Les ressources financières sont mal allouées par type de dépense, par cycle, région et filière. Le modèle pédagogique est en décalage par rapport aux standards de qualité en termes de contenus des programmes et curricula, de méthodes et d'outils didactiques.
Le projet de feuille de route de la réforme du système éducatif national pour la période 2022-2026 vise à réaliser une renaissance éducative à même d’offrir à l'enfant les conditions adéquates pour achever sa scolarité obligatoire et développer ses compétences et capacités Cette feuille de route s'articule autour de deux références stratégiques de long terme, incarnées par la loi-cadre 51-17 et le Nouveau modèle de développement. Elle ambitionne d’atteindre trois objectifs : rendre obligatoire la scolarité, assurer l'apprentissage, et favoriser l'ouverture. Ces objectifs passent par la réduction d'un tiers du taux de déperdition scolaire, l'amélioration de la qualité des acquis et des apprentissages à l'école. Ce changement doit reposer sur des principes d’action qui garantissent un cadre de confiance et de responsabilité entre les acteurs de l’école publique, permettant de réaliser la pérennité et l'efficacité selon une approche systématique et participative basée sur les résultats et l'impact sur l'apprenant.
Aussi, la feuille de route compte mettre l’accent sur l’acquisition des apprentissages de base par l’élève, la mise en place d’une formation de qualité des instituteurs, le renouvellement des approches pédagogiques et des outils numériques, et la modernisation des établissements par la création d’une symbiose entre les parties prenantes de l’éducation (gestionnaires, enseignants et parents d’élèves). La réussite de cette nouvelle approche reste tributaire de la mobilisation de tous les acteurs pour mener à bien le changement, leur engagement dans la construction participative de la réforme et la bonne gouvernance, à travers le renforcement des capacités des acteurs.
La nouvelle feuille de route de l’éducation ouvre des perspectives inédites à un système en mal de réforme. Les décideurs sont conscients qu’il ne servirait à rien de mobiliser des milliards de dirhams si l'on ne fait que perpétuer le système éducatif existant. Le défi ne consiste pas seulement à financer l'éducation, mais à réinventer le système et à lui donner une stabilité. Une gouvernance instable du système risque de ne pas garantir une direction sereine du changement et aussi d’exposer la réforme à des perturbations dans sa mise en œuvre, sinon à des remises en cause dans ses principes d’action. Les attentes sociales sont grandes. L’espoir se conjugue au doute au sein des familles et de la société sur ce nouveau pari de la réforme éducative. L'école, le collège, le lycée, l’université doivent retrouver leurs missions en résonance avec les besoins du milieu. Il y va de l’avenir des jeunes et du Maroc dans son ensemble
Une défiance des familles, un modèle d’école à réinventer
La défiance des familles vis-à-vis du système est préoccupante. Cette attitude n’est pas nouvelle, elle est ancienne et elle persiste. Logique : le système s’ouvre à toujours plus de monde, tandis que les débouchés stagnent. Les familles aisées deviennent prêtes à tout pour s’assurer que leurs rejetons intègrent les formations les plus prestigieuses ou les établissements les mieux lotis, lesquels ferment leurs portes aux enfants des milieux défavorisés. Le paradoxe est que, au moment où le système rencontre des difficultés pour remplir sa mission d’insertion sociale, il est plus que jamais au centre des espoirs des familles. Rien d’étonnant. Pour trouver du travail, mieux vaut avoir une formation que non. C’est aussi en améliorant l’environnement de l’école qu’on diminuera l’angoisse des parents quant à l’avenir de leurs enfants, et qu’on permettra à ceux des milieux les moins favorisés d’avoir un présent pour eux-mêmes qui leur permette de penser un futur pour leurs enfants.
Le système reste aussi au cœur de la demande des autres acteurs sociaux : demande des entreprises qui souhaitent disposer d’une main d’œuvre qualifiée, demande de l’État qui veut donner une culture commune à la nation ; les préoccupations des uns et des autres sont convergentes. C’est ce qui explique le consensus autour de la Charte nationale d’éducation et de formation. Ne doit-elle pas donner un nouvel essor à l’école, assurer l’égalité des chances des citoyens ? Mais que de questions identifiées par la Charte il y a déjà plus de deux décennies restent encore en suspens : la place de la décentralisation/déconcentration, les moyens et le rôle des académies, l'adaptation des curricula aux spécificités régionales, les questions d'égalité et d'équité, la qualité de la formation, la prévention de l'échec scolaire, l'innovation pédagogique, l'évaluation du système …
La mise en place de modèles de scolarisation efficaces et adaptés aux besoins et aux ressources requiert des réformes dont la faisabilité politique et sociale est complexe. Des déficits et retards cumulés, le plus alarmant est certainement la non maîtrise des langues et les difficultés du système à transmettre les valeurs de citoyenneté aux apprenants. La question des langues d’enseignement est centrale dans les processus cognitifs. La question du contenu de la formation est également un sujet dont la faisabilité pédagogique et politique pose problème si l’on en juge par le peu d’avancées observées sur cette question. Le problème des langues est patent, une proportion importante des élèves n'a pas la maîtrise suffisante de l'arabe classique, et encore moins des langues étrangères. Le système peine aussi à éduquer et à transmettre les valeurs de droit, de citoyenneté, et de respect propices à la bonne intégration sociale des apprenants. La question de la formation des enseignants est emblématique de ces difficultés.
Dans les zones rurales, l’école devrait dispenser des notions d'agriculture, d'utilisation rationnelle de l'eau, de santé et elle doit également valoriser la culture locale en développant une pédagogie du milieu qui s'appuie sur les repères culturels des enfants et sur l'environnement. L’activité économique a aussi besoin d'une évaluation des compétences nécessaires (où et comment développer les métiers de la mécanique, de l'environnement, du paramédical, des services, ou trouver un artisanat qualifié ?), afin de fixer des objectifs et de construire des filières adaptées.
C'est devenu un lieu commun : nous entrons dans une civilisation de l'intelligence, un monde où l'éducation et la qualification sont devenues les éléments essentiels de la compétitivité des entreprises et des nations, ainsi que de l'employabilité des individus. Aujourd'hui, la grande majorité des emplois nécessite la maîtrise de compétences formelles, qui passent par une formation spécifique. Cette nécessité d'investir toujours plus dans l'éducation se traduit par une montée continue des dépenses globales liées à la formation, de la part des pouvoirs publics.
Résultat : L’école ne parvient plus à assurer la mobilité sociale ni à contribuer à la réduction des inégalités. Le système éducatif est-il pour autant seul responsable des difficultés rencontrées ? Non ! Les raisons de la crise sont aussi à chercher en dehors du système. Dans la marginalité sociale, la pauvreté, les problèmes urbains et le retard des campagnes. Autant de facteurs qui le percutent de plein fouet. Réformer adroitement l’école et dépenser mieux ne permettra pas de résoudre les problèmes que provoquent, au sein de l’éducation nationale, la crise de notre société. En dépit de ses insuffisances, le système éducatif demeure un lieu d’acquisition de normes qui ne sont pas toujours transmises ailleurs. Dans une société inégalitaire dont la cohérence sociale se délite, l’école, le collège, le lycée et l’université sont des institutions qui résistent encore à la dégradation de l’environnement. On ne peut leur demander de résoudre tous les problèmes de la société.
Un système éducatif en mal de gouvernance
De toutes les déficiences du système, celle de la gouvernance est la plus manifeste. Malgré le transfert de prérogatives aux académies et universités, le système n'a pas encore résolu des questions complexes, telles que la mise en place de mécanismes d'évaluation des ressources humaines et leur responsabilisation. Une confusion des rôles perdure entre ce qui relève de l'administration centrale et ce qui revient aux académies, et accroît la complexité des procédures entre les deux niveaux de gestion. La gouvernance pâtit, en outre, du fonctionnement imparfait de ses organes de gestion et de l'absence d'outils de pilotage et de régulation adéquats.
Dans le secteur de l’éducation, la faiblesse des résultats, notamment en matière de qualité des enseignements, ne tient pas seulement au manque de ressources, mais aussi, et surtout, à une gestion très centralisée et donc peu performante. La définition des indicateurs de performance et l’établissement du Cadre de dépenses à moyen terme ont constitué des avancées dans le suivi des performances du système mais ils n’ont pas contribué à une réelle amélioration de la gouvernance du système. L’examen des indicateurs de résultats et de gestion révèle de très fortes disparités entre provinces, et aussi entre zones urbaines et zones rurales. La distribution des enseignants est très aléatoire, avec une très forte variation, entre établissements, du ratio élèves/maîtres. Il en va de même de l’offre de formation continue des enseignants. L’exécution budgétaire est très peu déconcentrée, ce qui ne favorise pas la responsabilisation des acteurs et le pilotage par les résultats. L’expérience des AREF (Académies régionalmes d’éducation et de formation) ne donne pas tous les résultats escomptés. L’analyse des évaluations scolaires et des résultats aux examens montre aussi de très fortes disparités entre établissements qui ne résultent pas simplement de distorsions dans l’allocation des ressources. Ainsi, le temps scolaire, qui est une variable clé dans l’apprentissage, est grevé par l’absentéisme des enseignants ou encore l’absence de maîtrise des classes à plusieurs niveaux.
Ces difficultés illustrent l’enjeu d’une bonne gestion des établissements (respect du temps scolaire, motivation et encadrement des enseignants, contrôle social et implication des parents). Le renforcement des capacités, aux plans institutionnel, organisationnel et fonctionnel, des administrations chargées de mettre en œuvre les politiques nationales, depuis l’échelon national jusqu’à celui des établissements, demeure un défi majeur. Les insuffisances de la formation des enseignants et des cadres du système éducatif, les carences des systèmes d’incitation et l’implication insuffisante de la société civile dans la définition des politiques et la gestion des établissements apparaissent plus que jamais comme des éléments critiques dans la résolution des problèmes de capacités.
En d'autres termes, il s'agit de transformer un système dévalué en modèle efficace, placé au centre d'un projet de développement. Ce type de réforme implique un partenariat bien compris entre l'État et les collectivités locales, les parents d'élèves, les communautés et les ONG, et un renforcement des compétences publiques.
La faible mobilisation autour de l’école de la part de ses usagers et de la société se traduit par une érosion de la confiance envers elle. Pourtant, le Maroc a mis en place un " Conseil supérieur de l’Éducation, de la Formation et de la Recherche scientifique" dont l’une des missions est de dégager des compromis entre les différents acteurs du système sur la réforme de l’enseignement. Sorte de "parlement socioprofessionnel" où sont représentés, plutôt que les partis, les divers acteurs sociaux du système éducatif. Cette instance consultative devait jouer un rôle dans la préparation des réformes, éventuellement leur suivi ou leur évaluation. Le Conseil a connu une intense activité ; presque toutes les problématiques ont été passées au crible, des recommandations pertinentes ont été formulées.
Les initiatives et réflexions du Conseil sont utiles dans l’évaluation des réformes spécifiques ; elles proposent des recommandations aux parties prenantes du système. Ses propositions peuvent entrer en conflit avec les compétences du ministère, voire même de l’institution législative dans l’évaluation de l’orientation de la direction politico-administrative du système. Mais elles ont du sens tant le Conseil réunit des personnes de positions, de légitimités, de tendances différentes, pour les faire travailler ensemble à la régulation d’une réforme. Une bonne régulation sortira de leur confrontation si elle est davantage coopérative que conflictuelle. Certes, tout lieu de concertation institué court le risque de devenir un appareil de plus. Il y a donc des raisons de penser que de telles instances sont à la fois nécessaires et périssables, qu’il faut donc les réinventer régulièrement, pour leur insuffler une nouvelle jeunesse et mobiliser de nouvelles générations.
Conclusion
Les diverses défaillances du système, telles qu'elles se manifestent à travers la qualité des apprentissages, l'évolution de l'apprenant, ou encore l'environnement scolaire, trouveraient leur source principalement dans cinq problématiques centrales que le système éducatif n'a pas encore su résoudre. Des ressources financières peut-être encore insuffisantes, compte tenu des défis qu'entend relever le système éducatif mais qui sont surtout mal allouées par cycle, par filière et par région. Un déficit de mobilisation autour de l’école de la part de ses usagers et de la société dans son ensemble qui se traduit par une érosion de la confiance envers elle. Un modèle pédagogique mis en difficulté par un décalage par rapport aux standards de qualité en termes de méthodes, de contenus et de conditions d'enseignement, de surcharge et défaillances des programmes et curricula, et d'absence d'outils didactiques innovants.
De ces retards en termes d'acquis pédagogiques, le plus alarmant est certainement la non maîtrise des langues, qui est pénalisante aussi bien à l'école que dans l'environnement professionnel et social ultérieur. Les conditions d’exercice du métier d’enseignant : la faible performance du système, et en particulier les lacunes de nature pédagogiques, ne manquent pas d'interpeller le corps enseignant sur sa formation et son encadrement. La question cruciale de la gouvernance et du pilotage est en fait celle de savoir comment dépasser différences et divergences pour trouver un compromis acceptable, qui ne soit ni mou, ni régressif.
Ces cinq problématiques centrales peuvent être résolues et le pari d’une école performante peut être gagné. Dans la dynamique de la négociation entre partenaires sociaux sur la crise récurrente de l’école, le plus important n’est pas de trouver de temps en temps un "compromis" qui pacifie les conflits vécus durant plusieurs années, mais de créer l’espace institutionnel adéquat pour faire travailler tous les acteurs et les parties concernées ensemble, de façon intensive, pour faire réussir cette entreprise complexe de réforme de l’éducation nationale et dont l’issue est restée incertaine durant des années.