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Angela Merkel: il était une fois une femme leader sur la scène internationale
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Patricia Ahanda*
October 26, 2021

Le mandat d’Angela Merkel est arrivé à son terme, après 16 ans au pouvoir en tant que chancelière de l’Allemagne. Au cours de sa carrière, Angela Merkel, femme politique issue des rangs du parti conservateur, s’est hissée en tant que dirigeante de la quatrième puissance mondiale et première économie de l'Union européenne. Angela Merkel a réussi à dominer les scènes politiques européenne et internationale en s’imposant comme l'une des femmes les plus puissantes et influentes du monde. Lorsque l’on pense aux femmes politiques leaders, Angela Merkel est plus qu’un nom, c’est une image de marque appartenant désormais à la culture mainstream.

Angela Merkel incarne la représentation d’un leadership alliant gestion de crises géopolitiques et protection des intérêts nationaux. Le néologisme dérivé de son nom : « merkeliser », c'est-à-dire atteindre son but en avançant à petits pas, sans faire de bruit, illustre parfaitement ce qu’Angela Merkel est parvenue à incarner : un pouvoir sobre, stoïque, silencieux qui ne demande qu’à être jugé par ses résultats, son impact.

Une stabilité gage de leadership

Juger Angela Merkel à l’aune de ses résultats, c’est avant tout reconnaître sa victoire sur l’usure politique. Championne de la longévité, au pouvoir depuis 2005, elle a vu défiler de nombreux dirigeants mondiaux. Elle a dialogué avec quatre présidents américains, de Georges W. Bush à Joe Biden, quatre présidents français de Jacques Chirac à Emmanuel Macron, cinq premiers ministres britanniques, huit premiers ministres italiens et huit premiers ministres japonais. Moins de changements du côté de l’Inde et de la Chine. Manmohan Singh, Narendra Modi ont été les deux principaux interlocuteurs d’Angela Merkel pour l’Inde. Pour la Chine, le président Xi Jinping a été l’unique dirigeant connu pour Madame Merkel.

Surnommée « l’éternelle chancelière » de l’Allemagne, Angela Merkel, 67 ans, part avec une popularité à toutes épreuves. Elle aurait probablement remporté un cinquième mandat si elle avait voulu prolonger son expérience. Face à des leaders plus flamboyants, tels que Donald Trump ou encore Vladimir Poutine, Angela Merkel a réussi à imposer son style simple et sa diplomatie tranquille comme un contrepoids qui brise l’idée d’un charisme impératif en matière de leadership.

Alors que la pandémie de la Covid-19 et ses répercussions sociales, économiques et sanitaires fragilisent les taux de popularité des dirigeants mondiaux, Angela Merkel, inoxydable, a gagné 11 points. Un sondage du Pew Research Center 1a montré que de larges majorités dans la plupart des pays occidentaux avaient « confiance en l’action de Merkel en ce qui concerne les affaires mondiales ». Une approbation qui ne fait que confirmer l’imperturbable leadership d’Angela et son adoubement par l’opinion publique internationale.

Plus qu’une gardienne du pouvoir, Angela Merkel élevée derrière le rideau de fer, représente l’aspiration post-guerre, post-traumatique de l’Allemagne de vivre dans la stabilité économique et la paix. Lorsqu’elle est entrée dans l’Histoire, à l’automne 2005, en tant que première femme à être élue chancelière, le chômage s’élevait à un peu plus de 11% et l’Allemagne était « l’homme malade de l’Europe ». A présent, le chômage en Allemagne s’élève à 6% et aucun expert ne remet en cause le leadership politique et économique de l’Allemagne dans l’Union européenne et le monde.

Si Angela Merkel a été la championne de la stabilité intérieure, les dernières semaines de son mandat lui ont rappelé qu’avec sa position de dirigeante d’une des nations les plus puissantes du monde vient la responsabilité et la gestion des instabilités, conflits et crises liées aux affaires étrangères. Le retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan a ainsi rappelé à la dirigeante sa responsabilité dans le choix du retrait des troupes allemandes de l’Afghanistan mais également son mandat marqué par des crises géopolitiques.

Un mandat marqué par une gestion de crises internationales

Le leadership c’est avant tout démontrer sa capacité à faire face aux bouleversements. Angela Merkel peut se targuer d’avoir su faire preuve de cette aptitude. Dès son premier mandat, les crises ont commencé à s’accumuler. Le système financier s’est écroulé aux États-Unis en 2008. Un an plus tard, il a inondé la zone euro, menant presque la Grèce à quitter l’Union monétaire et provoquant des divisions profondes entre le nord et le sud de l’Union européenne (UE). En 2014, c’est la crise ukrainienne, en 2015, c’est la crise humanitaire avec plus d’un million de réfugiés du Moyen-Orient à travers les Balkans jusqu’en Allemagne. En 2020, c’est la pandémie de la Covid-19.

Lors de la crise des réfugiés de 2015, Merkel tente de persuader les Allemands du bien-fondé de sa décision : « Nous pouvons le faire ! » « Wir schaffen das !  ». Tout au long de son mandat, Angela Merkel a compris que son rôle tenait avant tout de l’art de la persuasion. Persuader son camp du bien-fondé de sa décision de s’opposer à la fermeture des frontières allemandes face à l’afflux de réfugiés. La dirigeante allemande doit également convaincre les États membres de l’UE de la nécessité de maintenir un front uni pendant les négociations sur le Brexit. Et au printemps 2020, elle doit persuader ses alliés européens de la nécessité d’un fonds de relance pandémique.

« Gouverner c’est mécontenter », disait l’écrivain français Anatole France. Lors de ces multiples et différentes crises, Angela Merkel a joué un rôle d’équilibriste qui équivalait à maintenir ensemble différents individus, personnalités, groupes, cultures et pays. Ce rôle difficile a fait naître mécontentement et diabolisation de celle qu’une partie de l’Europe opposée à sa politique de réformes, dites brutales, a pu nommer la « reine de l’austérité ».

Une réécriture des relations avec l’Afrique

Si le développement de l’Europe cette dernière décennie est étroitement lié aux années Merkel, l’implication de l’ex-chancelière sur le terrain africain reste plus tardive. « Le développement de l'Afrique est le grand enjeu de notre époque », rappelait-elle. Consciente de la perte d’influence géopolitique de l’Allemagne en Afrique, Angela Merkel n'a pas ménagé ses efforts pour faire de l'Afrique l'une des pièces maîtresses de sa politique étrangère. La crise migratoire de 2015 participe à sa prise de conscience de la nécessité de développer une nouvelle politique africaine axée sur le développement et l’investissement afin de lutter contre les causes de l’immigration.

À la tête de la présidence du G20, Merkel opère un tournant dans ses relations avec l’Afrique en tentant de mobiliser les pays riches en faveur du continent. Elle lance son plan Marshall ou plan Merkel pour l’Afrique, qui consiste à mettre des fonds à disposition d'entreprises qui souhaitent s’y implanter. La chancelière Angela Merkel invite également les 12 pays bénéficiaires de l’initiative Compact with Africa 2 : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Égypte, Éthiopie, Ghana, Guinée,  Rwanda, Sénégal, Togo et Tunisie à s’engager pour une nouvelle coopération économique avec l’Allemagne.

Si l’axe économique est très présent dans ses relations avec l’Afrique, l’immigration et la lutte contre le terrorisme sont au cœur de la politique africaine de la chancelière, comme en témoigne la présence des forces armées allemandes au Mali dès 2013.

La décision de politique africaine la plus populaire du mandat d’Angela Merkel restera sans doute la reconnaissance, en 2021, du génocide des peuples Hereros et Namas dans l’actuelle Namibie par l’empire allemand. Une reconnaissance saluée par les diasporas africaines et l’opinion publique dans un contexte international marqué par le mouvement Black Lives Matters et les demandes de diverses associations mémorielles de réparation des dégâts du colonialisme.

Le leadership européen en héritage ?

Les premières années de la présidence Donald Trump, les observateurs politiques des deux côtés de l’Atlantique la surnomment la nouvelle « leader du monde libre ». Angela Merkel a toujours rejeté ce titre honorifique relevant d’une impossibilité historique pour les Allemands. Comme le souligne Ali Aslan, journaliste allemand et fin connaisseur du parcours d’Angela Merkel :« la traduction du terme leader, en allemand führer rappelle les plus sombres heures de l’histoire allemande ». Mais même si Angela Merkel refuse d’endosser ce titre, elle a indéniablement été de facto la femme leader de l’Union européenne.

Sur ce leadership européen, qui tenait plus de la nécessité que de l’envie, les experts sont divisés.

De nombreuses rétrospectives élogieuses sur le mandat d’Angela Merkel dépeignent cette dernière comme la sauveuse de l’Europe. Une main de fer dans un gant de velours qui a guidé l’Union européenne à travers une série de crises sans précédent. Le camp pro-Merkel raconte son épopée au cours de la dernière décennie comme celle d’un phare lors des tempêtes telles que celle de la crise de la zone euro ou encore lors des accords de Minsk, suite à la crise ukrainienne.

D’autres, plus dubitatifs, décrivent l’action d’Angela Merkel comme le règne de l’indécision permanente. Face aux crises qui ont miné l’Europe, ils reprochent à Angela Merkel d’avoir justement manqué de leadership. Ils décrivent les années Merkel comme une occasion manquée par l’UE de s’affirmer comme une superpuissance promouvant des valeurs fortes telles que l’État de droit, la démocratie, les droits de l’Homme ou, encore, la solidarité.

Pour ces observateurs, la Chancelière a plutôt privilégié une stratégie de l’apaisement face aux tentatives d’autocraties européennes. Pour eux, Angela Merkel a tourné le dos à la solidarité pour embrasser l’austérité. Même sur la gestion de la crise des réfugiés où la position initiale d’Angela Merkel semblait humaine et courageuse, ils dénoncent son grand renoncement et des accords conclus avec des pays de transit, tels que la Turquie, le Maroc ou la Libye, plutôt qu’une pression effective pour une politique migratoire européenne commune.

Les deux camps saluent tout de même l’audace de la chancelière dans sa gestion de la crise du coronavirus et sa décision d’unir ses forces avec le président Français Emmanuel Macron pour mettre en place un fonds de relance européen. Alors que certains analystes ont salué la décision ambitieuse de Merkel sur les euro-obligations, d’autres, plus prudents, rappellent que nul ne sait si ce fonds, appelé Next Generation EU3, sera suffisant pour relever les défis post-pandémiques. Par conséquent, l’avenir de la solidarité budgétaire, liée au futur de l’Europe, est une question qu’Angela Merkel n’aurait pas pu solder.

Penser le futur de l’Europe sans Angela Merkel

Imaginer le futur de l’Europe sans Angela Merkel est à présent le sujet qui anime les débats politiques européens. Lors de forums majeurs en Europe, le GMF's Brussels Forum, le GLOBSEC Forum, en Slovaquie, ou, encore, le Bled Strategic Forum, en Slovénie, les défis économiques, sécuritaires, géopolitiques de l’après-Merkel sont évoqués. Qui pourrait reprendre le bâton de pèlerin du leadership européen ? Le futur chancelier allemand ? Les trois partis sociaux-démocrates, écologistes et libéraux allemands négocient encore un accord sur la formation du nouveau gouvernement dont Olaf Scholz deviendrait le chancelier, selon les dernières informations. Si ce dernier est confirmé, il devra sortir de l’anonymat pour incarner cette Allemagne au sommet dont Angela Merkel était l’égérie.

Emmanuel Macron ? Le président français prendra la présidence de l’Union européenne début 2022. A défaut d’avoir pu incarner un couple franco-allemand en symbiose à la tête de l’Europe avec Angela Merkel, peut-être, pourrait-il incarner seul cette Europe forte et en marche dont il s’est fait le fervent défenseur. Mais pour s’imposer comme leader, Emmanuel Macron devra remporter un second mandat lors des présidentielles d’avril 2022. Une continuité politique que ses prédécesseurs, anéantis par une vague de dégagisme, n’ont pu gagner, contrairement à Angela Merkel, championne de la stabilité.

Lors de son dernier sommet européen, à Bruxelles, la Chancelière allemande, s'est dite « inquiète » pour l'avenir de l'Union européenne, jugeant que ses successeurs auraient « de grands chantiers » devant eux en matière d’État de droit, de migrations et d'économie.

« Nous avons surmonté de nombreuses crises, mais nous avons une série de problèmes non résolus », a déclaré Angela Merkel. Une mise en garde à l’adresse de la jeune garde qui veut prendre sa place mais aussi un avertissement sur le niveau de responsabilité exigé pour gouverner.

Génération Angela Merkel, Génération de femmes leaders ?

Angela Merkel laisse un grand vide en termes de leadership européen mais qu’en est-il de son héritage en termes de leadership féminin ? Femme la plus puissante et influente du monde, selon le classement des personnalités influentes du Magazine Forbes4, Angela Merkel a-t-elle donné naissance à une génération de femmes leaders ? Là, encore, la réponse est à nuancer.

Lors d’une discussion avec l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, Angela Merkel a déclaré avec aplomb «Je suis féministe». Admettant avoir été « timide » sur ce sujet par le passé, elle a expliqué que sa réflexion avait évolué. « Sur le principe, le féminisme consiste essentiellement à dire que les hommes et les femmes sont égaux, dans le sens d'une participation à la vie sociale, à toute la vie », a-t-elle affirmé.

Une déclaration aussitôt relevée par les associations féministes allemandes qui ont rappelé que malgré son rôle de femme puissante malheureusement Angela Merkel n’a pas su utiliser son influence pour apporter des changements structurels profonds en faveur des femmes dans la société allemande.  Alors que le nouveau Bundestag, chambre basse allemand qui siège pour la première fois en Octobre 2021, les données de l'IUP montrent qu'il compte plus de femmes parlementaires et que le nombre de jeunes députés a considérablement augmenté par rapport à la législature précédente élue en 2017. Les données de l'Inter Parlementary Union montrent que sur les 598 sièges du Bundestag, plus d'un tiers sont des femmes (34,92 %), contre 31,45 % au Parlement sortant. Cette légère augmentation est en partie due au changement de majorité avec l’arrivée de partis aux compositions plus jeune et plus féminine, à l’image de la plus jeune députée Emilia Fester, agée de 23 ans et issue du Parti vert allemand. . Des données aussi confirmées par le Reykjavík Index for Leadership5, instrument de mesure du leadership féminin qui rappelle que l’effet Merkel en terme de féminisation des instances dirigeantes en Allemagne, n’aura vraiment pas eu lieu.

Danke Schön Angela Merkel !

Cependant, si le bilan d’Angela Merkel et son héritage sont discutables, le respect qu’elle inspire, son impact sur les scènes européenne et internationale sont indéniables. La multitude d’hommages, d’éloges partagés par les leaders du monde entier à la suite de son dernier Conseil européen en sont la preuve.

L’ancien président américain Barack Obama déclare ainsi : « le monde entier te doit une grande reconnaissance pour avoir gardé une position morale élevée pendant toutes ces années. (…) Tant de gens, filles et garçons, hommes et femmes, ont eu un modèle qu'ils pouvaient admirer dans des périodes difficiles. Je le sais, car je suis l'un d'entre eux. Je veux te remercier pour ton amitié, tes qualités de leader et, surtout, ta fidélité aux valeurs universelles que tu as adoptées en tant que fillette en Allemagne de l'Est. »

Ce message illustre parfaitement l’impact d’Angela Merkel. Présente pendant tant d’années au premier plan, Angela est devenue une sorte de monument incontournable, un pilier doté d’un soft power qui a rendu à l’Allemagne ses lettres de noblesse. Angela Merkel est cette Madeleine de Proust qui nous rappelle l’Histoire du vieux continent. A présent, le rideau se baisse, Angela Merkel quitte la scène sous une standing ovation mais demeure encore son expérience, sa longévité au pouvoir, ses échecs, ses combats qui resteront à jamais un condensé de leçons de leadership à l’attention de chaque prétendant au pouvoir.

 

 Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que leur auteur.

* Patricia Ahanda est lauréate du programme Atlantic Dialogues Emerging Leaders 2019.

Références


1      https://www.pewresearch.org/global/2021/09/22/germany-and-merkel-receive-high-marks-internationally-in-chancellors-last-year-in-office/

2      https://www.compactwithafrica.org/content/compactwithafrica/home.html

3      https://ec.europa.eu/info/strategy/recovery-plan-europe_fr

4      https://www.forbes.com/power-women/list/#tab:overall_header:position

5      https://www.kantar.com/campaigns/reykjavik-index

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