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Les locomotives des écosystèmes industriels
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September 7, 2023

Le développement industriel au Maroc a connu globalement une croissance soutenue durant les deux dernières décennies. Des locomotives ont contribué à l’émergence et à la consolidation d’écosystèmes industriels compétitifs et résilients. Leur rôle moteur et catalyseur, appuyé par un ensemble d’initiatives portées par des politiques publiques volontaristes, ont permis de placer le Maroc dans des chaînes de valeur mondiales et dans des secteurs de haute technologie.

La prochaine décennie se profile avec plusieurs opportunités associées à de grands défis. Les secteurs de l’énergie verte présentent un grand potentiel de positionnement pour le Maroc à l’échelle du continent et nécessitent la construction d’écosystèmes industriels avec des locomotives à fort impact et à effets multiples, des plateformes technologiques et d’innovation performantes et des politiques publiques bien orientées.

Introduction

Durant les vingt dernières années, le Maroc a mis en place des stratégies industrielles visant à améliorer la part de l’industrie dans le PIB, créer des emplois, diversifier les exportations et à intégrer les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Ce cycle a été marqué par des réalisations importantes qui ont transformé le paysage industriel marocain et créé de nouvelles dynamiques et perspectives d’évolution, en dépit de la succession de conjonctures et de crises contraignantes et d’une compétition mondiale très exacerbée.

En moins de 10 ans, le Maroc, qui n’était pas visible sur les cartes mondiales de l’industrie automobile, de l’aéronautique ou de l’offshoring, est devenu un leader africain et un acteur majeur des chaînes d’approvisionnement mondiales dans ces secteurs.

Pourtant, et selon des analyses faites à l’époque par des bureaux d’études de renom, la construction automobile ne figurait pas parmi les métiers mondiaux à viser par le Maroc, vu qu’elle était réservée à un groupe restreint de pays, le niveau le plus avancé de la chaîne de production automobile où le Maroc pouvait se positionner a été limité à l’emboutissage.

Aujourd’hui, le constat est là : deux constructeurs automobiles internationaux sont localisés avec une capacité de production de 700000 véhicules par an, un taux d’intégration locale de près de 65 % et 220000 emplois créés.

Qu’est-ce qui a fait que le Maroc est arrivé à se positionner bien au-delà des pronostics établis par des experts avisés ?

Certainement plusieurs facteurs y ont contribué, tels que la stabilité politique et macro-économique, un climat favorable à l’investissement, des infrastructures conformes aux standards internationaux et des programmes de formation adaptés. Toutefois, toutes ces mesures n’auraient pas produit les retombées d’aujourd’hui sans la vision, le leadership, les projets locomotives et la gouvernance d’implémentation des stratégies.

Des projets d’infrastructures locomotives tels que le port de Tanger Med ou les parcs industriels intégrés (Tanger Free Zone, Tanger automotive city, Midparc ou Atlantic Free Zone, …) ont été des leviers importants pour la compétitivité de l’offre Maroc. Dans le même sens, le rôle joué par des locomotives industrielles, dans les secteurs automobile et aéronautique, a eu un effet catalyseur sur la mise à niveau des entreprises nationales, la mise en place de programmes de formation spécialisée ainsi que l’investissement dans de nouveaux segments de la chaîne d’approvisionnement au Maroc.

Il reste certainement des contraintes et des défis à relever, en particulier pour remédier au manque d’innovation dans certains secteurs, à la répartition restreinte des projets industriels au niveau territorial, au faible niveau de diversification des produits à l’export et au nombre limité de locomotives industrielles nationales.

Le Maroc est en mesure de franchir une nouvelle ère industrielle, en raison des nouvelles opportunités qui se présentent, notamment avec la redistribution des chaînes de valeur mondiales, suite aux crises sanitaire et géopolitique récentes, avec l’expansion de la demande mondiale en ressources énergétiques propres et en produits décarbonés, ainsi que le besoin de renforcement de la sécurité alimentaire et de la souveraineté sanitaire à l’échelle du continent.

Les locomotives de l’industrie pour la prochaine décennie se construisent aujourd’hui, afin d’être au rendez-vous de la prochaine ère et saisir ses opportunités, en termes de création de richesse et d’emplois pérennes.

Le message Royal du 29 mars 2023, à l’occasion de la première édition de la Journée nationale de l’industrie, a donné des orientations claires pour inaugurer une nouvelle ère industrielle portée vers et par la notion de souveraineté, en mettant l’accent, entre autres, sur le capital humain, le soutien à l'innovation, au développement technologique, à la R&D, à la décarbonation ainsi qu’à la gestion rationnelle et durable des ressources hydriques.

Dans ce sens, le Ministère de l’Industrie a lancé une étude portant sur « l’élaboration de la nouvelle stratégie industrielle nationale » dont les résultats sont attendus pour 2024.

Par ailleurs, le rapport du Nouveau Modèle de Développement (NMD), présenté par la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement en 2021, a formulé des recommandations qui s’inscrivent dans la même direction, notamment en ce qui concerne le positionnement du Maroc au niveau des chaînes de valeur mondiales, en capitalisant sur les secteurs existants et en s’érigeant en champion de l’énergie verte pour favoriser la transition accélérée du Maroc vers une économie bas carbone.

Le Rapport recommande qu’une attention particulière soit accordée au développement des filières industrielles vertes dans les domaines des énergies solaire, éolienne, d’assainissement liquide et de gestion des déchets.

Le développement d’écosystèmes territoriaux de PME/PMI constitue également un axe stratégique avec la proposition de plusieurs mécanismes, dont le rôle que peuvent jouer les établissements et les entreprises publiques (EEP) en tant que locomotives pour l’amorçage de ces écosystèmes.

Par ailleurs, le Rapport a appelé à la structuration d’écosystèmes innovants et productifs dans des secteurs tels que la santé, en associant l’ensemble des acteurs de l’industrie, de la R&D, de la formation et des finances.

Les tendances mondiales des écosystèmes industriels

Le secteur industriel est un moteur de croissance, il crée des emplois, des revenus, de l’innovation et produit des effets multiplicateurs qui impactent d’autres segments du tissu économique. À l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, ce secteur est appelé à connaître de nouvelles mutations accentuées par les enjeux environnementaux et les dernières crises sanitaire et géopolitique.

Les nouvelles tendances des politiques industrielles donnent de l’importance à la digitalisation, à l’innovation, aux écosystèmes, à la transition énergétique, à la durabilité et à l’inclusion sociale qui ont transformé les atouts concurrentiels des entreprises et des États.

La résilience est devenue l’une des priorités des chaînes de valeur mondiales. Le coût du travail n’est plus considéré comme seul critère de délocalisation. Un intérêt grandissant est constaté pour deux autres critères qui, selon une étude récente de McKinsey, sont la solidité des écosystèmes industriels et d’innovation et la disponibilité des talents qui pèsent ensemble pour 22 % dans la décision d’investissement, presque au même niveau que les coûts de facteurs de production (main-d’œuvre, fiscalité, matières premières, énergie, logistique,..).

Le modèle d’écosystème a été adopté par des entreprises à partir des années 90. Il s’agit d’un modèle très inspiré des écosystèmes du monde naturel où une communauté d’organismes vivants, interagissant entre eux et avec leur environnement, s’influencent les uns les autres, s’affrontent, collaborent, s’adaptent à des chocs externes et créent et partagent des ressources.

La numérisation, la connectivité et les nouveaux modes de collaboration ont fortement contribué à l’adoption de tels modèles et à transformer les structures traditionnelles de l’économie industrielle et des chaînes d’approvisionnement. Ainsi, de nouveaux moyens de création de valeur se sont développés sous forme de réseaux de plus en plus denses et de plus en plus riches de connexion, de collaboration, d’innovation et d’interdépendance, pour générer de la prospérité à toutes les parties prenantes et répondre aux exigences de durabilité.

Avec les bouleversements des dernières décennies résultant des progrès technologiques, des développements géopolitiques, des tendances démographiques et des défis environnementaux, les entreprises industrielles disposent de moins en moins de capacités individuelles pour faire face aux différents défis auxquels elles sont confrontées. Elles sont contraintes à développer leurs propres écosystèmes si elles disposent des conditions nécessaires ou à faire partie d’écosystèmes existants pour soutenir leur croissance, renforcer leur résilience, exploiter de nouvelles opportunités et conserver leur avantage concurrentiel.

L’exemple le plus illustratif est celui du secteur automobile dont les constructeurs de véhicules ont adopté depuis les années 80 des modèles d’écosystèmes, pour améliorer leur productivité et leur compétitivité, en organisant leurs fournisseurs et leurs chaînes d’approvisionnement, selon un schéma hiérarchique (fournisseurs rang1, 2, 3,…). Ce modèle leur a permis de se concentrer sur leur corps de métier, de répondre aux exigences de qualité, de sécurité et de gestion de risques, tout en externalisant certains éléments de production à des fournisseurs spécialisés.

Vu le poids important du développement technologique dans la croissance du secteur, la formation, l’innovation ainsi que la recherche et développement sont des parties essentielles intégrées au sein de ces écosystèmes.

Avec les nouvelles tendances en perspective, le secteur automobile pourrait connaitre l’une des transitions les plus importantes. En effet, la mobilité partagée, la connectivité, l’usage de véhicules électriques ainsi que la conduite autonome, vont totalement révolutionner ce marché.

Malgré toutes ces évolutions, le modèle de l’écosystème reste pertinent, mais avec plus de complexité, en raison de l’intégration de nouveaux acteurs, notamment les développeurs de logiciels qui vont avoir un rôle de plus en plus prédominant dans le marché automobile, grâce à leur capacité à concevoir des expériences clients avec un espace plus large à l’innovation et à la créativité.

Les locomotives des écosystèmes industriels peuvent être des industriels, des groupements d’entreprises, des investisseurs, des acteurs de l’innovation et de la R&D ou des infrastructures qui, en raison de leur impact sur leur environnement, de leur expertise ou de leurs activités, sont capables de jouer le rôle de catalyseur, d’entrainer d’autres acteurs, de stimuler l’innovation, l’investissement, la croissance et le développement en générant des effets multiplicateurs.

Parmi ces locomotives, il existe des groupements de coopératives qui ont réussi à travers le travail collaboratif à produire des écosystèmes durables et viables avec un impact territorial très fort. C’est le cas de MONDRAGON, une association de coopératives espagnoles créée en 1956 qui couvre quatre domaines: la finance, l’industrie, le commerce de détail et la connaissance. Elle regroupe actuellement 95 coopératives, d’environ 80000 personnes et 14 centres de R&D, occupant la première place dans le classement des entreprises basques et la dixième en Espagne.

Dans le même cadre, la région de l’Émilie-Romagne, en Italie, accueille un réseau de 4000 entreprises coopératives employant 250 000 personnes, dont la création de certaines d’entre elles remonte au XIXème siècle. Le modèle de coopérative est prépondérant dans cette région et couvre pratiquement tous les secteurs, notamment l’agriculture, le commerce, la santé et les finances. Un cadre juridique incitatif et des fonds dédiés sont mis en place pour soutenir la création des coopératives.

Ces deux exemples démontrent que les locomotives ne sont pas exclusives à des grandes industries, dans ce cas, il s’agit de groupements de coopératives qui sont arrivés à se développer et à créer de la valeur. Toutefois, ces modèles semblent ne pas être facilement reproductibles, ils nécessitent un capital social très élevé et une culture de coopération bien ancrée.

Par ailleurs, les écosystèmes d’innovation représentent des modèles différents, centrés en général autour de locomotives universitaires, ou centres de recherche, ils regroupent dans leur sillage plusieurs autres structures: entreprises industrielles, start-ups, incubateurs, bureaux d’études et d’ingénierie, fonds d’investissement,…etc, l’objectif étant de produire de l’innovation de manière renouvelable et durable.

La performance de ces écosystèmes est étroitement liée à leur composition et au rôle joué par chaque acteur. L’implication active des entreprises industrielles est essentielle pour construire un environnement d’innovation sain et productif, puisqu’il s’agit de transformer les idées de la recherche appliquée à la production et la commercialisation de produits ou services.

Par ailleurs, les plateformes technologiques connaissent ces dernières années un grand succès, notamment avec l’avènement de l’industrie 4.0. Elles offrent aux entreprises l’accès partagé aux infrastructures, aux systèmes, à l’expertise et aux services dans un cadre collaboratif, mutualisé et orienté vers l’innovation. Ces plateformes peuvent être exploitées par des écosystèmes industriels, notamment pour connecter les différentes parties prenantes autour de thématiques définies, pour disposer d’une meilleure gestion et exploitation des données et bénéficier de l’usage des technologies, à l’instar de la conception collaborative basée sur la fabrication additive (impression 3D).

Il y a lieu de signaler que la technologie collaborative est devenue un vecteur de développement et d’expansion de plusieurs secteurs. Les plateformes collaboratives ont révolutionné les pratiques avec lesquelles les intervenants collaborent, communiquent et innovent. Elles permettent également de faciliter la mise en œuvre d’initiatives gouvernementales ou d’orienter les financements vers des domaines technologiques stratégiques. L’Inde, qui a pour ambition de devenir un hub mondial de l’innovation et de la R&D dans le secteur automobile, a investi massivement dans ces plateformes pour ses projets de véhicules électriques ou de solutions de mobilité durable.

L’économie circulaire s’impose de plus en plus comme modèle viable pour les écosystèmes industriels, vu qu’elle permet de migrer d’une gestion linéaire de flux de matières premières et de déchets à un flux circulaire qui génère une meilleure optimisation des ressources consommées, y compris l’énergie, et une réduction, voire une élimination des déchets. Elle permet ainsi d’améliorer la performance tout en respectant les exigences environnementales. Les écosystèmes industriels présentent ainsi le cadre de collaboration approprié pour l’adoption de solutions d’économie circulaire viables favorisant, par ailleurs, la création de nouvelles opportunités à travers, entre autres, l’installation de filières organisées de ramassage et de valorisation de déchets.

Ces dernières années, plusieurs écosystèmes se sont renforcés, en transformant la façon dont la valeur est créée qui en principe est supérieure à la somme de celle générée par chaque partie prenante. Ces écosystèmes sont basés sur le traitement des données et centrés sur l’humain (Ecosystem-to-human E2H). Les entreprises de ces écosystèmes profitent des collaborations générées pour apporter des «solutions» plus globales et intégrées qui répondent aux besoins du client et facilitent et améliorent son quotidien selon différentes perspectives (mobilité, santé, loisir, travail, consommation, spiritualité, vie sociale, éducation, récréation, conditions de vie).

Selon une étude d’Ernest&Young, les écosystèmes représentent en moyenne 13,7 % des revenus annuels des organisations qui utilisent au moins un modèle d’affaires écosystémique, en plus de générer 12,9 % de réduction des coûts et 13,3 % de bénéfices supplémentaires.

Alors que nous n’avons pas encore assimilé tous les enjeux liés à l’industrie 4.0, l’industrie 5.0 fait surface avec trois principes fondamentaux : la dimension humaine, la durabilité et la résilience. Ce nouveau paradigme met l’accent sur l’interaction homme-robot, en particulier dans les activités d’automatisation et de la fabrication intelligente, qui devraient profiter non seulement à l’industrie, mais aussi aux employés et à la société en général. Il s’agit d’exploiter le pouvoir des individus et des machines à créer de nouvelles opportunités et à générer de la valeur durablement.

L’intégration locale des écosystèmes industriels au Maroc

Le plan d’accélération industrielle (PAI), lancé en 2014, avait retenu le modèle d’écosystèmes industriels comme levier de compétitivité et de croissance accélérée.

Des locomotives industrielles, particulièrement dans les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique, ont contribué à la construction d’écosystèmes compétitifs et à renforcer leur base industrielle dans un processus d’augmentation de leur intégration locale.

Ainsi, l’extension du réseau des fournisseurs locaux, l’amélioration des standards de production et du niveau de qualification des emplois créés ont été possibles du fait du soutien de l’État et du rôle catalyseur joué par ces locomotives (constructeurs automobiles et entreprises multinationales). Grâce au renforcement de leurs écosystèmes, il a été possible d’attirer de nouveaux investissements et de compléter les chaînes de valeur, avec la perspective de production prochainement de voitures 100 % marocaines.

Les écosystèmes des secteurs automobile et aéronautique au Maroc ont fait preuve de résilience durant les crises récentes, cependant leur consolidation dépend du niveau d’intégration des chaînes mondiales d’innovation et de R&D, notamment à travers des plateformes technologiques s’appuyant sur des centres de recherche, des PME/start-ups et des talents marocains.

Pour ce qui est des autres secteurs industriels, l’impact généré par leurs écosystèmes reste difficilement mesurable, vu la conjoncture difficile qui a marqué ces dernières années. Dans quelle mesure ces écosystèmes ont réussi à renforcer leur capacité d’adaptation, ont ouvert de nouvelles opportunités ou ont créé de la valeur additionnelle?

L’industrie du textile et d’habillement s’est inscrite dans la logique des écosystèmes du PAI depuis 2016. C’est un secteur qui est resté résilient malgré de nombreux chocs. Néanmoins, son évolution est restée limitée, à cause des mêmes contraintes diagnostiquées depuis plus de 20 ans, à savoir l’absence de l’intégration en amont, la prédominance de la sous-traitance, le faible niveau de diversification des marchés et le manque de compétences.

Vu la structure du tissu industriel marocain, la performance des écosystèmes reste très dépendante de la capacité des locomotives à créer des dynamiques autour desquelles des chaînes d’approvisionnement vont s’intégrer et des PME/TPE/start-ups/coopératives, des centres de recherche ou de formation vont se greffer pour créer de la valeur.

Les locomotives apportent de la visibilité sur les opportunités d’affaires, accompagnent la mise à niveau de leurs fournisseurs, facilitent le transfert de savoir-faire et la montée en compétence. En contrepartie, elles améliorent leur performance et leur résilience tout en multipliant les impacts sur les plans économique et social. Les dynamiques de croissance de leurs écosystèmes sont liées au degré de connectivité et d’interdépendance qu’elles peuvent stimuler entre les parties prenantes et aux projets collaboratifs d’innovation, de digitalisation ou de développement durable qu’elles sont en mesure d’impulser.

La mobilisation des locomotives dans l’industrie reste centrale pour conduire les transformations et les innovations nécessaires et générer un nouveau cycle de croissance et de développement technologique, créateur de richesses et d’emplois pérennes.

Tenant compte des orientations du NMD, les établissements et entreprises publics (EEP) peuvent jouer ce rôle de locomotives qui s’inscrit parfaitement dans leur politique de développement durable, de responsabilité sociale (RSE) ou dans le cadre de la prise en compte des critères ESG (environnementaux, sociaux et de Gouvernance).

À cet effet, les EEP disposent de plusieurs leviers qui peuvent contribuer à catalyser ces écosystèmes, à travers, notamment, leur stratégie d’investissement, leur politique achat ou leurs programmes de formation, d’innovation ou de R&D.

Dans ce cadre, des initiatives sont lancées par les EEP au profit du tissu local (PME/TPE), mais se trouvent parfois limitées par le risque de dépendance ou par des difficultés liées aux capacités techniques, financières ou managériales des entreprises. La qualification du tissu local et son accompagnement appellent des efforts conjoints.

La prise en compte de l’intégration locale dans les programmes d’achat ou d’investissement des EEP, implique une préparation préalable, des programmes spécifiques et des politiques publiques bien ciblées. L’évaluation du potentiel du tissu local existant devrait intervenir au stade de réalisation des études de conception et du design des projets, afin d’opérer des choix qui, sans enfreindre les exigences d’ordre technique, budgétaire et délais, ouvrent l’accessibilité aux industries nationales.

Les spécifications techniques définies dans les cahiers des charges des commandes ou des appels d’offres, l’accès à l’information, le planning de programmation, les critères d’attribution, les conditions d’exécution et de maintenance, sont toutes des étapes déterminantes qui peuvent contenir des barrières à l’entrée, si la dimension du contenu local (*) n’est pas prise en compte.

(*) .la part des éléments locaux (matériaux, composants, produits finis, services ou main-d'œuvre) qui sont intégrés dans la fabrication, la construction ou la fourniture d’un bien ou d’une prestation.

Comment une Entreprise publique (EP) peut-elle contribuer à catalyser des écosystèmes industriels en 10 points ?

  1. Identification des secteurs industriels stratégiques en relation avec les activités de l’EP, selon différents critères (ex : performance, dépendance, résilience et impact)
  2. Par secteur industriel, un état des lieux est effectué en distinguant les chaînes d’approvisionnement matures, concurrentielles, émergeantes ou manquantes.
  3. L’évaluation du potentiel de développement du contenu local (*) dans les stratégies d’investissement, les politiques d’achat et les programmes de développement de l’EP.
  4. Des objectifs sont clairement définis pour la prise en considération du contenu local. Chaque collaborateur concerné disposant d’objectifs fixés et d’une feuille de route arrêtée.
  5. Contribution dans des programmes de mise à niveau ou de développement de chaînes d’approvisionnement locales, en synergie avec d’autres partenaires en fonction des besoins identifiés pour la construction d’écosystèmes viables.
  6. Adoption d’une politique proactive ouverte sur le tissu économique local/national, facilitant l’échange d’information de manière régulière, sur les projets en cours, les nouveaux projets en développement et les innovations technologiques réciproques.
  7. Développement de plateformes technologiques collaboratives portant sur des thématiques stratégiques associant l’ensemble des parties prenantes (universités, PME,TPE, start-ups, fonds d’investissement,..)
  8. Mise en place d’outils adaptés de monitoring, d’évaluation, de suivi et de dynamisation des écosystèmes.
  9. Accompagnement des programmes de formation, de certification et de renforcement des capacités au sein des écosystèmes.
  10. En collaboration avec des partenaires, montage de solutions pour faciliter l’accès au financement des parties prenantes de l’écosystème.

 

Les écosystèmes industriels de l’énergie verte

Le Maroc dispose des atouts essentiels pour s'affirmer parmi les principaux producteurs et exportateurs d'énergie verte en Afrique. Courant la prochaine décennie, plusieurs projets dans ce secteur verront le jour, en tenant compte des objectifs fixés au Maroc pour accroître la part des énergies renouvelables dans le mix électrique à 52 %, voire plus d'ici 2030. Les initiatives actuellement en cours, comme le programme lancé par l'Office Chérifien des Phosphates (OCP) visant à produire de l'ammoniac vert à partir de 2026 et à atteindre la neutralité carbone d'ici 2040, renforcent cette perspective prometteuse. D'autre part, plusieurs projets d'investissement ciblant le marché de l'exportation de l'hydrogène vert ont fait l’objet d’annonce ou de signature de mémorandum d’entente.

La concrétisation de ces projets, en plus des impératifs de décarbonation de l'industrie et d'autres secteurs, nécessitent l’investissement dans des équipements, dont les panneaux solaires photovoltaïques (PV), les éoliennes, les électrolyseurs, les équipements de stockage de l’énergie ou de dessalement de l’eau.

Considérant le volume et la multiplicité de ces projets ainsi que leur programme d’exécution et de maintenance qui s’étend sur plusieurs années, l’investissement dans des chaînes d’approvisionnement locales (produits et prestations) devient justifié, pour l’optimisation des coûts et des délais et pour une meilleure résilience de ces chaînes. Le développement des secteurs de l’énergie verte, particulièrement l’énergie solaire, éolienne et l’hydrogène vert, devrait générer de réelles opportunités pour le tissu industriel marocain, si les conditions nécessaires sont réunies.

Il y a lieu de noter que même si le Maroc s’est investi dans une politique de développement des énergies renouvelables depuis 2009, l’impact sur le secteur industriel est resté faible. Le taux d’intégration locale (hors ingénierie, génie civil, génie électrique et services connexes) des équipements solaires serait de 25 % pour le photovoltaïque et celui des équipements éoliens qui était de près de 40 % devrait chuter à moins de 20 %,cette année, en raison de l’arrêt de production des pales à Tanger.

Effectivement, le panorama industriel des énergies renouvelables et des électrolyseurs est actuellement dominé par un nombre très restreint de pays. La Chine, grâce à une politique déployée depuis plus d’une décennie, détient au moins 60 % de la capacité de production mondiale des technologies de fabrication de masse (p. ex., panneaux solaires photovoltaïques, systèmes éoliens et batteries), selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE).

Pour ce qui est des capacités de production des électrolyseurs, elles sont aussi essentiellement installées en Chine qui représentent plus de 40 % des capacités mondiales, tandis que l’Europe dispose de 25 %, le reste étant produit en Amérique du Nord, au Japon et en Inde.

Selon l’AIE, les capacités de production installées sont actuellement sous exploitées et ne dépassent pas 40 % pour la plupart des technologies, en particulier pour les électrolyseurs, les batteries de véhicules électriques et les camions à pile combustible, à l’exception des usines de pompes à chaleur qui sont à près de 80 % de leurs capacités. Comme la demande dans ces secteurs n’a pas encore atteint son cycle de maturité, les investisseurs ont tendance à anticiper l’évolution du marché pour préserver leur avantage concurrentiel.

PCNS

L’analyse de balance de la chaîne d’approvisionnement entre import et export démontre le bon positionnement de la Chine et de la République de Corée, dont la balance affiche un excédent de près de 50 % pour les panneaux photovoltaïques. Pour ce qui est des éoliennes, la République de Corée s’adjuge le taux le plus élevé, à savoir 80 %. Par contre, l’Europe présente un déficit sur pratiquement toutes les technologies.

Les niveaux de concentration à l’échelle mondiale des chaînes d’approvisionnement des équipements de l’énergie propre sont considérés potentiellement risqués, aussi bien pour ce qui concerne la production des équipements que l’approvisionnement en minéraux critiques. Cette tendance est confirmée avec les projets d’investissement en cours, au moins jusqu’en 2027.

Dans un tel contexte, est-il pertinent pour le Maroc de se positionner dans les chaînes d’approvisionnement mondiales de l’énergie propre ? Il y aurait au moins trois raisons pour appuyer une réponse affirmative.

Premièrement, il y a une prise de conscience mondiale quant au risque lié à la concentration actuelle des chaînes d’approvisionnement et le besoin de diversification, pour limiter les vulnérabilités qui ont été dévoilées sous l’effet des dernières crises.

Deuxièmement, l’Europe affiche un retard très visible en termes de capacités industrielles, elle a besoin de renforcer sa chaîne d’approvisionnement, en privilégiant les circuits courts à faible empreinte carbone, ce qui peut présenter un avantage pour un pays comme le Maroc.

Troisièmement, et comme cité auparavant, l’importance des projets en cours au Maroc, en plus des nouvelles opportunités qui se dessinent en Afrique, donnent du sens à l’intégration industrielle et au renforcement des chaînes d’approvisionnement au niveau local.

Ces raisons semblent valables, mais restent insuffisantes pour la construction d’écosystèmes industriels compétitifs, vu que plusieurs facteurs interviennent dans cette construction, dont l’un des facteurs est lié à la capacité de ces écosystèmes à répondre à la demande locale.

À la différence d’autres secteurs, où il est possible de construire un tissu industriel autour d’une locomotive orientée essentiellement vers le marché de l’export, dans les secteurs de l’énergie propre la taille de la demande locale et son rythme de progression sont un levier important pour attirer des investisseurs étrangers et pour garantir la viabilité des investissements industriels. Les aspects traités dans le précédent chapitre concernant l’impact de la planification des projets d’investissement et le rôle que peuvent jouer les EEP en tant que locomotives, sont fondamentaux.

Un autre facteur, qui est tout aussi important, concerne la capacité des écosystèmes industriels à s’intégrer dans les chaînes mondiales de l’innovation et du développement technologique qui aujourd’hui définissent les règles du marché.

Ces dernières années, les technologies des énergies renouvelables ont connu des évolutions importantes qui ont impacté les prix et les rendements et favorisé la généralisation de leur utilisation. Les mêmes tendances pourraient s’appliquer à la technologie de l’électrolyse pour la production de l’hydrogène vert à grande échelle, qui reste encore à un niveau de coût non compétitif. En parallèle, d’autres technologies sont à l’étude ou au stade de validation de concept, notamment pour le stockage de l’énergie ou pour la capture du C02.

Le paysage industriel est ainsi façonné par les développeurs de technologies. Les avancées technologiques à cycle court impactent dans une grande mesure la viabilité et la durabilité des investissements industriels. Les questions de régulation et de certification sont aussi centrales et peuvent constituer des barrières à l’entrée si elles ne sont pas prises en compte au niveau requis.

Ainsi, en plus des facteurs clés de l’attractivité des investissements étrangers, tels que le cadre incitatif, l’environnement des affaires, la qualification des compétences et la mobilisation du foncier, l’amélioration des infrastructures et des chaînes logistiques est nécessaire pour accompagner l’installation des projets qui, pour des considérations techniques et météorologiques précises, optent pour des territoires en dehors des zones industrielles existantes.

Le développement des écosystèmes industriels est incontournable dans l’énergie verte pour faciliter la collaboration et la synergie entre les nombreuses parties prenantes (industriels, start-ups, donneurs d’ordres, acteurs de l’ingénierie et services connexes, développeurs de solutions et de technologies, …) en vue de créer un environnement propice aux échanges de données, à l’innovation, à la proactivité et à la résilience.

Le modèle d’économie circulaire est également à considérer. Une fois que les panneaux solaires et les éoliennes atteignent la fin de leur vie utile, le recyclage, la remise à neuf et la réutilisation des matériaux intégrés limitent les flux de déchets, offrent de nouvelles opportunités d’emploi et les conditions de durabilité.

Enfin, le secteur de l’énergie verte présente des atouts importants ayant un impact direct sur le développement territorial et la création d’emplois.

PCNS

Dans le secteur du PV, 63 % des emplois sont en Chine, le reste se répartit essentiellement entre les États-Unis, l’Inde, le Japon, le Bangladesh et le Brésil. Pour l’énergie éolienne, la Chine domine avec 43 % des emplois, suivie de l’Allemagne, des États-Unis, du Vietnam , du Brésil et de l’Inde qui ensemble représentent près de 30 % des emplois.  Le Bangladesh est arrivé à faire de l’énergie solaire un secteur pourvoyeur d’emplois grâce aux programmes soutenus par les pouvoirs publics à petite et grande échelles. Il compte ainsi plus de 6 millions de systèmes solaires domestiques. De son côté, le Vietnam s’affirme en tant que leader de l’énergie éolienne dans la région du sud-est asiatique. Cette position découle de l’afflux des investissements étrangers et de la mise en place de politiques et de mécanismes financiers adaptés. Le potentiel de création d’emplois dans le secteur de l’énergie verte, avec la possibilité d’orienter les projets d’investissement vers une meilleure répartition au niveau des territoires, est un atout à prendre en considération dans le cadre du soutien apporté par les politiques publiques.

 

Conclusion

L’aspiration du Maroc à s’affirmer en tant que leader africain de l’énergie verte devrait être accompagnée d’une ambition tout aussi forte, faisant du pays un hub continental de l’industrie et des services dans ce secteur.

Les avancées accomplies par plusieurs pays dans l’énergie propre ont été généralement soutenues par des politiques publiques bien ciblées, qui se trouvent à l'intersection des politiques climatiques, énergétiques et industrielles. Construire des chaînes d'approvisionnement sécurisées, résilientes et durables exige, par conséquent, une approche holistique et coordonnée, prenant en considération les répercussions et les interactions engendrées par l'ensemble de ces politiques et l’association de l’ensemble des parties prenantes.

Par ailleurs, vu la forte concentration des chaînes d’approvisionnement, le positionnement au niveau mondial nécessite des locomotives ayant la capacité de faire émerger de nouvelles bases industrielles compétitives et résilientes et capables de stimuler et de soutenir l’innovation et le développement technologique.

Quelles sont les locomotives à même de réussir un tel pari ?

 

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