Publications /
Opinion

Back
Les instruments de Bretton Woods en mode de retrait contraint
Authors
Mohammed Germouni
August 26, 2019

La création d’instruments financiers à la Conférence de Bretton Woods, à la fin de la Seconde  Guerre mondiale, était une nouveauté pour l’époque et avait sonné la fin du chacun pour soi « monétaire », en jetant les bases d’un système de changes fixes mais ajustables reconnaissant, cependant, et dès le départ, la primauté du dollar de la nouvelle grande puissance.

Le Fonds monétaire international (FMI) devant se charger de venir en aide aux pays à la balance des paiements déficitaire, et ce qui deviendra la Banque mondiale, dénommée Banque Internationale de Reconstruction et de Développement (BIRD), pour financer le développement des pays pauvres. Ainsi, après une longue dépression, et avant la fin d’un conflit mondial effroyable, c’était le 22 juillet 1944, les pays présents s’étaient donnés « une mesure commune, une norme commune et une règle commune », pour reprendre les mots de l’économiste anglais, John Maynard Keynes, à la clôture de la conférence qu’il a organisée et supervisée, en ayant perdu le bras de fer qui l’opposait au plan américain de Harry Dexter White. Ce dernier, qui était l’ancien économiste en chef du département du Trésor américain, allait devenir, d’ailleurs, le premier directeur général du FMI, à Washington. Autant les Anglais étaient pour une seule Institution qui aurait pu gérer la monnaie mondiale sous une forme d’union de compensation internationale, réduisant ainsi les fluctuations économiques et celles des balances de paiement, autant les négociateurs américains préféraient dissocier les prêts à long terme, destinés au développement, et les prêts à court terme, destinés à la balance des paiements, défendant le principe d’un Fonds et d’une Banque.

Depuis, le nouveau système est sous domination américaine, et l’ordre monétaire repose, non pas sur une nouvelle monnaie mondiale, mais sur le dollar, biaisant la mécanique du nouvel  organisme en faveur des créanciers, à une époque, doit-on le rappeler, où  l’Amérique était pratiquement le seul prêteur au monde. Trois quarts de siècle, plus tard, la belle construction, conçue dans le petit Etat du New Hampshire, qui n’a, d’ailleurs, jamais fonctionné comme prévu, est en voie d’effilochage à son tour sous les coups de boutoir d’une administration américaine allergique à tout multilatéralisme, à l’instar des autres organismes qui avaient fait « l’âge d’or » d’un tel système. 

D’aucuns, et non des moindres, comme l’ancienne directrice générale adjointe  du Fonds, Anne Kreuger, qui ne mâche pas ses mots ou un David Lipton, plus diplomate, comme actuel directeur général par intérim, se posent la question du degré de résilience, voire la pérennité  de tels organismes, en une période où la coopération internationale d’antan commence à faire défaut, sinon à s’étioler progressivement. Et tous de signaler l’exemple de la  crise profonde que vit l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), créée en 1994, à Marrakech, pour mémoire. Son organe-clé, en charge du règlement des « différends » entre Etats- membres, est devenu tellement défaillant rendant le naguère libre-échange un simple « laisser faire», voire un laisser-aller tout court, comme l’illustrent bruyamment, notamment les épisodes successifs de la guerre commerciale entre Américains et Chinois, au cours de la dernière période, notamment. La candidate de l’Union européenne (UE) pour garder la direction du Fonds ne saurait faire illusion que le changement se passe dans la continuité d’antan.

Les euphémismes abondent pour qualifier les difficultés du moment vécues par ces organismes, et certains voudraient n’y voir, par exemple, qu’une simple phase de transition, alors qu’il s’agit,  plutôt,  d’une crise de nature institutionnelle et même politique qui accentue la menace pesant sur la stabilité déjà précaire d’un système financier international en quête de solutions nouvelles. Les formules bilatérales de coopération, prônées et préconisées comme cadre idoine, par certains, ne pourraient faire face aux déséquilibres actuels et encore moins répondre aux grands défis futurs.  Il est, ainsi, de plus en plus difficilement concevable d’améliorer la gouvernance et l’efficacité d’organisations internationales encore opérationnelles pour faire front à de nouvelles problématiques à caractère planétaire.  Face aux nouvelles formes d’hégémonisme et confrontations d’intérêts en voie de se former, à l’Ouest comme à l’Est, une partie de la réponse à venir ne pourrait-elle pas se trouver, par exemple, pour un grand nombre de pays, dans un nouveau jeu d’alliances et de solutions modulables, qui se tissent encore avec lenteur, pour s’accorder sur des règles minimales de compétition et de coopération. 

Le monde est entré dans une ère où la dette gère les économies depuis un certain temps, en passant d’une période, où le crédit permettait d’alimenter l’activité réelle, à l’actuelle où c’est la liquidité qui tend désormais à gouverner. Dans le cas d’un éventuel retrait, à peine perceptible, des engagements pris naguère à Bretton Woods, tel qu’il se dessine, et en situation du surendettement où les économies se trouvent, qu’on soit prêteur ou débiteur, tout retournement de conjoncture  génère encore plus d’incertitudes et moins de confiance pouvant déboucher, en dernier ressort, sur des crises financières. Avec un protectionnisme prenant de l’ampleur et un système multilatéral de plus en plus fragile, c’est à nouveau un encouragement à la «dévaluation compétitive» qui avait conduit, par le passé, aux conflits armés tout court. Les risques menaçant l’économie mondiale ne cessent de croître depuis la bulle sur le marché des crédits aux entreprises, la fin du long cycle de croissance aux USA et l’ombre de la déflation dans la zone euro, pour nous en tenir aux plus préoccupants. Par ailleurs, l’érosion de la coopération internationale réduit considérablement les marges de manœuvre des Banques Centrales, tant les politiques monétaires ne peuvent gagner en efficacité que couplées à des politiques budgétaires adéquates.

La solution ne  résidera sûrement pas en un retour au système de taux de change rigide, décidé il y a plus de sept décennies, mais à une formule adaptée aux évolutions significatives enregistrées depuis, afin que  le « non système », prévalant actuellement, ne continue de favoriser l’éclosion de stratégies nationales multiples ne pouvant qu’aggraver les distorsions réelles de concurrence.

RELATED CONTENT

  • November 24, 2023
    Debt in the Global South was a key point of discussion during the last annual meetings of the World Bank and International Monetary Fund which took place in Marrakesh on October 2023. Whi ...
  • November 22, 2023
    As part of the webinar series: “The Global Economy in Transition : Implications for Developing Countries”, the Policy Center for the New South is organizing a webinar titled: " The Future of Central Banks in Emerging Markets and Developing Countries” to contribute to the debate around t...
  • Authors
    November 21, 2023
    Multiple shocks faced by the global economy over the past three years have apparently shaken the conventional wisdom on gains from economic integration, and have sparked widespread calls for protectionist and nationalist policies. Is there already evidence of some ‘deglobalization’, or do the factors that underlie globalization remain strong enough despite the shocks? So far, there are no signs of an overall reversal in the long-term trend of greater global trade integration. Howev ...
  • Authors
    Ali Elguellab
    Elhadj Ezzahid
    November 1, 2023
    The role of the production network in shock propagation has been an issue of considerable interest since the Great Recession. However, the empirical literature has only focused on advanced and emerging countries. This paper aims to contribute to filling this gap by examining the case of Morocco, a developing country belonging to the lower-middle-income group. The question is whether its production network is a factor in amplifying idiosyncratic industry-level shocks or, conversely, ...
  • Authors
    October 26, 2023
    The Brazilian economy is stuck in a so-called middle-income trap—growth that stalled long before Brazil caught up with the living standards of the highly industrialized countries. After exhibiting a stellar performance in the decades before the 1980s, the economy has since been unable to sustain growth for long periods. The predicament can be summarized using a medical analogy: Brazil has been suffering from both productivity anemia and public sector bloat. On the one hand, it hasn ...
  • Authors
    Xiaofeng Wang
    October 13, 2023
    The surprising victory of Javier Milei, the unconventional ‘anarcho-capitalist’ candidate, in the August primaries ahead of Argentina’s October 2023 general election, can be largely credited to his commitment to dollarize the Argentine economy, a move perceived as the ultimate solution to bring an end to the nation's economic turmoil. The potential shift from the local currency to the dollar has sparked concerns about Argentina's bilateral currency swap line with China. This swap l ...
  • October 06, 2023
    The confluence of Covid 19 and the ongoing war between Russia and Ukraine has resulted in a troublesome surge of inflation not seen for decades. Developing nations, particularly in Africa ...
  • Authors
    Sous la direction de
    Omar Awadallah
    Muhammad Ba
    Farah Bashir
    Said El Hachimi
    Mostafa El Sayed Abo El Soud
    Saloi El Yamani
    Pierre Jacquemot
    Divine Ngenyeh Kangami
    Hafsa Maalim
    Samuel Muriithi
    Solomon Muqayi
    Brian Kelly Nyaga
    September 21, 2023
    Cette édition du Rapport économique de l’Afrique est construite autour d’une thématique d’une grande actualité : les conséquences des incertitudes et des risques aussi bien sanitaires que climatiques et sécuritaires sur les économies du continent. L’exercice est d’autant plus légitime que la recomposition de l’ordre mondial questionne la place du continent à l’échelle planétaire, sur les plans économique, social et environnemental. L’économie mondiale est confrontée à des défis glo ...
  • August 29, 2023
    Base erosion and profit shifting (BEPS) involving multinational companies is a complex, multi-dimensional problem resulting from loopholes and inconsistencies between countries’ tax systems. Addressing it requires coordinated action at the international level. Several organizations have taken initiatives in this direction, including the Organization for Economic Co-operation and Development (OECD), which, with the support of the G20, launched an ambitious project to combat BEPS in 2 ...