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Le confinement : Ni Huis clos, ni Vita è bella : un réalisme positif
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April 14, 2020

Les indicateurs sanitaires et sociaux du suivi de la maladie Covid 19 ne justifient pas, aujourd’hui, d’amplifier le sentiment d’inquiétude.  Il n’en faut pas moins s’interroger sur la façon dont une pandémie pourrait impacter, pour un certain temps, la vie au quotidien, désorganiser la société, bouleverser les repères et les équilibres, accentuer les circonstances de vulnérabilité. La déstabilisation que produit ce type de crise a été prise en compte à travers les soutiens sociaux aux plus vulnérables et à travers des dispositifs épidémiologiques censés être protecteurs, tels que le confinement.

Or, ces dispositifs ont un impact final dont la mesure ne peut être prise que progressivement : les défiances suscitées par leur mise en œuvre, le sentiment de peur, la tentation au repliement sur soi, les risques d’accentuation des vulnérabilités, l’entrave à la mobilité et à la circulation des personnes peuvent être à l’origine d’une angoisse individuelle dont la contagion peut gagner l’ensemble de la société.  La crise et son climat environnant sont vécus dans l’anxiété par de larges couches sociales. Elles se demandent si la crise va empirer, est-ce que leur situation personnelle va se détériorer. Le confinement impacte l’organisation et la gestion de l’espace de vie à domicile, engendre une vie de proximité quotidienne qui peut être porteuse de nouveaux rituels enrichissants pour le foyer ou de tensions déstabilisatrices dans les relations entre ses membres ?

Huis clos ou Vita è bella?

Cette interrogation, les impressions, parfois même les sentiments qu’elle suscite, renvoient notre imaginaire à ces scènes de pièces de théâtre ou des comédies dramatiques relatant les tourments de personnages face à des questions existentielles. Ainsi, dans Huis clos, Jean-Paul Sartre met en scène un procès où trois personnages jugent et sont jugés sur les actes qui composent l’existence. Il décrit « un enfer » dans lequel il n’y a ni bourreau, ni instrument de torture physique. Cet enfer, c’est la vie qui « se ressent, se perçoit » à travers les autres ; ce sont les individus qui font prendre conscience de nous-mêmes, de la triste réalité[1].  Dans « La vita è bella » (La Vie est belle), la comédie dramatique italienne écrite et réalisée par Roberto Bénigni où un jeune italien plein de gaieté, déporté avec son fils, vers un camp de concentration veut faire éviter l’horreur à son fils et le fait croire que les occupations dans le camp sont en réalité un jeu.

L’une et l’autre de ces pièces nous racontent l’angoisse humaine, le drame existentiel de la vie dans des contextes d’enfermement qui durent. Avec le Covid 19, nous avons probablement à faire face à une crise qui risque de durer : on voit sous nos yeux se développer des formes d’angoisse, de peur, de souffrance, liées à cette crise. Aucune famille ne semble à l’abri de cette crainte d’être contaminée par le virus, l’angoisse est masquée, mais bien présente, elle prend des formes multiples. On y trouve certains traits de ce qui est diagnostiqué par les professionnels de la santé comme symptomatique de nouvelles formes d’anxiété : le surmenage physique, la détresse psychologique... le sentiment de solitude

Nous voilà tous plongés dans une situation que nous n’avons pas choisie, privés de notre environnement, de nos distractions habituelles, avec, en prime, un niveau d’angoisse et de stress élevé. Les gens s’inquiètent pour leur avenir, pour leurs parents, pour leurs enfants. La crise, le malaise social et les menaces qu’elle engendre sur vos conditions de (manque de ressources, perte de l’emploi, exposition au risque de contamination, restriction de la mobilité, bouleversement de votre vie quotidienne, tension de la proximité familial …), tout cela fait baigner notre monde dans un halo de trouble et d’angoisse. Mais, plus évidemment encore : l’angoisse est en nous, elle est liée à notre condition. Elle est née avec l’espèce humaine, avec la conscience de notre finitude.

Les émotions alimentées par le climat ambiant s'emballent avec à la clé un stress et de l'anxiété. Les gens sont surtout dans l’inquiétude pour leur santé. Mais entre la peur de ne plus avoir d’emploi, de perdre du pouvoir d'achat, ou autre, la sarabande des perspectives sombres gagne les esprits. Les «fake news» des réseaux sociaux ont exacerbé les peurs. Face aux nouvelles alarmistes, il devient de plus en plus difficile pour le citoyen Lambda de ne pas s'inquiéter de la crise. Avec ce niveau d’angoisse, les tensions sont exacerbées par le confinement. C’est une situation de choc. Une confusion anxiogène se répand, sur fond de principe de précaution. Comme personne n’a échappé à cette crise d’une façon ou d’une autre, qu'on soit touché directement ou pas... l'inquiétude grandit et avec elle, le doute sur l’après.

Inégaux devant le traumatisme

Dans cet environnement anxiogène, nous ne sommes pas tous égaux devant le confinement. Il y a ceux qui souffrent de fragilités antérieures, une précarité sociale, des conflits familiaux une enfance difficile, des espaces de vie quotidienne étroits et mal équipés. On peut anticiper que ceux-là vont subir des chocs supplémentaires dus au confinement. Les individus qui ont acquis des actifs, un diplôme, un métier, un habitat spacieux et un environnement valorisant sauront s’organiser pour passer le cap.

C’est une rude épreuve. Bien des études de psychologues et de psychiatres ont montré combien le manque d’espace et d’intimité augmente les tensions. Les superficies en mètres carrés des logements vont compter en importance plus que d’habitude. Certains ont du mal à se réserver des espaces propres, à s’isoler[2].  Pour se préserver des tensions latentes, il faut être attentif à l’organisation de l’usage des lieux, prévoir pour chacun des zones de retrait, y compris pour les enfants. Quelques indicateurs peuvent nous renseigner sur ce rapport presque vital à l’espace de vie. Ainsi, on apprend que 35,7% des ménages urbains marocains occupent des logements de 1 à 2 pièces. 34,7% sont des logements de 3 pièces.  La taille moyenne des ménages urbains est de 4,2 personnes, 39,9% sont constitués de 4-5 personnes et 22,3% sont 6 personnes et plus.  Les logements sont vétustes : 54,8% du parc a un âge de 20 ans et plus. Des logements où une proportion non négligeable des ménages sont privés des équipements de base : 45,2% ne disposent pas de salle de bain moderne ou de douche, 4,8% sont encore privés d’électricité et 8,7% d’eau courante[3].

Une autre enquête révèle que la surface moyenne varie de 68 m2 pour la construction sommaire ou bidonville à 85 m2 pour l’appartement en immeuble. Les logements de petite à moyenne tailles constituent l’essentiel du parc logement du Maroc. Plus encore, l’enquête a mis en évidence l’existence de logements disposant de pièces non éclairées en second jour. Cette caractéristique concernait près du quart du parc urbain national en 2012.  Dans des espaces de vie aussi contraignants, la plupart des familles vont devoir faire preuve de créativité pour faire face à cette épreuve. Un peu comme la transformation d’un lieu de concentration en un univers joyeux dans le film « La vie est belle ».

Mais, ce huis clos ne risque-t-il pas de se révéler oppressant pour les familles ? Les tensions au quotidien, comme la gestion des tâches ménagères risquent de s’envenimer dans ce contexte. Surtout pour les pères qui vivent la plupart de leur temps dans l’espace public plutôt que dans l’espace privé, du fait de leur vie professionnelle ou de leur fréquentation plus élevée que leurs épouses des lieux de sociabilité (café, lieux de loisirs…). Toujours est-il que le contexte du confinement n’est pas le moment idéal pour réguler les contradictions ou les oppositions de vue sur les affaires domestiques. Les décisions importantes doivent être remises à plus tard.  C’est la solidarité qui est convoquée pour faire face à la cohabitation menacée par la propagation d’un virus sanitaire vagabond. Dans ce huit clos, il faut être attentif - contrairement au vécu des personnages de la pièce de J.P Sartre-, à organiser pour chacun des espaces de retrait, y compris pour les conjoints et les enfants, surtout s’ils sont jeunes adolescents.

En référence à l’impact d’un univers cloîtré sur l’état psychologique des individus, Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et auteur de nombreux ouvrages, en particulier sur la résilience, explique que le confinement est une protection physique pour la survie, et « constitue en même temps une redoutable agression psychique »[4].  L’agression du confinement peut provoquer des troubles. Chaque traumatisme laisse une trace dans l'organisme, qui peut marquer la personne à vie ; cela vulnérabilise et diminue le bien-être. Le traumatisme est entendu, ici, comme une atteinte profonde, comme par exemple une personne qui a pu côtoyer la mort ou être agressée par la vie.

Des psychiatres font déjà part des crises d’angoisse, à travers le monde, des bouffées délirantes induites par le confinement.  Nécessaire pour la protection sanitaire, celui-ci n’a pas les mêmes conséquences pour tous, selon les facteurs de protection psychique qui ont pu être acquis ou qui, hélas, font défaut.  Les privations d’interaction avec l’environnement ou avec le monde extérieur provoquent des décompensations, anxieuses, hallucinatoires et délirantes.  Si la solitude peut être un bienfait et guérir du stress social, le confinement est vécu en famille. Si la famille renforce ses facteurs de protection, le confinement est plus aisé à vivre. Mais si la cellule familiale est traversée par des conflits non réglés, la coexistence peut devenir difficile.

Avant le confinement, les membres de la famille ont pu éviter les conflits, en vaquant à leurs occupations chacun de son côté. Le confinement peut réveiller les problèmes non résolus et déboucher sur la violence.  Dans huit cas sur dix, ces violences sont le fait d’un homme.   L’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) a déjà relevé la résurgence de nombreuses maltraitances.  Des pays (France, Espagne…) ont renforcé leur dispositif d’alerte et de soutien aux victimes des violences conjugales. Ce phénomène de violence conjugale est très étendu au Maroc[5]. En 2019, par espace de vie, le contexte domestique, englobant le contexte conjugal et familial (y compris la belle-famille), demeure le plus marqué par la violence, avec une prévalence de 52% (6,1 millions de femmes). Cette violence enregistre même une augmentation depuis 2009. Dans sept cas sur dix (69%), les actes de violence dans le contexte conjugal sont dus à une violence psychologique, 12% des cas à une violence économique, 11% à une violence physique et près de 8% à une violence sexuelle. Dans le contexte conjugal, la pauvreté, les conflits d’intérêt matériel et le manque de communication au sein du couple sont perçus comme principales causes de la violence. Il faut, donc, créer des mécanismes et des supports d’alerte supplémentaires pour que le regard social entre dans les familles et freine le passage à l’acte de violence domestique.

Surmonter l'angoisse

Nous savons, effectivement, que nous sommes dans une épreuve de vérité. Face à ce sentiment, deux attitudes peuvent nous donner l’impression d’être rassurés. L'une relève du fatalisme : « Tout est écrit là-haut... ». Peut-on douter que cette posture - contrairement à l’apparence d’un apaisement- est source d’anxiété ? L'autre est faussement optimiste, elle mettra en pratique la très fameuse méthode Coué : « Tout va bien, soyez rassurés, ça va s'arranger... ». Peut-on douter que cette posture est aussi tronquée et anxiogène ?

Ne faudrait-il pas se débarrasser de ces deux attitudes simplistes et les dépasser ?  Sans être dans le déni, il faut se garder de sombrer dans le catastrophisme.  Se réfugier dans la croyance que tout va bien peut se révéler momentanément un antidote à l'angoisse. Etre en rupture avec la réalité ne résout pas forcément le problème. Mieux cerner ses angoisses permet indéniablement de les surmonter. Il faut connaître les remèdes et les appliquer.

Comme tous les traumatismes que l’individu peut subir dans sa vie psychique, l’épidémie provoque une adaptation. Cette capacité adaptative permet de ne plus se soumettre à l'impact que peut avoir un traumatisme sur notre propre fonctionnement, en atténuant la douleur psychique. C’est le principe de résilience. En psychologie, la résilience est « la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité »[6].   Cette notion s’applique à l’épidémie de Covid-19. Suite à cet événement traumatique, il faut absolument rester acteur pour diminuer l’impact de la blessure. C’est une attitude de protection, une façon de mettre ses effets dévastateurs à distance.

Un réalisme positif 

Ce type de crise sur le mode planétaire peut aller jusqu'à réveiller des peurs dites archaïques reliées à la survie, comme celle de ne plus avoir de toit, d'avoir des difficultés à se nourrir, à se vêtir. Pour réagir à ce système d’angoisse qui devient très sensible, qui multiplie les inquiétudes, les conduites peu raisonnables, il nous faut croire à la vertu du courage de douter, d’accepter la réalité positive de l’incertain, d’accoutumer l’esprit à la fréquentation du relatif. Ce peut être éprouvant, mais rien n’est meilleur pour l’esprit que l’exercice de sa mobilité.  Il faudrait reconnaître que l’acceptation d’une angoisse dominée peut être un appui précieux dans la recherche d’une issue réelle. En cela, la pandémie du Coronavirus peut être utile. Ni l’abstrait du hui clos, ni l’imaginaire de Vita è bella, plutôt un réalisme positif.

Cette crise peut nous inciter à modifier notre rapport à l’environnement et nos relations humaines. Elle peut nous conduire à adapter de nouvelles manières de penser l’existence. Ne répétons-nous pas que les crises sont toujours positives, voire salutaires. Dédramatisons, donc : oui le Coronavirus est une épreuve, mais nous ne sommes pas menacés de disparaître. Ces circonstances inédites vont nous obliger à trouver en nous-mêmes des ressources importantes. Comme dans toute crise, des choses positives et nouvelles vont naître, mais notre aptitude personnelle à la vie sera déterminante dans la survie et la revitalisation.

Toute crise est génératrice de changement. Ce confinement est l’opportunité de reconsidérer ce qui compte dans nos vies : famille, amitiés. Des valeurs qu’on avait un peu trop oubliées, pris dans le flux du quotidien. Nous devons réévaluer l’importance de cette chaîne humaine dont nous dépendons, mais aussi le regard que nous portons sur bien des choses simples de l’existence. Cette crise peut, donc, être l'occasion d'une formidable remise en question et l'opportunité de penser différemment. Elle invite à s'interroger sur notre vision du bonheur, et sur notre société de consommation.  Elle nous somme à davantage de solidarité, à revenir à l’essentiel, à prendre du recul et à cultiver les émotions positives. Elle exige que nous soyons mieux informés. In fine, mieux cerner cette crise permet d'atténuer l’angoisse qu'elle engendre, tout en faisant preuve de vigilance et de prudence.

 

Bibliographie :

Sylvie Angel : Mieux vivre ma vie. Editions Larousse. 2008

Boris Cyrulnick. Résilience. Connaissances de base. Avec Gérard Jorland. Editions Odile Jacob. 2012.

Jean-Paul Sartre : Huis clos. Folio

Royaume du Maroc. Ministère de l’Aménagement du Territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la Ville. Secrétariat général. Recensement général de la Population et de l’Habitat. 2014.

Royaume du Maroc. Haut-Commissariat au Plan. Deuxième enquête nationale sur la prévalence de la violence à l’égard des femmes. 2019. Communiqué du HCP.

 


[1] Jean-Paul Sartre : Huis clos. Folio

[2] Sylvie Angel : Mieux vivre ma vie. Editions Larousse. 2008

[3] Royaume du Maroc. Ministère de l’Aménagement du Territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la Ville. Secrétariat général. Recensement général de la Population et de l’Habitat. 2014.

[4] Boris Cyrulnik. Résilience. Connaissances de base. Avec Gérard Jorland. Editions Odile Jacob. 2012.

[5] Royaume du Maroc. Haut-Commissariat au Plan. Deuxième enquête nationale sur la prévalence de la violence à l’égard des femmes. 2019. Communiqué du HCP.

[6] À l’origine, la résilience s’applique à la physique : c’est la résistance d’un matériau aux chocs. Par extension, et au sens figuré, c’est une force morale ; qualité de quelqu'un qui ne se décourage pas, ne se laisse pas abattre. Boris Cyrulnic  a consacré de nombreux ouvrages à la définition de la résilience.

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