Publications /
Opinion

Back
La place de l’Afrique dans le système de règlement des différends de l’OMC: Expérience, défis et perspectives
Authors
July 2, 2019

Quelle place l’Afrique occupe-t-elle dans le système de règlement des différends de l’Organisation Mondiale du Commerce ? Les règles et procédures régulant ce système profitent-elles aussi bien aux pays en développement qu’aux pays développés, ou restent-elles l’apanage de ces derniers ? Le continent africain a-t-il les moyens de faire fonctionner un tel système ? La place marginale qu’occupe l’Afrique dans le système est-elle due à des facteurs endogènes ou à des facteurs exogènes ? Quelles sont les stratégies à mettre en place et les plans d’action à adopter pour améliorer l’utilisation par les pays africains de ce système ?

Pour initier le débat sur ces questions et tenter d’y apporter des éléments de réponse, le Policy Center for the New South a organisé, le 15 avril 2019, un Workshop international consacré à la place de l’Afrique dans le système de règlement des différends de l’OMCLe workshop, organisé en collaboration avec le Programme des Chairs de l’OMC et l’Université Mohammed V de Rabat, s’inscrit dans un contexte international marqué par la crise du multilatéralisme et le spectre d’un retour en force du protectionnisme. Il coïncide, par ailleurs, avec la première utilisation, par le Maroc, du système de règlement des différends (affaire Maroc-Acier plainte de la Turquie) et célèbre, par ailleurs, le 25ème anniversaire de l’OMC.

Structuré autour de trois panels, le workshop a réuni des experts et des chercheurs représentant l’OMC, des pays africains et des institutions basées à Genève, comme le Centre Consultatif sur la Législation de l’OMC.

Il est possible de dégager cinq points essentiels ayant marqué les interventions et les discussions des panelistes : 1) Pris globalement, les pays en développement recourent de plus en plus au système de règlement des différends de l’OMC ; 2) lequel système, pièce maitresse de l’architecture de l’OMC, fait aujourd’hui face à un risque majeur de blocage, 3) l’Afrique demeure le grand absent du système, 4) les pays africains gagneraient à s’inspirer des expériences réussies de certains pays de l’Amérique Latine ; 5) l’Afrique devrait engager des stratégies globales et proactives pour gommer les insuffisances conséquentes dont elle souffre en matière de ressources humaines capables d’utiliser le système comme un levier de défense des intérêts commerciaux de ses pays.  

Un système plus performant et inclusif

Jamais dans l’histoire des relations internationales, un « Tribunal » n’a tranché autant de litiges que ceux résolus par l’Organe de Règlement des Différends de l’OMC. Pas moins de 579 plaintes ont été soulevées devant l’OMC depuis son entrée en fonction en janvier 1995. L’activisme et la performance d’un tel système peuvent être attribués, en bonne partie, aux améliorations et transformations introduites par le Cycle de l’Uruguay. Sur ce point, Niall Meagher, Directeur exécutif du Centre Consultatif sur la Législation de l’OMC, a souligné qu’il existe, aujourd’hui, une conscience profonde chez les membres de l’OMC de l’intérêt d’utiliser le système de règlement des différends pour défendre leurs droits et avantages découlant des accords de l’OMC. Toutefois, des doutes ont été émis quant à la capacité du système de règlement des différends de l’OMC à garantir une égalité entre les pays développés et les pays en développement. Parce qu’ils ne disposent pas de moyens humains et matériels nécessaires pour l’utilisation d’un tel système, les pays en développement ne pouvaient pas en tirer pleinement profit. Pire encore, ils encouraient le risque d’en devenir les victimes. Et c’est, justement, pour pallier à cela, précise le Doyen de la Faculté de droit de Souissi, Rabat, Azzedine Ghoufrane, que les accords de Marrakech ont prévu un Traitement Spécial et Différencié(TSD) au profit des pays en développement, y compris en matière de règlement des différends. Une question demeure toutefois posée. La bonne amélioration en termes d’utilisation par le groupe des pays en développement du système est-elle attribuable au mécanisme du TSD ? La réponse est non, affirme ce dernier. Selon les données disponibles, la majeure partie des plaintes soulevées concerne les pays émergents et les nouvelles puissances et non pas l’ensemble des pays en développement.

Risque de blocage  

A côté de la problématique relative à l’inclusion des pays à faible puissance économique, le système de règlement des différends de l’OMC fait aujourd’hui face à un risque majeur de blocage institutionnel et fonctionnel. En effet, ce système est aujourd’hui vigoureusement critiqué par les Etats-Unis. Le Directeur Niall Meagher a exposé les cinq griefs invoqués par les Américains et a souligné le fait que de tels griefs n’ont pas été accompagnés par des propositions de solutions. A la place, les Américains ont adopté une stratégie de blocage du processus de nomination des membres de l’Organe d’appel, avec la menace, à terme, de paralyser cette structure. Pour sa part, Said El Hachimi, économiste à l’OMC, a situé la position américaine vis-à-vis de l’OMC dans le contexte global de la confrontation avec la Chine. Deux facteurs explicatifs ont été avancés par l’expert : d’abord, les Etats Unis contestent la qualité de PED à la Chine et n’accepte plus que celle-ci continue de profiter des avantages et prérogatives accordés aux pays en développement ; ensuite, les Américains s’opposent farouchement aux « jugements » des organes de règlement des différends, et plus spécifiquement ceux de l’Organe d’appel, dans les litiges relatifs aux entreprises étatiques les ayant opposés à la Chine.    

Si les risques encourus par le système demeurent crédibles, il convient tout de même d’en relativiser la portée. Yvan Rwananga, juriste chargé du règlement des différends commerciaux à Genève, a fait remarquer que, d’une part, le système comporte les mécanismes nécessaires à son rééquilibrage et, d’autre part, les plaintes déposées auprès de l’Organe de Règlement de Différends n’ont pas fléchi. Ceci témoigne de la continuation de la confiance placée par les membres de l’organisation dans le système, Américains y compris.

Défis pour l’Afrique et benchmarking

Les travaux du deuxième panel ont été consacrés aux défis du système de règlement des différends pour le Maroc et les autres pays de l’Afrique avec un benchmark des expériences réussies de certains pays de l’Amérique latine. Dans ses propos introductifs, l’Ambassadeur Fathallah Sijilmassi, ancien Secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UPM), a soulevé la question de la pertinence du régionalisme comme nouvelle forme de gestion du multilatéralisme des échanges commerciaux internationaux. Il a, également, mis le doigt sur la confusion souvent observée chez les pays africains entre le libre-échange et le laissez-faire. De son côté, Faisal Al-Nabhani, Conseiller à la mission permanente du Sultanat d’Oman auprès de l’OMC, a dressé un bilan de la participation des pays arabes dans le système de règlement des différends. Les statistiques avancées par l’expert font état d’une participation faible des pays arabes dans ce système, que ce soit en qualité de partie plaignante, partie défenderesse ou partie tierce. De l’avis de ce dernier, trois défis majeurs impactent l’utilisation du système de règlement des différends par cette catégorie de membres : les capacités techniques, les capacités financières et la volonté politique.

La situation en Afrique n’est guère meilleure. Le continent demeure à la marge du système. Selon Saïd Maghraoui Hassani, Directeur de la Défense et de la Réglementation Commerciale, au ministère du Commerce et d’Industrie (Maroc), les pays africains n’ont initié que deux recours commerciaux sur un total de 579 affaires ; en tant que défendeur, les pays d'Afrique ont été interpelés dans 12 affaires et l’usage du Maroc est resté limité à la qualité de défendeur. Dans ce sens, l’expert a fait remarquer qu’à elle seule la Turquie devance tout le continent africain par rapport au nombre de plaintes soulevées. Cette faible implication du continent est attribuable, pour l’essentiel, à un  déficit en capacités humaines qualifiées. Ceci explique, aussi, le recours presque systématique aux cabinets privés étrangers, à chaque fois qu’un pays africain est impliqué dans un litige devant l’OMC, ajoute-t-il.

L’impératif du renforcement des capacités africaines

Toutefois, une telle situation n’est pas irréversible. L’expérience de certains pays de l’Amérique latine le démontre amplement. Marco Tulio Molina Tejeda, représentant permanent adjoint du Guatemala à l’OMC, a rappelé le chemin parcouru par son pays en matière de développement des ressources humaines nationales qualifiées. Selon lui, le Maroc se trouve pratiquement dans la même situation qu’a connue son pays. Et celui-ci de poser cette question toute simple : pourquoi le Maroc n’a-t-il pas usé de la qualité de partie tierce pour renforcer ses ressources humaines en matière de règlement des différends à l’OMC ?

La question d’identification des démarches à entreprendre pour améliorer la participation des pays africains dans le système de règlement des différends de l’OMC a été discutée dans le troisième panel. Pour Ndiack Fall, enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop du Sénégal, il convient de procéder, au préalable, à un renforcement des capacités en matière de négociations commerciales.  L’enjeu, précise-t-il, est de pouvoir tenir dans plusieurs négociations qui, parfois, se déroulent de manière simultanée. Cela permettrait aux pays africains de jouer un rôle plus actif et de faire partie des principaux participants à l’Organe de Règlement des Différends avec, à terme, la possibilité de disposer des compétences juridiques nécessaires pour engager des procédures. Pour sa part, le Doyen Charlemagne Babatoundé IGUE, titulaire de la Chaire OMC-CIDI de Cotonou, a formulé un certain nombre de propositions susceptibles de renforcer la place de l’Afrique dans le système de règlement des différends de l’OMC, telles que la mobilisation des zones d’intégration régionale (la CEDEAO, à titre d’exemple) et la collaboration avec les universités en matière de formation des fonctionnaires en droit commercial international.

Dans sa deuxième intervention, le Directeur Niall Meager, a mis l’accent sur la contribution du Centre Consultatif sur le droit de l’OMC dans le renforcement des capacités des pays en développement et la défense de leurs intérêts commerciaux. Une contribution qui va du renforcement des capacités par la formation aux avis juridiques sur des points précis et à l’assistance dans les procédures de règlement des différends lors des litiges.

Enfin, l’auteur de cette Opinion a souligné les insuffisances qui entachent le système de règlement des différends de l’OMC. Il a, plus particulièrement, évoqué l’accessibilité du système pour les pays africains et l’applicabilité des mesures de sanctions économiques à leur égard. Des propositions susceptibles de renforcer la position de l’Afrique à ce double niveau ont été avancées.

 

Les points de vue exprimés dans cet article sont ceux de l'auteur.

RELATED CONTENT

  • November 19, 2019
    Pour le n•165 - automne 2019, Politique Internationale a interviewé Karim El Aynaoui, président du Policy Center for the New South, au sujet de la zone de libre échange continental, pour le dossier spécial « développement: les voies africaines ». Il y répond notamment aux questions suivantes : en quels termes faut-il repenser le développement  de l’Afrique ? Comment l’approche marocaine se définit-elle ? la façade atlantique de l’Afrique et l’importance de ses échanges avec l’Améri ...
  • November 5, 2019
    In this brief, we review the evidence on Morocco’s export concentration, discuss its causes, and then draw some policy implications. The main message is that Morocco needs to raise its game in some less familiar markets and move outside its comfort zone. This implies not only investments by private firms, greater efforts on export promotion by the government and professional associations, but also deeper changes within Morocco, including in its educational system. Over the past two ...
  • Authors
    Samuel Arnaud
    October 28, 2019
    Africa, as a continent of economic opportunities, is attracting foreign players. In this context, India is emerging as an important partner, especially for Eastern and Southern Africa. The complexity of its geopolitical environment combined with internal specificities motivated the revival of interest for the continent. This paper draws on historical developments between India and African countries to provide the state of play of recent linkages. Those trends are better perceived th ...
  • Authors
    Under the Supervision of
    October 2, 2019
    Africa is an economic region which holds great potential despite the risks associated with its development. Indeed, many experts agree that Africa is emerging as the new frontier for global growth. Boosted by its abundant natural resources, a young and vibrant population, strong urbanization, more stable macroeconomic conditions, more stringent economic policies, a constantly improving business climate and improving governance, Africa is on track for a structural transformation that ...
  • Authors
    Mouhamadou Moustapha Ly
    Bertrand BIO-MAMA
    July 11, 2019
    The co-author, Bertrand Bio-Mama, is an alumnus of the Emerging Leaders Program 2017. Les échanges commerciaux ont, depuis des siècles, été au cœur des enjeux économiques à travers le monde. L’histoire nous apprend, par exemple, qu’au XVIIIème siècle, la recherche de nouveaux marchés avait poussé l’Europe à aller à la conquête du monde. En effet, les échanges commerciaux représentent un instrument important, voire vital, pour la croissance de l’économie et le progrès social. De nos ...
  • Authors
    July 2, 2019
    Quelle place l’Afrique occupe-t-elle dans le système de règlement des différends de l’Organisation Mondiale du Commerce ? Les règles et procédures régulant ce système profitent-elles aussi bien aux pays en développement qu’aux pays développés, ou restent-elles l’apanage de ces derniers ? Le continent africain a-t-il les moyens de faire fonctionner un tel système ? La place marginale qu’occupe l’Afrique dans le système est-elle due à des facteurs endogènes ou à des facteurs exogènes  ...
  • Authors
    June 27, 2019
    After a long spell of slow growth in the wake of the global financial crisis, the global economy was gaining speed over 2016-2018, but this recovery is now in some danger. The likelihood of imminent recession is low but growth will be slow over 2019-2020, and growth next year presents many uncertainties. Growth is supported by the consumer for the time being, but business has become very nervous and something will have to give. There are significant and specific risks in the large e ...
  • Authors
    Juliana Suess
    May 24, 2019
    On the eve of Britain’s exit from the European Union, the country is redefining its international approach. The United Kingdom has already taken action by becoming involved in new economic commitments, new trade agreements in Commonwealth countries but also from a diplomatic point of view in West Africa. While development aid remains a focal point of its intervention in Africa, it risks being undermined by the Brexit and its economic consequences. However, the United Kingdom is now ...
  • Authors
    May 22, 2019
    The trade tensions between the United States and China will cause only minor immediate damage to their giant economies. However, tariffs have important and diverse effects on individual sectors and cause heightened uncertainty. The main adverse effects on Sub-Saharan Africa will therefore be through global investor confidence, economic growth and commodity prices, and these effects could be severe if the dispute escalates further and endangers the rules-based trading system. The tra ...