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Opinion
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est souvent présentée comme étant le système d’intégration régionale le plus dynamique du continent africain. Les Conférences des chefs d’Etat et de Gouvernement y sont régulières, les citoyens de la Communauté disposent d’un passeport commun et les discussions sur une monnaie unique sont à l’ordre du jour.
Néanmoins, le modèle de la CEDEAO souffre de deux paradoxes majeurs.
Les paradoxes africains
Le premier paradoxe qui marque la CEDEAO est le décalage entre le potentiel de la prospérité et la réalité de la pauvreté. Dans son ouvrage intitulé, « The challenge for Africa, a new vision », Wangari Maathai, prix Nobel de la paix 2004, a décrit de manière remarquable une telle situation, en affirmant que « L’Afrique est un paradoxe. C’est l’un des continents les plus riches de la planète, doté du pétrole, pierres et métaux précieux…Toutefois, la plupart des Africains demeurent pauvres, incapables de créer de la valeur ajoutée aux matières premières pour vendre des produits transformés sur les marchés, local et international, et, ainsi négocier des prix meilleurs et des règles de commerce plus bénéfiques. Ils sont piégés dans un cercle vicieux de pauvreté ».[1]
Le deuxième paradoxe consiste en l’écart considérable entre l’excellence de la construction institutionnelle et de la production normative, d’une part, et la faiblesse des actions et des réalisations communes, d’autre part. Ainsi, si le processus d’intégration économique régionale a atteint la phase de l’Union douanière depuis janvier 2015, le taux d’intégration commerciale à la CEDEAO demeure parmi les plus faibles du monde, voire de l’Afrique.[2] Pareillement, alors que la Communauté de l’Afrique de l’Ouest a procédé à la création de la première force d’interposition sous-régionale sur le continent (l’ECOMOG), la gestion des crises et la lutte contre les groupes terroristes dans la région dépendent toujours des puissances étrangères.
Ce double paradoxe risque fort d’affaiblir la riposte de la région face à la crise pandémique du Covid-19. Les quinze pays membres de la Communauté ne disposent pas des moyens humains et du matériel médical nécessaire pour mener à bien la guerre contre cet « ennemi universel invisible ». Or, le nombre de cas de contamination ne cesse d’augmenter et se rapproche inéluctablement de la barre symbolique de 10000 (dix mille) contaminations. Pire encore, parallèlement au spectre sanitaire lié au Covid-19, se profile dans la région une crise globale bien plus dangereuse. Car il y a fort à craindre que les effets secondaires de la crise sanitaire provoquent une série de crises économiques, alimentaires, voire sécuritaires. En effet, les prix des principaux produits exportés par les pays de la région, comme le pétrole, le coton, le fer et le cacao, ont connu une baisse sévère. Il existe, également, un risque élevé de voir les groupes terroristes et les velléités séparatistes profiter de la situation pandémique pour intensifier leurs actions et attaques.
Serait-il judicieux, dans cette configuration, de s’attendre à une aide internationale massive si la pandémie atteint une ampleur critique dans la région ? Pas vraiment. Vu l’état actuel de la propagation universelle de la pandémie et de la crise sans précédent du système multilatéral, les pays de la CEDEAO ne devraient surtout pas compter sur l’aide internationale. L’exemple du déficit de solidarité dont a témoigné l’Union européenne vis-à-vis de l’Italie devrait inciter les pays de la région à la vigilance et au réalisme.
Les solutions ne peuvent être qu’africaines et, surtout, régionales
Quelle solution, donc, peut-elle être envisagée ? La solution ne pourrait être qu’africaine. Il convient, ici, de se rappeler les propos du Roi du Maroc dans son discours d’Abidjan, de 2014 : « l’Afrique doit faire confiance à l’Afrique ».
Mais, comment opérationnaliser un tel concept dans le cas précis de la guerre contre la pandémie du Coronavirus ? Une stratégie régionale, articulée autour de trois mesures principales, pourrait s’avérer pertinente. Premièrement, construire sur l’expérience des pays de la CEDEAO dans la gestion des maladies infectieuses. En effet, chaque année, la région ouest africaine est confrontée à de multiples épidémies, telles que la rougeole, la méningite, la fièvre jaune et, depuis 2014, l’Ebola. Et quoiqu’il en soit des insuffisances observées, les systèmes de santé des pays concernés ont nécessairement développé une expérience importante sur laquelle il est vital de capitaliser pour gagner la guerre contre la pandémie en cours. Deuxièmement, faire de l’Organisation West Africaine de la Santé (OOAS) l’instrument principal dans la guerre contre la pandémie. Il s’agit là simplement de donner sens et substance à l’article III du protocole de création de cette Organisation qui lui assigne l’objectif « d’offrir le niveau le plus élevé en matière de prestations de soins de santé aux populations de la sous-région sur la base de l’harmonisation des politiques des Etats membres, de la mise en commun des ressources et de la coopération entre les Etats membres et les pays tiers en vue de trouver collectivement et stratégiquement des solutions aux problèmes de santé de la sous-région ». Troisièmement, approfondir substantiellement la coopération avec le Royaume du Maroc, et ce au moins pour trois raisons.
La mise en correspondance des moyens marocains et Ouest africains pour triompher dans la guerre contre le Coronavirus
La première raison est que le Maroc a développé une expérience importante dans la gestion de la pandémie. Une stratégie intégrée et proactive a été rapidement adoptée et mise en œuvre. Laquelle stratégie a le double mérite de reposer essentiellement sur des moyens nationaux et de ne pas manquer les angles morts de la crise. Ainsi, à côté d’un confinement rapidement instauré, un protocole clair de traitement a été adopté, des mesures d’accompagnement du tissu industriel national et de son adaptation à la production de matériels médicaux nécessaires ont été appliquées et un Fonds national spécial de plus de trois milliards de dollars a été mise en place. Les résultats positifs enregistrés par le Maroc grâce à cette stratégie sont aujourd’hui reconnus et salués au niveau mondial.
La deuxième raison est que le Maroc a, depuis plusieurs années, manifesté sa ferme volonté d’élargir le champ de coopération avec la CEDEAO, et ce sur la base d’un partenariat décomplexé, mutuellement bénéfique et qui mettrait l’Homme africain au centre. Les deux entretiens téléphoniques du 13 avril 2020 que le Souverain a eus avec MM. Alassane Ouattara et Macky Sall, respectivement présidents de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, qui ont porté sur le lancement d’une initiative de chefs d’Etat africains pour lutter contre le Covid-19 sur le continent, témoignent de cette constante volonté.
La troisième raison réside dans le fait que le Royaume et la CEDEAO bénéficient d’ores-et-déjà des canaux et moyens d’action nécessaires à une coopération avancée pour combattre la pandémie. Les entreprises marocaines présentes dans les pays de la CEDEAO, le personnel de la médecine militaire en mission dans certains pays de la région et les anciens lauréats Ouest africains des facultés de médecine, des écoles d’ingénieurs et des établissements d’enseignement militaire marocains sont autant de relais pour réussir une telle coopération.