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AGRF 2018 : Leadership et évaluation permanente des politiques publiques, gages de la transformation de l’agriculture africaine
Authors
Mouhamadou Moustapha Ly
Tharcisse Guedegbe
September 19, 2018

La ville de Kigali, au Rwanda, a accueilli du 5 au 8 septembre 2018 le forum de l’AGRA, devenant ainsi la capitale de l’agriculture africaine pendant ces quatre journées. Délégations gouvernementales, partenaires techniques et financiers, chercheurs, universitaires, investisseurs, producteurs, club de réflexion, entre autres, étaient en conclave pour faire l’état des lieux du secteur et mesurer les progrès accomplis sur la route de la transformation de l’agriculture africaine. 

A travers une démarche rétrospective, cette contribution se propose de présenter les faits saillants de l’agriculture africaine. Nous revisiterons les défis et proposerons de considérer le développement du secteur de l’agriculture comme étant une partie d’un système dont le développement nécessite des politiques publiques endogènes, cohérentes et soutenables. 

La croissance démographique, couplée à la jeunesse de la population du continent, représente un atout et une opportunité de capter le dividende démographique et soutenir la croissance économique. La population d’Afrique subsaharienne est la plus jeune de toutes les régions du monde : 43 % de la population a moins de 15 ans et environ 60 % est âgée de moins de 25 ans  avec le défi important que cela représente en termes d’emploi, de sécurité, d’urbanisation, de pauvreté relative (et absolue). Par-dessus tout, se pose la question de la sécurité alimentaire et du développement du secteur agricole. L’agriculture en Afrique c’est près de 70% de la population active  et environ 15% du PIB du continent . Bien que des disparités existent (Afrique du Sud / Sénégal / Côte d’Ivoire), ces données soulignent le niveau de productivité dans le secteur qui reste à améliorer pour plus d‘efficacité.

Après les indépendances, la plupart des Etats du continent ont perçu l’industrialisation comme la panacée, car cela représentait le modèle qu’il fallait suivre pour atteindre le développement économique et social. Ainsi, les décennies 1960 et 1970 ont été celles d’une stratégie de substitution aux importations dans l’objectif de protéger les industries naissantes. Le deuxième pan des politiques de développement durant les deux premières décennies a consisté également à créer une bourgeoisie urbaine à même d’être un marché viable pour les industries naissantes. Cette politique s’est souvent faite au détriment du développement du secteur agricole (les revenus des exportations de produits agricoles ont plus servi à subventionner les populations urbaines et non pas à des investissements dans les zones rurales), mais aussi à créer des situations où les industries sensées être naissantes étaient devenues des monopoles peu efficients et coûteux pour le consommateur africain. Dès lors, au fil des années, l’emploi agricole est devenu peu attractif et, surtout, synonyme d’échec pour les plus jeunes. De ce fait, l’âge moyen des agriculteurs en Afrique est actuellement élevé (60 ans), une situation considérée comme alarmante . 

La situation économique dans la plupart des Etats africains a bien évolué depuis le début du XXIème siècle, avec une croissance ainsi qu’une stabilité macroéconomique retrouvée . Comme il est de coutume de le dire sous les chaumières, la croissance économique ne se mange pas et elle doit nécessairement se refléter dans le panier de la ménagère. Se sont posées, dès lors, deux questions principales. D'abord, comment assurer à la (relative forte) population l’accès à une nourriture de qualité et en quantité suffisante. Ensuite, comment améliorer la stabilité de la croissance économique en la rendant moins vulnérable aux chocs, extérieurs et intérieurs. Une des solutions préconisées pour atteindre des niveaux de croissance moins volatiles sur le continent est, justement, d’augmenter la part d’une agriculture productive, résiliente aux changements du climat et créatrice de valeur ajoutée dans la richesse globale. 

Mesurant ces questions à leur juste valeur, gouvernants et partenaires au développement ont lancé depuis quelques années programmes et projets dédiés à la révolution de l’agriculture dans les pays du continent africain. Au niveau continental, l’Union Africaine a lancé, en 2003, le Comprehensive Africa Agriculture Development Programme (CAADP) dont l’objectif est d’atteindre 6% de croissance annuelle du PIB agricole et que les Etats allouent au moins 10% de leurs dépenses publiques au secteur de l’agriculture. La Banque Africaine de Développement (BAD) a, quant à elle, adopté en 2016 le programme Feed Africa, une stratégie dédiée à mobiliser 315 à 400 milliards de dollars EU d’investissement sur la période 2016-2025. Ces programmes viennent également en appui à de nombreuses initiatives sous-régionales et nationales telles que l’ECOWAP, qui est la politique agricole régionale de la CEDEAO (s’appuyer sur l’agriculture comme vecteur d’intégration régionale en la zone ouest du continent). 

Dans le même sillage, l’initiative AGRA (Alliance for Green Revolution in Africa) est portée sur les fonts baptismaux en 2006. AGRA a été inspirée par l’appel de feu Koffi Annan, l’ancien Secrétaire général de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) en faveur d’une “révolution verte” purement africaine voulant améliorer la productivité des petites exploitations agricoles, tout en protégeant l’environnement . L’AGRA focalise sa réflexion et ses interventions sur les petites exploitations, notamment les entreprises agricoles familiales. Ainsi, depuis 2010, l’AGRA organise un forum (Africa Green Revolution Forum, AGRF) qui est l’occasion de faire un état des lieux sur les changements attendus pour une révolution de l’agriculture africaine plus productive et profitable, aussi bien aux producteurs qu’aux consommateurs.

De pareilles rencontres sont l’occasion de faire un état des lieux, d’abord sur ce que l’Afrique attend de son agriculture et, ensuite, de mesurer les progrès accomplis par rapport aux objectifs quantitatifs fixés et, enfin, d’identifier les modes de gouvernance plus à même d’assurer la transformation structurelle des économies du continent sur la base d’une agriculture créatrice de richesse . Dès lors, l’on peut se poser la question de savoir l’état actuel de l’agriculture en Afrique. Les politiques publiques créent-elles un environnement favorable à l’objectif de révolution de ce secteur sur le continent ? Se pose, également, la question de la participation du secteur privé au développement de l’agribusiness et, enfin, dans quelle mesure une agriculture prospère pourrait constituer un vecteur d’intégration régionale.

Quel est l’état actuel de l’agriculture en Afrique ?

La valeur ajoutée dans le secteur de l’agriculture a relativement bien évolué depuis les années 1970 jusqu’à la décennie 2010. Cependant, le détail des données montre deux décennies de quasi-stagnation de la croissance de la valeur ajoutée (de 1981 au début des années 2000), situation imputable aux faibles gains de productivité. A l’échelle du continent, et en dépit du potentiel (énorme) de croissance agricole, maintes fois rappelé, la tendance actuelle est plutôt à un ralentissement de la croissance agricole (de 4,6% en 2012 à 2,4% en 2016).  

Figures 1 et 2 : Evolution de la croissance agricole en Afrique

PCNS

Pour ce qui concerne la productivité agricole, une approche comparative permet de souligner les faibles gains engrangés par rapport à certaines régions du monde (figure 3). L'exemple des céréales montre que la production par hectare en Afrique ne dépasse que très légèrement la tonne, en 2015, quand la Chine se situe aux environs de 6 tonnes. Cette évolution faible des rendements pose un certain nombre de questions et inspire certaines propositions sur lesquelles nous reviendrons plus tard dans ce document. 

Figure 3 : Evolution des rendements des céréales en Afrique en comparaison avec l’Asie

PCNS

Source : Africa Agriculture Statuts Report 2017, AGRA

 

Il se pose, également, la question du potentiel très faiblement exploité des terres cultivables disponibles. A ce jour, l’Afrique subsaharienne compte 60% des terres cultivables inexploitées dans le monde.

Comme souligné plus haut, l’agriculture est désormais considérée comme un secteur prioritaire, aussi bien par les Etats que par les partenaires au développement. Le forum AGRF 2018 a été l’occasion de mesurer les actions déjà mises en place et d’entendre les engagements pris par les Etats et autres parties prenantes en faveur d’une révolution verte en Afrique. 

La réalité actuelle c’est seulement 4% des dépenses publiques consacrées à l’agriculture (contre 14% en Asie), avec comme corollaire 6,5% des terres agricoles irriguées contre 40% de surfaces irriguées en Asie . 

A cela s’ajoute le niveau de transformation des produits agricoles qui ne permet pas une relative longue chaîne de valeur ajoutée. La figure 4 décline l’Afrique comme étant un continent qui exporte des produits agricoles primaires et importe des produits transformés sous d’autres cieux , au détriment de la richesse et des emplois potentiellement créés sur le sol africain. En effet, les importations nettes du continent en produits agricoles se chiffrent à près de 35 milliards de dollars EU (rapport Nourrir l’Afrique, BAD 2016), ce qui pose le défi de la transformation des produits localement. 

Figure 4 : Importations et exportations agricoles de l’Afrique, en milliards de dollars EU

PCNS

 

Vision et actions retenues

Tous les acteurs, des producteurs aux Etats, en passant par le secteur privé et les divers partenaires techniques et financiers, soulignent la nécessité d’une transformation de l’agriculture africaine.

Cette transformation est synonyme d’un passage d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale avec des producteurs qui pourront interagir directement avec le secteur financier, les investisseurs, les producteurs d’engrais etc. Il s’agit d’une agriculture avec un nouveau type d’agriculteurs qui ont une meilleure maitrise de l’ensemble de la chaîne, allant de l’acquisition des intrants à la production, la transformation éventuelle puis la vente finale du produit. 

1- L’agriculture devant désormais être perçue comme un métier à part entière, et non plus comme un choix par défaut. En d’autres termes, comment rendre l’agriculture attractive pour les jeunes ? Cela passera par un système éducatif et de formation qui soit en mesure de cultiver l’esprit entrepreneurial et de susciter des vocations. Rendre le secteur plus profitable et, donc, plus attractif passera par une intégration plus profonde des marchés. La question du genre a également occupé les débats dans le sens où les chiffres sont assez éloquents. Sur l’ensemble du continent, les femmes représentent plus de 50% de la force de travail et la majorité des femmes du continent (62%) travaillent dans les métiers de l’agriculture . Malgré cela, les disparités basées sur le genre persistent et sont de nature à ralentir la transformation de l’agriculture tant souhaitée. En Côte d’Ivoire, par exemple, les femmes ne représentent que 25% des propriétaires agricoles et ne perçoivent que 15% des revenus tirés de l’activité. Ces deux chiffres montrent l’urgence pour les acteurs étatiques et autres partenaires au développement à considérer cette question dans la formulation des politiques publiques. 

2- Le secteur privé devant être perçu comme un maillon important de la chaîne de valorisation agricole : le secteur financier, les producteurs d’intrants et autres investisseurs qui doivent adapter leur offre aux besoins des “agri-businessmen & women”. Le forum 2018 de l’AGRA a été l’occasion d’encourager certaines initiatives qui concernent la mise à disposition à moindre coût de certains intrants (cela passera par une production au niveau local de tels intrants comme dans le cas du Ghana qui va désormais produire l’engrais sur son sol) ainsi qu’une nouvelle génération d’assistance technique. 
 
3- Une nouvelle approche dans les politiques publiques : Mme Cristina Duarte (ancienne ministre de l’Economie du Cap Vert), s’appuyant sur son expérience gouvernementale, a souligné l’impérieuse nécessité que les plans et stratégies de développement soient endogènes. Les politiques publiques en faveur d’une transformation de l’agriculture africaine auront besoin d’une action concertée et inclusive de toutes les entités gouvernementales d’un pays donné, l’agriculture étant un secteur transversal. Le caractère transversal de l’agriculture peut être vu comme un secteur dont le développement est fortement tributaire de la qualité des politiques macroéconomiques. Comme l’a souligné M. Donald Kaberuka, les différentes composantes de la politique macroéconomique d’un pays (ou dans le cadre d’un espace d’intégration régionale), telles que la politique des changes, budgétaire et monétaire ; doivent être formulées de façon à favoriser l’investissement et le développement des débouchés pour l’agriculture et l’agro-industrie. 

4- La nécessité de l’intégration régionale : l’agriculture africaine devrait servir, d’abord et avant tout, à nourrir la population africaine. Atteindre cet objectif suppose la coexistence de deux éléments que sont la fluidité des échanges et la complémentarité des biens échangés entre les pays du continent. L'Accord de libre-échange continental (ZLEC), signé courant 2018, pose un jalon important vers l’intégration des marchés sur le continent. Si la ZLEC est un acquis très important, il n’en demeure pas moins que son effectivité semble plutôt se situer dans le long terme. Car si l’on prend l’exemple de la sous-région CEDEAO, qui est perçue comme l’un des espaces d’intégration régionale parmi les plus avancés, les défis en matière de liberté de circulation restent importants. La figure 5 donne un aperçu sur la réalité de la libre circulation des personnes et des biens dans la région ouest du continent. 

Cette réalité nous conduit à poser la question de savoir si des thèmes importants n’ont pas été occultés lors de l’AGRF 2018 ? 

La réponse à une telle question conduit à voir l’agriculture africaine comme un élément au milieu d’influences mondiales. Comme souligné plus haut, en attendant que se réalise l’intégration régionale intégrale, telle que visée par la ZLEC, les politiques commerciales entre les pays d’Afrique et leurs partenaires méritent d’être placées au premier rang des priorités. L'agriculture africaine sera influencée par la politique agricole commune, les accords de partenariat économique (APE) ou encore les subventions américaines au coton etc. 

Figure 5: Quelques barrages répertoriés sur des axes routiers en Afrique de l’Ouest 

PCNS

Source : Bordeless Alliance

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