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Policy Brief
L’océan Atlantique, dans sa partie sud, qui demeure un espace géopolitique inexploité, peut servir de nouvelle plateforme de dialogue entre le Nord et le Sud. Le Royaume du Maroc, stratégiquement placé dans cet espace, peut exploiter sa façade atlantique afin d’insuffler une nouvelle dynamique à sa relation avec l’Amérique latine pour le renforcement des échanges politiques et économiques dans le sud global.
Les relations entre le Maroc et les pays de l’Amérique latine connaissent un changement notable et la mise en place de plateforme régionale autour de l’Atlantique Sud peut inciter les pays d’Amérique latine à échanger non seulement avec le Maroc mais aussi avec l’ensemble des pays africains appartenant au même espace Atlantique. Le leadership marocain dans la construction, la conceptualisation et l’animation de l’Atlantique Sud comme espace géopolitique prospère est un positionnement stratégique judicieux dans le contexte actuel de changement majeur des relations internationales et des alignements géopolitiques au Nord.
INTRODUCTION
Au cours des cinq derniers siècles, l’océan Atlantique a été l’épicentre de l’activité économique mondiale. À partir de l’année 1500, et au moment de la découverte du Nouveau Monde, les puissances atlantiques, d’abord en Europe occidentale puis aux États-Unis d’Amérique, ont acquis une dimension globale.
Le commerce transatlantique a joué un rôle clé dans ce développement, transformant l’Europe occidentale, alors région périphérique de la masse continentale eurasienne, en un acteur économique mondial et central.
Entre les années 1500 et 1800, les pays d’Europe occidentale ont connu une ère sans précédent de croissance économique, conduisant à la « première grande divergence »1, rendant cette région nettement plus riche que l’Asie et l’Europe de l’Est au début du 19e siècle.
De ce fait, les relations transatlantiques ont souvent focalisé sur les liaisons Nord-Nord dans l’espace atlantique. À la lumière d’une géopolitique bouleversée par l’émergence du Sud dans les relations internationales, et des changements économiques et démographiques autour de cet espace, il semble maintenant opportun d’élargir la vue de l’Atlantique en explorant sa « dimension verticale »,2 y compris sa moitié Sud.
Cette perspective offre la possibilité d’examiner l’ensemble de la région atlantique, non seulement en termes géographiques mais comme un espace géostratégique et géoéconomique caractérisé par ses enjeux et ses défis spécifiques. Dans ce sens, la construction d’une relation entre le Royaume du Maroc et les pays d’Amérique latine pourrait se faire autour de cet espace de l’Atlantique Sud et servir de catalyseur et d’accélérateur des échanges politiques et économiques.
Si, à un certain moment de leur histoire certains États de l’Amérique latine ont été hostiles à l’intégrité territoriale du Royaume, les relations entre le Maroc et la partie sud du continent connaissent un changement notable depuis la visite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI dans la région en 2004.
En se rendant au Mexique, au Pérou, au Brésil, en Argentine et au Chili, le Souverain a ainsi insufflé une nouvelle dynamique aux relations entre Rabat et ces pays dans les domaines politique, économique, commercial et culturel. Si des pays d’Amérique latine soutiennent le Polisario, comme Cuba et le Venezuela, la plupart des Capitales de cette région appuient le processus onusien qui appelle à trouver une solution juste et sage au conflit.
Nous pouvons aussi dire que les idéologies sud-américaines révolutionnaires et anticoloniales des années 60, qui s’alignaient sur l’idéologie surannée de la ‘’République sahraouie’’ fantomatique, font de plus en plus place à des discours pragmatiques basés sur le respect mutuel et les intérêts économiques communs, ce qui s’aligne cette fois-ci sur la position du Royaume du Maroc. Aujourd’hui, les clivages politiques et les dynamiques internes en Amérique latine appellent à une approche au cas par cas et à une connaissance plus fine de la région.
La création d’espace géopolitique commun entre l’Amérique latine et le Maroc est aussi une stratégie à envisager afin de créer des plateformes de dialogue et des marqueurs d’identité partagés. Dans ce sens, le caractère fédérateur de l’Atlantique et sa portée politique dans la question du changement climatique, des énergies renouvelables et de la sécurité internationale peut s’avérer être un vecteur puissant d’intensification des rapports entre le Maroc et ses voisins de l’autre rive de l’océan Atlantique.
Renforcer les liens économiques transatlantiques entre le Maroc et les pays d’Amérique latine est une stratégie gagnante pour le Royaume du Maroc qui voit s’amorcer de nouvelles dynamiques avec ce continent. Plusieurs pays d’Amérique latine reconsidèrent leur position politique vis-à-vis du Maroc à la lumière des récentes avancées du pays aux niveaux géoéconomique et géopolitique.
Au niveau multilatéral, la mise en avant du caractère atlantique commun pourrait servir de catalyseur à la construction d’un avenir commun et à la création d’un espace de coopération idoine pour les échanges économiques et politiques avec l’Amérique latine.
Repenser et affirmer l’appartenance atlantique du Maroc pourrait s’avérer bénéfique au niveau géopolitique, afin de créer un cadre de coopération commun entre les deux rives de cet océan. Les verrous stratégiques étant nombreux à l’Est et au Sud, le potentiel de développement d’une doctrine atlantique au niveau politico-militaire et socio-économique peut s’avérer judicieux.
Comme nous le verrons, le développement d’une industrie pérenne et l’investissement dans des pays d’Amérique latine à fort potentiel pourrait être une belle ouverture pour le tissu économique marocain et la base d’une relation renouvelée avec les pays d’Amérique latine et pourrait conduire à une stabilité politique et économique dans l’espace atlantique, prélude à la conceptualisation de cet espace comme zone de coopération Sud-Sud et d’échange.
Les échanges économiques comme base de la percée du Maroc en Amérique latine
Si le Maroc a fait de la coopération Sud-Sud un choix stratégique à travers la consolidation de ses relations politiques et la diversification de ses partenariats avec les pays du Sud, en particulier avec l’Afrique, l’Amérique du Sud occupe une place non moins importante dans la vision de la politique étrangère du Maroc en vue de renforcer l’ouverture du Royaume sur les pays issus de différentes zones d’importance géopolitique.
La récente percée de la diplomatie marocaine en Amérique latine n’est ni anecdotique ni fortuite. Elle est le fruit d’un long travail de diplomatie officielle, parallèle et économique afin de faire connaitre les positions et les atouts du Maroc dans les différents pays de la région.
L’Uruguay a été le premier pays latino-américain à établir des relations diplomatiques avec le Royaume du Maroc en 1959. Après avoir cédé au chant des sirènes (Polisario), Montevideo engage une nouvelle dynamique dans ses relations avec Rabat et considère que le Maroc, qui est doté d’une position géographique stratégique, est la porte d’entrée vers les marchés africains et le monde arabe. Cette percée du Maroc a été rendue possible grâce à une diplomatie entreprenante et multidimensionnelle.
À côté des efforts menés par les ambassades du Royaume, des actions de diplomatie parallèle, soutenues et de longue haleine, sont entreprises, entre autres acteurs, par les deux Chambres du Parlement et par des composantes de la société civile. Pour le Brésil, géant d’Amérique latine allié historique du Maroc, les exportations des produits marocains ont enregistré une hausse phénoménale passant de US$ 655 millions, en 2016, à US$ 2,05 milliards en 2022.
L’exemple des relations maroco-brésiliennes mériterait d’ être reproduit avec les autres pays d’Amérique latine comme base de la construction d’interdépendance vertueuse. Quant à l’Argentine, les échanges commerciaux en 2022 ont atteint US$ 1,5 milliard, soit une hausse de 48 % par rapport à 2021. Ces échanges commerciaux, à l’aune de la prise de maturité de l’industrie marocaine, seront forcément fructifiés.
Cette stratégie de construction de relations saines sur la base d’échanges économiques peut s’avérer fructueuse avec les pays d’Amérique latine qui ne sont pas traditionnellement acquis à la cause du Maroc. Le Pérou est un exemple de la manière dont les dynamiques politiques et les relations avec le Maroc sont peu à peu en train de changer à l’aune des opportunités et des avancées réalisées par le Maroc.
Auteur d’un volte-face politique sur la question du Sahara marocain en 2022, Lima avait retiré sa reconnaissance à la pseudo RASD pour la reconnaitre à nouveau un mois plus tard. Cet imbroglio avait même provoqué la démission du ministre des Affaires étrangères péruvien Michel Rodriguez Mackay.
Pourtant, selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), publié en août 2022, la moitié de la population du Pérou est en situation d’insécurité alimentaire modérée, soit 16,6 millions de personnes. Et plus d’un habitant sur cinq, soit 6,8 millions, sont en situation d’insécurité alimentaire sévère. La logique politique voudrait donc que le Pérou, en pleine crise alimentaire, se dirige vers des partenaires fiables et à même d’aider à régler cette question.
Le Maroc qui se place en porte-étendard de la sécurité alimentaire et dispose de fortes capacités d’exportations d’engrais et d’expertise en matière de gestion des sols devrait être un partenaire crucial pour Lima. Alors que le Maroc était prêt à venir en aide au Pérou sur ce dossier et lui éviter de sombrer dans une crise alimentaire majeure, le pays sud- américain a opéré un rétropédalage incohérent sur la question du Sahara.
La construction de partenariat fiable et la mise en avant de l’utilité économique du Maroc pour les pays sud-américains sont au cœur de cette stratégie de reconquête diplomatique et politique de ce continent. La question du Sahara est centrale dans l’approche marocaine. Elle est la boussole qui guide la politique étrangère du Royaume.
En Amérique latine, nous avons vu que la construction de liens économiques a permis de faire bouger les lignes dans plusieurs pays . Cette dynamique positive est renforcée par une diplomatie officielle et parlementaire active. Elle devrait être agrémentée par des efforts afin de rapprocher les peuples et procéder à des échanges culturels soutenus, notamment autour de la communauté hispanophone marocaine qui peut rapidement dépasser la frontière linguistique sur ce continent.
Avec plus d’Un million et demi de locuteurs en 2018, le Maroc se classe comme le deuxième pays non hispanophone, après les États-Unis, à compter le plus grand nombre de personnes disposant de notions en espagnol sans qu’elle soit leur langue maternelle.
L’Atlantique Sud : région d’avenir pour les relations Maroc-Amérique latine
L’Atlantique Sud relie naturellement l’Amérique du Sud à l’Afrique. Il constitue un espace stratégique d’échanges politiques, techniques et commerciaux entre les deux continents.
Considéré historiquement comme une région commerciale impliquant l’Europe, l’Amérique latine et l’Afrique, l’océan Atlantique reprend son importance géo-économique et géopolitique en raison de ses grandes ressources naturelles, ainsi que du retournement de la géopolitique vers le Sud et l’intérêt croissant des pays de la région pour la coopération Sud-Sud.
La réaffirmation de la souveraineté des pays du Sud sur leurs eaux territoriales, le maintien de la sécurité océanique nécessaire à la navigation et le blocus de toute initiative de militarisation de ces espaces maritimes par l’action de puissances extra régionales s’imposent donc comme un prérequis à la construction de cet espace comme catalyseur de la relation entre le continent africain et l’Amérique latine.
Dans ce sens, l’Atlantique Sud, en plus d’être une route commerciale et un espace géoéconomique important, est aussi un pôle de développement. Dans ce contexte, il convient de rappeler que la projection sud-américaine, surtout brésilienne, vers l’Afrique et l’Asie est suivie par celle de la Chine et de l’Inde vers l’Afrique et l’Amérique du Sud.
L’Atlantique Sud apparaît alors comme une plateforme pour la création de partenariats stratégiques entre les pays riverains et entre eux et les États asiatiques, ce qui s’avère décisif pour le développement des politiques de coopération Sud-Sud. Dans la dynamique de ces routes politiques, le continent africain est perçu comme un point de convergence des coalitions du Sud.3
L’espace atlantique à son sud en tant qu’espace géopolitique inexploité peut servir de nouvelle plateforme de dialogue entre le Nord et le Sud. Avec les distances qui se rétrécissent avec la maritimisation du monde et la formidable expansion du commerce international, l’océan Atlantique peut être considéré comme un fleuve où de nouveaux dialogues peuvent émerger sur de nouveaux récits et postures en matière de développement et de monde en développement.
La nécessaire synergie entre croissance économique et transition énergétique, et les nouveaux paradigmes de la migration imposent une approche pan-atlantique de ces enjeux et un engagement plus fort dans le dialogue et la coopération entre atlantiques nord et sud.
Dans ce sens, le dialogue Maroc-Amérique latine et, plus largement, Afrique-Amérique latine, revêt une importance primordiale dans la nouvelle donne géopolitique mondiale. Les défis du changement climatique et de la refonte du système économique mondial sur une base plus écologique imposent l’espace atlantique comme une région d’avenir où le commerce et la coopération entre les rives sud de cet océan peuvent écrire un nouveau chapitre de son histoire.
Au niveau sécuritaire, Il n’y a pas d’équivalent dans l’Atlantique du risque de guerre nucléaire en Asie-pacifique, du conflit indo-pakistanais ou de la concurrence stratégique en Mer de Chine. Pourtant, à l’avenir, l’activisme diplomatique croissant de Pékin et ses intérêts dans la sécurité maritime dans d’autres zones de tension, sont susceptibles d’attirer de nouvelles puissances dans les eaux de l’Atlantique Sud, par précaution ou par anticipation.
Le point à souligner ici est que le développement économique dans l’Atlantique Sud est une condition préalable à la stabilité mondiale et à la promotion de la paix dans cette région. Les défis sécuritaires doivent toujours être relevés en s’attaquant aux sources de l’instabilité et de la violence.
Le Royaume du Maroc, fort des gains stratégiques qu’il a notamment acquis en Afrique, adhère à cette vision pragmatique de construction d’interdépendance économique sur la base de pactes économiques bilatéraux et régionaux fondés sur la durabilité et l’intérêt mutuel. Les relations économiques avec l’Amérique latine s’inscrivent parfaitement dans cette doctrine marocaine voulant mettre l’accent sur la coopération Sud-Sud et sur la création d’espace de coopération nouveau comme celui de l’Atlantique Sud. Comme le soulignait le Souverain marocain lors du 4ème sommet Monde Arabe-Amérique latine :
« Les relations arabo–sud-américaines doivent constituer les bases fondatrices d’un partenariat multidimensionnel, et favoriser l’exploitation judicieuse des richesses naturelles et des potentialités humaines que recèlent les pays des deux ensembles. Il faudra pour y parvenir prendre des mesures incitatives en faveur des investissements, encourager les échanges commerciaux et renforcer le rôle des opérateurs économiques, dans les secteurs public et privé, pour insuffler une dynamique nouvelle au partenariat que nous appelons de nos vœux ».
Sur la base de cet agenda commun, les objectifs seront la construction d’un modèle de coopération Sud-Sud, la mise en place d’un partenariat économique gagnant-gagnant et le lancement de projets communs pour le développement humain et social.
Le Maroc est conscient de ce potentiel, et plusieurs forums et initiatives voient le jour pour renforcer l’identité atlantique du Maroc. Il est à souligner que la part de l’Amérique latine dans le commerce extérieur du Maroc reste faible et que pour certains pays de cette région le Maroc est quasi « terra incognita ».
Pour pallier ce déficit de connaissance mutuelle et renforcer le sentiment d’une appartenance commune, la création de forums et d’initiatives transatlantique Sud-Sud peut être un levier puissant du raffermissement de la relation entre le Maroc et la région sud-américaine.
Par exemple, la révision de l’Initiative tricontinentale atlantique de 2009 pourrait être une bonne étape normative pour penser l’océan Atlantique comme un espace géopolitique clair et défini.
Ce forum international qui s’est tenu au Maroc a déjà souligné le caractère systémique de la rupture que connaît le monde, et comment elle exige une responsabilité mutuelle ; elle appelle des solutions concertées des principaux acteurs du système, d’où doit émerger une gouvernance collective renouvelée.
Cette gouvernance basée sur un Sud nouveau et qui s’affirme comme acteur actif des relations internationales doit se manifester dans l’espace atlantique où les puissances nord-américaines et européennes ont souvent été les acteurs principaux.
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1. Acemoglu, Daron; Johnson, Simon; and Robinson, James. December 2002. “The Rise of Europe. Atlantic Trade, Institutional Change and Economic Growth,” NBER Working paper, No. 93778, p. 1. 7 Smith, Adam. 177.
2. Dassù, Marta. 2012. “Why the West should be enlarged.” https://www.aspeninstitute.it/aspenia-online/article/why-westshould-be-enlarged Policy Brief - N° 24/23 - Juin 2023
3. The South Atlantic, Southern Africa and South America: Cooperation and Development Analúcia Danilevicz Pereira Austral: Brazilian Journal of Strategy & International Relations | e-ISSN 2238-6912 | ISSN 2238-6262| v.2, n.4, Jul-Dec. 2013 | p.31-45.