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L’Afrique et les DTS
March 13, 2023

Les pays membres du FMI (Fonds monétaire international) ont décidé en 2021 de créer une nouvelle tranche de DTS pour une somme équivalente à 650 milliards de dollars. En appliquant les règles habituelles du Fonds, l’Afrique prise globalement n’en recevrait qu’une faible part (33 milliards). C’est pourquoi un certain nombre de pays avancés ont proposé de reverser à l’Afrique une part de leur nouvelle allocation de DTS, afin que le continent africain reçoive au total 100 milliards de dollars.

L’objet de ce Policy Brief est de faire le point sur ce sujet. Où en est-on, où allons-nous dans cette opération de réallocation ? Comment se passe-t-elle concrètement ? Le papier fait un certain nombre de recommandations concernant 1/ les conditions d’accès des pays africains à ces nouveaux financements, 2/ l’opportunité à travers le redéploiement partiel des DTS de plus et mieux impliquer les banques multilatérales africaines de développement, 3/ la possibilité de modifier les règles d’attribution des nouveaux DTS.

INTRODUCTION

En août 2021, le FMI a approuvé une nouvelle allocation de DTS (Droits de tirage spéciaux) pour un montant équivalent à 650 milliards de dollars. C’est la 4ème mais la plus importante allocation depuis la création des DTS en 1969. À titre de comparaison, celle de 2009, adoptée après le déclenchement de la crise financière mondiale de 2007-2008, ne se montait qu’à 40 % de celle d’août 2021.

L’ampleur de cette nouvelle allocation a été justifiée par plusieurs arguments : la pandémie de la COVID-19 et l’accès à de nouveaux financements pour y faire face ; le financement de la croissance et du développement après la récession quasi générale de 2020 due justement à la crise sanitaire ; la crise climatique et l’impératif de la transition énergétique et écologique. La guerre en Ukraine a démarré en février 2022, donc bien après la décision relative à cette nouvelle allocation de DTS. Mais disons que, par ses conséquences mondiales sur les prix de l’énergie et les prix alimentaires, elle la rend encore plus indispensable.

Ce montant de 650 milliards est à la fois significatif en valeur absolue et modéré en valeur relative puisqu’il représente 0,6 % du PIB mondial de 2021. On pourrait aussi être tenté de comparer ce montant rendu modeste au regard des flots de liquidités déversées par les banques centrales depuis 2009 au titre des politiques monétaires non conventionnelles (« quantitative easing ») et de l’explosion des bilans de ces banques centrales qui en a résulté. Mais, là aussi, comparaison n’est pas raison. De nombreuses ONG auraient souhaité une création plus large de nouveaux DTS. Mais en rester au niveau indiqué a été aussi la manière de lever les réticences du Congrès américain, souvent assez mal disposé à l’égard de tout ce qui touche au FMI et aux questions de financement du développement.

Le débat central concerne moins le niveau global de cette allocation que sa répartition entre les pays membres du FMI. Le principe général appliqué aux injections de DTS depuis leur création et dérivé des statuts du Fonds est clair, presque trop clair : les allocations de DTS sont réparties entre les membres selon la quote-part de chaque pays auprès du Fonds, quote-part elle-même calculée à partir de plusieurs critères macroéconomiques dont principalement le PIB. Cette clef de répartition a le mérite d’être simple. Elle a le gros inconvénient d’engendrer un cercle vertueux dont profitent les pays avancés (la richesse appelle la richesse, l’accès aux liquidités devient cumulatif pour ces pays avancés via leur détention de DTS), et symétriquement un cercle vicieux pour les pays à faible revenu (PFR), tout spécialement du continent africain : leurs contraintes de financement ne sont que marginalement desserrées par la création de nouveaux DTS.

Pour corriger de tels effets de distribution qui ne font qu’accentuer les écarts entre pays avancés et PFR, certains pays du G7 ont proposé dès 2021 de reverser aux PFR une partie de leur nouvelle dotation de DTS. Nous allons dans cette Note faire le point sur la question, aborder les voies et les conditions d’un tel redéploiement avant d’en tirer quelques recommandations.

L’ÉTAT DES LIEUX

Spontanément, c’est-à-dire avant toute réallocation, l’Afrique prise globalement devait recevoir un montant de DTS équivalent à 33 milliards de dollars, soit environ 5 % de la nouvelle tranche, donc un peu plus que la part du PIB africain dans le PIB mondial (autour de 3 %) mais évidemment beaucoup moins que la part de la population de l’Afrique dans la population mondiale. Avant réallocation, ces 33 milliards étaient, selon le principe de proportionnalité, répartis entre l’Afrique du Sud (4,3 milliards), le Nigéria (3,5 milliards), l’Égypte (2,9 milliards), la RDC (1,5 milliard), le Maroc (1,3 milliard)...Quant à eux, les pays du G7 reçoivent spontanément 283 milliards de dollars sur les 650 , et plus largement les pays avancés (« high-income countries ») bénéficient d’une allocation de 438 milliards.

Le continent africain a été affecté par la pandémie, avec des accès compliqués et aléatoires aux vaccins les plus crédibles, et ce malgré une population jeune donc moins exposée que d’autres aux conséquences mortifères de la COVID-19. Ses systèmes de soins ont révélé leur insuffisance. Par ailleurs, l’Afrique est spécialement exposée aux effets du changement climatique, aux conséquences de la guerre en Ukraine sur les prix de l’énergie (pour les pays importateurs) et les prix alimentaires (pour tous), sans oublier les contraintes et les besoins de financement liés à la transition énergétique. Il lui faut aussi améliorer les systèmes de santé, financer l’éducation et la formation, autrement dit prendre en charge avec des financements adéquats la production de biens communs. Le redéploiement d’une part significative de la nouvelle tranche de DTS vers les PFR et même vers certains pays à revenu intermédiaire peut, me semble-t-il, faire l’objet d’un large consensus.

Devant la modicité de la tranche destinée à l’Afrique et sous l’impulsion de la France, du Canada, du Royaume-Uni..., a été fixé dès 2021 un objectif de 100 milliards de dollars pour l’Afrique. Un calcul simple montre que pour arriver à ce chiffre, il est nécessaire et suffisant que tous les pays à haut revenu reversent à l’Afrique 20 % de leur nouvelle dotation de DTS. On voit donc que le taux de redistribution de 20 % n’était pas donné a priori mais qu’il a été la solution de l’équation à résoudre pour atteindre les 100 milliards. Globalement parlant, on se rapproche progressivement de l’objectif. Le montant de la dotation africaine était de 45 milliards en novembre 2021, de 60 milliards en février 2022 d’après les informations données par la directrice générale du FMI. A la date de février 2023, la somme est de 80 milliards. Ces chiffres correspondent à des engagements annoncés du côté des donateurs. Pour des raisons techniques, institutionnelles,...il peut y avoir un délai non négligeable entre le transfert annoncé et la date de son effectivité.

100 milliards de dollars, cela peut paraître marginal au regard de l’endettement et des besoins de financement des pays africains. Marginal, au regard du montant de 425 milliards de dollars que le FMI estimait en 2021 indispensable pour que les pays africains relèvent les principaux défis rencontrés. Une estimation à revoir à la hausse en 2023 si l’on intègre les conséquences pour le continent africain de la guerre en Ukraine. Marginal aussi si l’on compare le chiffre de 100 milliards aux sorties de capitaux d’Afrique à la suite du resserrement monétaire dans les pays du Nord depuis 2021-2022 ( de la part de la Fed, de la BCE et des autres banques centrales des pays avancés). En fait, ce chiffre de 100 milliards est plus un symbole de soutien et de solidarité Nord/Sud. Un geste appréciable en temps de pandémie, d’inflation, de mobilisation contre le réchauffement climatique et de lutte contre le terrorisme. Une telle somme doit être prise comme un signal clair et appréciable, qui était absent lors des trois précédentes tranches de nouveaux DTS (des tranches plus modestes surtout pour les premières). Tout cela ne peut modifier qu’à la marge les équations de financement et les conditions d’ajustement entre l’épargne et l’investissement pour les pays africains.

Si l’on raisonne maintenant par pays, le Canada, le Royaume-Uni et la France s’en tiennent strictement au taux de réallocation de 20 %. À eux trois, ces pays transfèrent vers l’Afrique 14 milliards de dollars. Le Japon affiche un taux de réallocation de 10 % (soit 4 milliards de dollars), alors que la Chine s’engage sur 10 milliards. L’Allemagne, réticente face à tout ce qui pourrait s’apparenter à une création monétaire non gagée a priori et avec certitude par un impact sur l’économie réelle (l’investissement, la croissance, l’emploi), hésite. C’est pourquoi elle a décidé de contribuer aux fonds fiduciaires par lesquels transitent les DTS recyclés non pas en prenant sur sa propre allocation de DTS mais via des ressources budgétaires. Au regard des responsables et de l’opinion publique allemande, les apparences sont sauves...Quant aux États-Unis, ils ont décidé de contribuer aux fonds fiduciaires mais sans chercher à respecter le ratio conseillé de 20 %. Le Sénat américain, bien que contrôlé par les démocrates (mais, sur ces sujets-là, y a-t-il en pratique une grande différence entre Républicains et Démocrates ?), avance prudemment sur le sujet. Sa participation pleine et entière suffirait à toucher la cible des 100 milliards.

LA MISE EN ŒUVRE : LE DIABLE EST DANS LES DÉTAILS

Parmi les raisons qui avaient poussé au lancement des DTS, deux avaient été mises en avant :1/la crainte d’une pénurie de liquidités internationales et la volonté de compléter les liquidités en dollars, à une époque où le système monétaire international était encore, et jusqu’à la rupture entre le dollar et l’or d’août 1971, un système d’étalon de change- or. Accroître les liquidités internationales pour soutenir la croissance mondiale, telle était l’idée de départ. 2/la volonté justement de réduire un peu le rôle international du dollar via la création du nouvel instrument financier qu’est le DTS.

En 2022-2023, que peut-on dire au regard de ces deux arguments ? La pénurie, potentielle ou réelle, de liquidités internationales a laissé la place à une situation de grande abondance : multiplication des guichets d’accès aux financements auprès du FMI, selon les cas avec ou sans conditionnalité ; croissance exponentielle de la masse monétaire mondiale (c’est un concept plus qu’une statistique...) avec , à partir de 2009, les politiques monétaires non conventionnelles (le QE) et l’explosion des bilans de la Fed, de la Bce et des autres grandes banques centrales. L’abondance de liquidités dans le monde est aujourd’hui, non pas la cause (comme dans les schémas monétaristes à la Milton Friedman), mais la condition permissive, facilitatrice donc, du rebond de l’inflation qui provient pour l’essentiel des prix de l’énergie et des prix alimentaires. Quand je parle d’abondance, voire d’un excès de liquidités au plan mondial, cela ne préjuge en rien du diagnostic à porter selon les régions et les pays. Globalement parlant, l’Afrique, compte tenu de son endettement, de la fuite des capitaux accentuée par le resserrement des politiques monétaires au Nord, a besoin d’accéder à des liquidités en dollars, en euros...à des taux d’intérêt pour partie concessionnels, justement au moment où les taux d’intérêt grimpent un peu partout dans le monde sur le court et le long termes. L’abondance monétaire au plan macroéconomique s’accompagne d’énormes effets de distribution entre zones, qui plongent nombre de pays africains dans une situation de pénurie de liquidités internationales. Une pénurie qui ne peut pas être « compensée » par des politiques monétaires internes accommodantes, voire laxistes. C’est même plutôt l’inverse qui prévaut : le laxisme monétaire domestique dans les pays émergents ou en développement, en alimentant l’inflation, les attaques spéculatives contre la monnaie et la dépréciation du change, rend plus compliqué l’accès à des liquidités vraiment internationales.

Quant au second argument, la volonté via les DTS de réduire le rôle international du dollar, il n’a pas été atteint. Le billet vert représente encore 60 % des réserves de change des banques centrales dans le monde, un chiffre qui n’a que peu baissé depuis vingt ans. Dans le panier de cinq monnaies (dollar, euro, livre sterling, yen, yuan) qui constitue le DTS, le poids du dollar a même récemment augmenté : de 41,7 % lors de la revue de 2015, il est passé à 43,4 % avec la dernière actualisation, celle de 2022, et ce au détriment de l’euro, du yen et de la livre sterling.

Le DTS est défini et calculé comme le panier des cinq principales devises pondérées par leurs rôles respectifs. Est-il pour autant une vraie monnaie ? La réponse à cette question n’est pas indifférente pour les pays receveurs de DTS, puisque l’utilisation possible de cet instrument dépend de son statut et de son rôle. C’est seulement dans l’hypothèse où les bénéficiaires de l’allocation échangent rapidement leurs DTS contre l’une de ses composantes, par exemple contre dollars, ou contre une devise non intégrée dans le panier, que l’ambiguïté monétaire du DTS cède la place à la certitude monétaire puisque chacune des devises intégrées ou non dans le panier est une monnaie réelle et complète car exerçant toutes les fonctions traditionnelles de la monnaie. Le DTS demeure aujourd’hui un instrument financier hybride. Comme le disait à l’époque Michel Debré, alors ministre français des Finances, le DTS est comme un zèbre : blanc ou noir, en l’espèce monnaie ou actif non monétaire en fonction de l’angle adopté ? Même si toute nouvelle tranche de DTS relève d’un processus de création monétaire quasiment « ex nihilo »,-ce phénomène additif sous-tend la création même de l’instrument- le DTS demeure en l’état une monnaie partielle. Il est adossé au FMI qui n’est pas une banque centrale (contrairement à ce que suggérait à l’époque le plan Keynes). Il remplit certes la fonction d’unité de compte (pour la comptabilité du FMI, de la Banque mondiale, d’autres banques de développement, etc.) et éventuellement celle de réserve de valeur. Mais il ne satisfait pas la fonction centrale et spécifique de la monnaie, celle d’intermédiaire entre les échanges. C’est la raison pour laquelle, à la différence de certains autres économistes, il me parait impossible de reconstruire le système monétaire et financier international autour du DTS tant qu’il reste défini comme un panier de monnaies. Une monnaie-panier de monnaies, pour beaucoup de raisons, n’a pas vocation en tant que telle à exercer la fonction d’intermédiaire entre les échanges pour laquelle, en termes de coûts de transaction, elle est dominée par ses composantes. Car la composition-décomposition- recomposition incessante du panier engendre, malgré les nouvelles technologies, des coûts de transaction élevés. Donc une monnaie-panier risque de demeurer une monnaie partielle. On l’a bien vu en Europe avec l’ECU, monnaie-panier et monnaie partielle, en place avant l’arrivée de l’euro, elle-même monnaie complète.

DES DTS POUR FINANCER QUOI ?

Le traitement comptable des DTS, dans les comptes du FMI comme dans ceux des pays donateurs et des pays receveurs, donne lieu à des débats pas toujours convaincants et souvent byzantins. L’ambiguïté des solutions comptables reflète l’ambiguïté évoquée des DTS : monnaie, crédit, instrument financier non monétaire ? Plutôt que de lever l’incertitude tenant à la nature de l’instrument, il est plus intéressant de mettre l’accent sur le rôle économique de ce dernier. Les pays receveurs de DTS ont le choix entre plusieurs usages possibles :

i. augmenter leurs réserves de change. C’est par exemple l’option mise en avant par le Kenya. Dans ce cas, in fine, les DTS alloués directement comme ceux obtenus par réallocation se trouvent à l’actif du bilan de la banque centrale du pays receveur. Ils se traduisent par un accroissement de la base monétaire (monnaie banque centrale correspondant en gros au bilan de la banque centrale) et de la masse monétaire domestique, sauf si ladite banque centrale décide de stériliser l’impact monétaire de l’augmentation de ses réserves en réduisant corrélativement certains postes à l’actif de son bilan. L’accès à ces nouvelles réserves, tenant au fait que le DTS est avant tout un avoir de réserve, peut toutes choses égales d’ailleurs desserrer la contrainte externe et améliorer le rating du pays receveur. La stérilisation totale ou partielle de la création monétaire est susceptible d’indiquer aux investisseurs et aux créanciers la volonté de lutter contre l’inflation. Je n’insiste pas ici sur un aspect évoqué en 2021 et avancé par des banques centrales de pays donateurs, avec pour effet (pas nécessairement

pour objectif...) de freiner la réallocation ou de l’infléchir vers certaines directions. Un exemple parmi d’autres : Christine Lagarde, la Présidente de la BCE, avait à l’époque rappelé qu’en vertu de ses statuts, la banque centrale européenne n’est pas en mesure de disposer des DTS qu’elle reçoit. Ces DTS seraient, d’après les statuts de la BCE ou l’interprétation que l’on en donne, inaliénables. Heureusement, nous avons trouvé collectivement la parade pour échapper à ce juridisme étroit, en court-circuitant les banques centrales des pays donateurs avec la bénédiction de leurs gouvernements.

ii. accroître les marges de manœuvre des politiques budgétaires et fiscales des pays receveurs. Parce que la même somme ne peut être utilisée deux fois, le pays receveur de DTS doit choisir entre l’impact monétaire direct (i) et l’impact budgétaire direct (ii), partant de l’idée qu’au bout du compte et vu le jeu d’effets indirects, impacts monétaires et budgétaires interagissent forcément. Afin de respecter les fondements mêmes de la réallocation en cours au profit de l’Afrique, les marges budgétaires accrues ne doivent surtout pas servir à financer des dépenses courantes. Elles doivent en priorité être employées pour financer des investissements, des biens communs (santé, éducation...), pour aider à financer la transition énergétique et écologique...Il me semble que, dans l’esprit de cette réallocation, les marges budgétaires nouvelles doivent financer des dépenses publiques de long terme, plutôt qu’à réduire des déficits publics. Dans nombre de pays, ces déficits doivent être ramenés à des niveaux soutenables. Mais cela doit se faire grâce à des réformes structurelles pérennes, pas par la manne « one shot » que constitue la réallocation partielle des DTS.

iii. contribuer à financer le développement. Cette voie est possiblement une application du canal budgétaire traité en (ii), mais elle mobilise aussi des canaux non budgétaires comme les financements accordés par les banques de développement. On s’intéressera plus loin au rôle indispensable de ces banques dans l’opération en cours.

iv. Un principe doit être clairement affiché et partagé. Il revient aux pays africains receveurs, et non au FMI ou aux pays donateurs, de choisir l’utilisation qu’ils comptent faire des DTS reçus : soit l’une des trois voies précédentes, soit toute combinaison choisie par eux entre ces formules, soit d’autres approches non explicitées ici. Ne pas respecter ce principe, ce serait aller contre la souveraineté des pays receveurs et, de ce fait, restreindre fortement pour eux l’intérêt de l’ensemble du dispositif.

LES NOUVEAUX DTS : PAR QUELLES VOIES ? À QUELLES CONDITIONS ?

À partir du moment où le redéploiement des DTS ne passe pas par un jeu d’écritures entre banques centrales des pays donateurs et banques centrales des pays receveurs, deux principaux dispositifs sont à envisager : 1/ celui qui donne le rôle principal au FMI et à des Fonds spéciaux créés en son sein ;2/celui qui, de façon plus décentralisée, met les banques de développement africaines au centre de l’opération.

En pratique, dans la réallocation de DTS en cours, les deux approches sont mises en œuvre. Cependant, les banques de développement africaines n’interviennent qu’en deuxième ressort. On pense, pour les raisons développées plus loin, qu’il faudrait accroître leur rôle pour le bon déroulement de l’opération en cours.

Le FMI est assez jaloux de ses compétences dans la gestion des DTS, qui représentent l’actif de réserve dont il a la responsabilité. On comprend qu’il ait souhaité que l’essentiel du recyclage de ces DTS vers l’Afrique passe par deux fonds fiduciaires qui lui sont directement liés :

  • le Fonds pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (« Poverty Reduction and Growth Trust » ou PRGT), mis en place avant la COVID-19 et souvent sollicité depuis 2019 ;
  • le Fonds pour la résilience et la soutenabilité (« Resilience and Sustainability Trust » ou RST), lancé en avril 2022, qui peut donc prendre en compte certaines des conséquences de la guerre en Ukraine pour les pays receveurs mais qui met du temps à être opérationnel.

Le redéploiement d’une partie des DTS via ces Fonds soulève un certain nombre de points :

  • ces fonds accordent aux bénéficiaires des prêts, d’où un endettement supplémentaire, alors que la formule de dons aurait pu être imaginée pour une part de la réallocation. Des dons justifiés par la conjugaison exceptionnelle de crises systémiques auxquelles les pays africains, comme d’autres, ont été et sont encore aujourd’hui exposés, mais auxquelles les pays africains sont plus sensibles et vulnérables que d’autres ;
  • à quels taux d’intérêt sont accordés les prêts concernés ? Pour ce qui passe par le PRGT, le taux est nul, alors que les prêts du RST, à long terme, sont soumis à un taux positif lié au taux d’intérêt sur les DTS qui suit mécaniquement l’augmentation des taux sur les monnaies du panier ;
  • quelle est la conditionnalité associée au redéploiement des DTS ? Apparaît ici une contradiction de taille entre le caractère inconditionnel que possède par nature l’actif liquide et de réserve qu’est le DTS, et la conditionnalité de règle dans les concours du FMI et de ses fonds fiduciaires satellites comme le PRGT et le RST. Certes, sous l’effet des crises et des urgences, la conditionnalité du FMI s’est atténuée ; elle a même disparu, face à la crise sanitaire de la COVID-19, pour certains concours à décaissements rapides mis en place dans l’urgence. Quant à ce qui devrait rester de conditionnalité dans ce redéploiement des DTS qui devrait très largement s’en passer, B.Cabrillac et S.Guillaumont( 1 ) ont raison d’insister sur l’adoption de conditions macroéconomiques visant à atténuer la vulnérabilité au sens large (vulnérabilité économique, financière, énergétique, climatique...) des pays africains concernés.

Les banques africaines de développement (la BAD, la BOAD, la Banque Est-Africaine de développement...) devraient être mises à contribution de façon plus intense pour un mélange de raisons négatives et positives. Une raison négative : le PRGT et le RST ont, à court terme, des capacités d’absorption et de gestion limitées. On estime ainsi que le PRGT serait saturé au seuil de l’équivalent de 30 milliards de dollars à redéployer. Le seuil pour le RST, juste opérationnel, serait nettement plus bas. Cela veut dire que le « système FMI » ne pourrait dans le court terme redéployer au maximum qu’environ 50 milliards de dollars et que d’autres canaux complémentaires sont nécessaires pour arriver aux 100 milliards. Mais il existe aussi des raisons positives pour plus et mieux impliquer les banques africaines de développement dans l’opération de redéploiement :

i. ces banques, compte tenu de leur proximité et de leur spécialisation géographique, sont mieux à même que les institutions de Washington d’apprécier le rendement et le risque des financements accordés sur redéploiement des DTS ;

ii. ces banques, plus et mieux que d’autres établissements financiers, ont la capacité de « transformer » des avoirs liquides comme les DTS ou leur contrepartie dans d’autres devises en financements longs, ceux requis par et pour la transition écologique, la révolution numérique, les infrastructures dans les biens communs (santé, éducation,...). Plus que les banques commerciales et à condition que la réglementation bancaire le leur permette, les banques de développement, en Afrique comme sur d’autres continents, peuvent et doivent s’engager dans cette activité de « transformation » (« mismatch ») d’échéances. Cela implique aussi qu’elles se donnent les moyens de gérer le risque de taux d’intérêt né d’un tel « mismatch » et de la configuration dans laquelle l’échéance moyenne de l’actif dépasse significativement l’échéance moyenne du passif du bilan de la banque de développement ;

iii. l’arrivée chez elles de DTS recyclés va permettre aux banques de développement africaines d’engendrer un effet de levier classique dans ce type de configuration. On estime ex ante que l’effet de levier pourrait correspondre à un multiplicateur de 4. Donc, si ces banques de développement recueillaient 50 milliards de dollars sur les 100 promis, elles auraient la possibilité de solliciter des financements privés et d’autres financements publics afin de rassembler un montant total à investir de 200 milliards. Si tous les financements possibles restaient au niveau du FMI, c’est-à-dire du PRGT et du RST, l’effet de levier et d’entraînement ne jouerait pas a priori avec la même intensité ;

iv. privilégier dans le redéploiement des DTS les banques de développement africaines requiert qu’elles (BAD, BOAD, BEAD pour l’Est africain...) jouent entre elles, dans cette affaire, le jeu de la complémentarité, pas celui de la concurrence.

D’autres pistes, impliquant d’une autre manière les banques de développement, peuvent être évoquées. Les nouveaux DTS pourraient aussi abonder des fonds de garantie, mis en place soit par certains pays africains soit au niveau sous-régional (UEMOA, CEDEAO, CEMAC...). Des fonds de garantie qui permettraient de réduire le coût de la dette des pays africains, soit directement soit par des opérations de rehaussement de crédit. Le choix concret entre les différentes modalités doit relever avant tout des pays bénéficiaires de la redistribution partielle des DTS.

QUELQUES RECOMMANDATIONS

Le processus de redéploiement partiel de DTS vers les pays africains est en cours. Mais déjà certaines recommandations s’imposent à la lumière de l’analyse précédente :

  • il est essentiel d’atteindre, sans trop tarder, les 100 milliards de dollars promis à l’Afrique. Pour des raisons de financement, bien sûr, mais avant tout comme manifestation de la solidarité des pays avancés vis-à-vis des pays africains face à la pandémie, aux conséquences de la guerre en Ukraine et à la crise climatique ;
  • il faut rapidement clarifier et simplifier les conditions d’accès des pays africains à ces nouveaux financements ;
  • cette réallocation partielle de DTS est l’occasion d’accroître le rôle des banques multilatérales de développement compétentes sur le continent africain. Le PRGT et le RST, qui fonctionnent dans l’orbite du FMI, ne peuvent pas et ne doivent pas « traiter » l’essentiel de cette réallocation. Un bon équilibre pourrait consister à répartir la gestion de ces 100 milliards une fois atteints à part égales (50 milliards de chaque côté) entre le PRGT et le RST, d’une part, les banques de développement évoquées, d’autre part ;
  • le redéploiement partiel de DTS vers les pays africains ne doit en aucune façon être utilisé comme argument par les pays avancés pour réduire leur aide publique au développement (APD) en faveur des pays du Sud. Un effet d’addition dans les flux financiers vers ces derniers, surtout pas d’effet de substitution. Il y a là non pas une obligation juridique, mais plus fondamentalement un impératif économique dans l’intérêt de tous, au Nord comme au Sud, doublé d’une obligation morale ;
  • la raison de la réallocation a été rappelée dès le départ : le fait que les nouveaux DTS sont alloués proportionnellement aux quotes-parts de chaque pays membre auprès du FMI. D’où les cercles vicieux pour les PFR et certains pays intermédiaires, les cercles vertueux pour les pays avancés. Cette situation n’est pas satisfaisante, et il faut y remédier quitte, si nécessaire, à amender les statuts du FMI. Il faut le faire de manière préventive et pragmatique, car il y aura forcément dans le futur de nouvelles allocations de DTS. Pour avancer dans le débat, nous nous risquons à faire la proposition suivante :
  • ou bien la création de nouveaux DTS est justifiée, comme elle l’a été plusieurs fois dans le passé, par des arguments relevant de la macroéconomie monétaire et financière mondiale : crainte d’une pénurie de liquidités internationales, volonté de promouvoir le DTS sur la scène mondiale en renforçant progressivement son rôle monétaire, etc. Dans ces cas-là, il faut à notre avis conserver la règle actuelle d’allocation de nouveaux DTS ;
  • ou bien le lancement de nouveaux DTS est principalement justifié par le désir de gérer des chocs qui, au départ, sont symétriques (cas de la COVID-19, choc mondial) mais qui ont des effets asymétriques car touchant encore plus, relativement, les pays les plus démunis. Dans ces cas-là, il faudrait changer, quasiment inverser la règle d’allocation des nouveaux DTS pour en faire profiter en priorité les PFR dont la quasi-totalité des pays africains.
  • Une telle distinction peut poser des problèmes délicats de frontière entre les deux types de configuration et donc de mise en œuvre. Mais, tirant la leçon de l’expérience en cours, elle nous ferait avancer dans une direction qui pourrait combiner des considérations d’efficacité et d’équité, ce qui serait suffisamment précieux pour être noté.

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