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Gestion des catastrophes naturelles : souveraineté nationale et solidarité internationale
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September 22, 2023

Dans un monde menacé par les effets ravageurs du changement climatique, les catastrophes naturelles se placent de plus en plus au cœur des préoccupations de la communauté internationale. La gestion de ces catastrophes est l’une des missions essentielles des États du fait de leurs attributions régaliennes et leur responsabilité de protéger leurs populations. Cependant, l’ampleur des phénomènes et la gravité des dégâts qu’ils génèrent, combinées aux faibles capacités de certains États, impliquent une responsabilité internationale dans le cadre de la solidarité entre États du monde.  Se trouvent, alors, en conflit dans ce domaine, au moins deux principes du droit international :

- d’une part, ce droit est construit autour de l’égalité souveraine des États qui interdit toute ingérence d’un État tiers dans les affaires internes d’un autre État et ;

- d’autre part, des principes d’ingérence internationale qui, à priori, bafouent le principe de la souveraineté ; tels que l’ingérence humanitaire ou la responsabilité de protéger.

 Introduction

Cette dualité pose un antagonisme entre l’État en tant qu’acteur des relations internationales et sujet du droit international, d’une part, et la communauté internationale en tant que régulateur des relations et producteur du droit. Cette confrontation de principes s’exprime à un double niveau. Celui de la responsabilité et celui de la souveraineté, les deux étant corrélées et s’alimentant l’une de l’autre :

- comment peut-on être comptable en termes de responsabilité quand on n’est pas souverain et ;

- comment peut-on se proclamer souverain si on ne s’acquitte pas de ses responsabilités et qu’on ne les assume pas.

 

Qui est responsable de et ou dans l’État en premier lieu ? Laquelle des volontés s’impose à l’autre, celle de l’État ou celle des instances internationales (ONU) ?

En somme, la relation entre l’État et les instances internationales est mise à l’épreuve, notamment lorsqu’il s’agit de gérer les catastrophes naturelles :

- la responsabilité de l’État est mise à l’épreuve face à la responsabilité de la communauté internationale et ;

- la souveraineté de l’État est mise à l’épreuve face à l’ingérence (droit ou devoir) de pays tiers ou des instances internationales.

 

S’agissant de gestion des catastrophes naturelles, se pose la question de définir la relation entre l’État et les instances internationales, d’une part, et de l’État victime de la catastrophe et les autres États, d’autre part. Cette question en appelle une autre. Est-ce que les conditions nécessitant une ingérence humanitaire ou l’application du droit de protéger sont-elles définies et évaluées par chaque État à sa guise ou plutôt sont-elles décidées et évaluées par les instances onusiennes ? Un État peut-t-il décider de manière unilatérale que les conditions de s’ingérer, pour raison humanitaire, sont réunies et qu’il a donc le droit d’intervenir, ou est-ce qu’il doit attendre d’être mandaté, le cas échéant, par les instances internationales (ONU) après que celles-ci aient évalué la conjoncture avec le pays touché ?

L’idée du présent Papier est née de la réaction des médias de certains États à l’occasion du tremblement de terre qui a frappé la région d’Al Haouz au Maroc. En effet, si dès les premières heures les instances internationales et le Maroc ont entamé la coordination conformément aux règles et protocoles du droit international, les médias de quelques États, dont certains sont des puissances internationales, technologiquement avancés et d’autres de simples prétendants à la puissance régionale sans patrimoine technologique, sans moyens adaptés, ni même une expertise en la matière, se sont montrés offusqués par la non-réponse du Maroc à leur proposition d’aide. Ils ont réagi dès les premières heures de la catastrophe en semant le doute sur les capacités du pays à faire face à l’événement, alors que personne n’avait encore évalué ni l’ampleur du phénomène ni l’efficacité des moyens du Maroc qui était encore aux premières mesures d’intervention et de déploiement des opérations de sauvetage. Cette évaluation est pourtant la clé de tout arbitrage entre la responsabilité et la souveraineté de l’État touché et l’éventuelle responsabilité ou ingérence de pays tiers et/ou de la communauté internationale. Car comme le veut la définition même des catastrophes naturelles, ces dernières dépendent dans leur ampleur non seulement des dégâts qu’ils peuvent causer mais aussi et surtout de la capacité de l’État à les limiter.

 

1- Définition de la catastrophe naturelle : la mise à l’épreuve des capacités de l’État

Un événement est qualifié de ‘’catastrophe naturelle’’ lorsqu’il en résulte ‘’une rupture grave du fonctionnement d’une société’’, impliquant des impacts et des pertes aussi bien humaines que matérielles, économiques ou environnementales et dont l’origine est un phénomène naturel (Sandrine Rivet, Les Études du CERI N° 157 - septembre 2009).

En se limitant à cette définition, la question reste posée quant à la définition même de la situation de rupture. Quand et dans quelles conditions peut-on déclarer une communauté ou une société en situation de rupture de fonctionnement, face à un phénomène naturel ayant causé des pertes humaines et matérielles ? 

Le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophes (UNDRR) répond en complétant les éléments de définition. Ainsi, pour l’UNDRR, une catastrophe naturelle est « une perturbation grave du fonctionnement d'une communauté ou d'une société impliquant des pertes et des impacts humains, matériels, économiques ou environnementaux importants, qui dépasse la capacité de la communauté ou de la société touchée à y faire face en utilisant ses propres ressources ».[1]

La définition de l’UNDRR ajoute un deuxième critère ou condition qui est celle de la proportionnalité entre la dimension du phénomène et la capacité de l’État à y faire face. La définition semble plus précise et plus complète :

- d’une part, elle envisage la catastrophe naturelle comme une situation où le fonctionnement normal est perturbé. Cela peut arriver à toutes les communautés, sociétés ou États. Il s’agit de la survenance de phénomènes naturels qui en raison de  leur imprévisibilité surprennent les autorités et qui par leur violence génèrent des préjudices et des dégâts qui perturbent et déstabilisent la marche habituelle des pays, quels que soient leurs moyens et leurs capacités. Ces événements nécessitent la mobilisation de moyens et de procédures exceptionnels et ;

- d’autre part, la définition de l’UNDRR souligne un élément majeur qui pourrait conditionner son intervention en tant qu’organisme international, il s’agit de la capacité de l’État à dépasser la perturbation et revenir au fonctionnement normal par ses propres moyens et, par conséquent, éviter une situation de rupture qui demanderait l’intervention obligatoire et nécessaire d’États tiers ou d’organismes internationaux.

La précision apportée par l’UNDRR ne se limite pas à la seule définition, mais introduit un élément qui statue sur l’éventuelle aide de pays étrangers ou organismes internationaux :

- si l’État (société, communauté) n’est pas à même d’éviter que la perturbation de fonctionnement ne se transforme en rupture (ce qui n’était, et de loin, pas le cas au Maroc), la communauté internationale est en droit, voire a le devoir de se substituer à l’État failli pour gérer la catastrophe naturelle ;

- si l’État (société, communauté) dispose des moyens, aptitudes et compétences pour dépasser les perturbations et préjudices (quelle que soit leur gravité) causés par la catastrophe naturelle, sa souveraineté ne peut être bafouée sous aucun prétexte et il n’y a pas de place pour des interventions étrangères. Il n’y a même pas catastrophe naturelle, selon les termes de la définition. L’État, qui contrôle alors la situation, peut, s’il le juge nécessaire et utile, faire appel à des efforts complémentaires des instances internationales ou de pays amis sincères, réputés efficaces dans pareilles circonstances[2] (c’est ce que le Maroc a fait en ayant eu recours à l’assistance de l’Espagne, du Royaume-Uni, du Qatar et des Émirats Arabes Unis).

Il ressort de ce qui précède que   le comportement de l’État face à la catastrophe est observé par les États pairs et la communauté internationale, qui peuvent proposer de l’aide mais qui ne peuvent intervenir que si les capacités de l’État ne suffisent pas pour faire face au phénomène. Pour les instances internationales (UNDRR), il n’y a même pas catastrophe naturelle lorsque l’État est en mesure de dépasser, par ses propres moyens, la perturbation causée par un phénomène naturel.

 

2- La souveraineté est la règle, l’ingérence est l’exception

L’ingérence humanitaire est en contradiction avec le principe universel de non-ingérence dans les affaires internes des États, elle n’est, de ce fait,  rien d’autre qu’une assistance forcée et/ou non sollicitée. C’est « le fait pour un État de s’immiscer dans les affaires intérieures d’un autre État en violation de sa souveraineté ». C’est ‘’l’action de s’immiscer, c’est-à-dire s’introduire indument, sans être requis ou en avoir le devoir dans les affaires des autres’’.[3]

Aussi humanitaire qu’elle soit, une ingérence reste une ingérence. C’est dans ce sens que le droit international a entouré le principe d’un ensemble de conditions qui éviteraient qu’il ne soit utilisé de manière détournée moyennant des interprétations biaisées à des fins non-humanitaires (cas de la Libye).[4] L’accent a donc toujours été mis sur la souveraineté en tant que règle générale et l’ingérence en tant qu’exception.

Pour le cas des catastrophes naturelles, nous citerons à titre d’exemple la résolution 46/182 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 19/12/1991, notamment les dispositions 3 et 4 de son annexe (voir encadré ci-après).

PCNS

Ces deux dispositions dégagent les aspects de la responsabilité et de la souveraineté dans les relations entre les États, d’une part, et leurs pairs et la communauté internationale, d’autre part :

- la souveraineté par le consentement : l’annexe à laquelle renvoie la résolution 46/182  stipule que l’aide humanitaire ne peut être fournie sans le consentement de l’État touché. Cette exigence du consentement protège l’État contre l’imposition de toute volonté autre que la sienne. Il ne saurait donc être reproché à un État de ne pas donner son consentement à une proposition d’aide et les pressions, de toute forme, exercées sur cet État pour l’amener à accepter l’aide proposée relèvent quasiment de l’agression.

- la disposition 4 souligne le rôle premier que joue l’État touché et mentionne quatre niveaux où se manifeste ce rôle : aucune structure étatique ou internationale ne peut se substituer à l’État dans ce premier rôle :

- au niveau de l’initiative : c’est à l’État touché de prendre l’initiative de demander une aide internationale et d’évaluer sa nature et son volume . Cette exclusivité d’initiative renvoie tacitement au choix non seulement de demander l’aide ou ne pas la demander, mais également celui du pourvoyeur de cette aide. Il n’est pas exigé de l’État, puisqu’il est détenteur de l’initiative, d’accepter toute proposition ;

- au niveau de l’organisation : les structures étatiques ou internationales, auxquelles un État touché par une catastrophe naturelle demande de l’aide, ne peuvent se substituer à lui pour organiser le déploiement de cette aide ;

- la coordination : les moyens (matériels et humains) que procure l’aide sont coordonnés par l’État touché. C’est donc cet État qui fixe le timing, le tempo et le rythme de déploiement et d’utilisation de ces moyens ;

- la mise en œuvre : c’est l’État demandeur de l’aide qui met en œuvre les actions. C’est donc lui qui fixe les priorités et les modalités d’application sur le terrain des décisions d’action destinées à dépasser la crise causée par la catastrophe.

Il ressort de l’analyse des dispositions 3 et 4 de la résolution une idée essentielle : non seulement l’État dispose de l’initiative de demander ou non l’aide d’États tiers ; mais également de celle de choisir parmi ces États tiers ceux avec lesquels il peut organiser, coordonner et mettre en œuvre les mesures nécessaires. Ceci nécessite une certaine entente, de l‘interopérabilité et de la confiance.

  

 


[1] Voir : « Risques et catastrophes »  https://www.un-spider.org/fr/risques-et-catastrophes

[2] Le fait que ces pays soient « amis et sincères » est primordial. ‘’Ami’’ pour une question de sécurité du pays parce qu’une situation de catastrophe naturelle peut constituer pour des pays hostiles, l’occasion de s’adonner à des ingérences perturbatrices en utilisant l’opportunité qui leur est donnée pour infiltrer des moyens de subversion et de nuisance. Par ailleurs, les pays sollicités doivent être sincères dans la mesure où leur but ne doit être en premier lieu que d’aider à dépasser la crise et non de couvrir des objectifs politiques, de vouloir redorer leur blason où de nourrir une propagande ; alors même qu’ils n’ont aucune expertise ou capacité.

Dans un autre registre, ce choix de partenaires relève de la souveraineté nationale et ne peut souffrir de critiques quant à ses critères.

[3] Voir : ‘’ La souveraineté des États en droit international et l’ingérence humanitaire : une analyse fondée sur l’instrumentalisation de l’action humanitaire dans les pays du sud’’ https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/27399/Bonny_Maryse_Ornella_2022_memoire.pdf?sequence=2&isAllowed=y

[4] La question reste toujours posée à cet égard sur l’intervention de pays européens dans la crise libyenne, où l’objectif principal, celui de protéger une population, fut détourné par l’un des États intervenants vers des desseins politiques. Ce détournement de l’objectif humanitaire avait abouti à la liquidation d’un chef d’État et à la déstabilisation non seulement d’un pays mais de toute une région. Dans le cas libyen, l’intervention était légale du fait de son autorisation par le Conseil de sécurité des Nations Unies, mais l’un des États est allé au-delà du mandat de cette autorisation pour ne pas se limiter à protéger les populations menacées et étendre son action à un règlement de compte avec le chef de l’État libyen.

 

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