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Opinion
Jeune banquier congolais, Eric Ntumba est venu de Kinshasa en décembre 2017 pour participer au programme Atlantic Dialogues Emerging Leaders du Policy Center for the New South (PCNS) à Marrakech. À l’époque, lorsqu’on lui demandait quel était son rêve, il déclarait d’emblée : « Devenir président de la République démocratique du Congo (RDC) et apporter un développement inclusif, pour faire que le potentiel énorme de ce pays se transforme enfin en puissance. Mon rêve est que chaque enfant congolais puisse réaliser le sien ! »
Eric Ntumba est de ceux qui voient grand et ne s’avouent pas facilement vaincus. À Marrakech, les personnes de divers horizons qu’il a rencontrées lors de la conférence Atlantic Dialogues ont « enrichi » sa vision du monde et lui ont donné des opportunités. « Si je n’avais pas rencontré l’économiste brésilien Otaviano Canuto, un Senior Fellow du PCNS, je n’aurais pas signé avec lui un chapitre sur les risques de crise financière internationale en 2018 dans le rapport Atlantic Currents », explique-t-il.
En quête d’une alternative
De même, il a écrit un texte sur la géopolitique de l’Afrique centrale à l’occasion de l’Annual Conference on Peace and Security in Africa (APSACO) 2019, organisée à Rabat par le PCNS. Sa réflexion a porté sur la tendance aux « élections sans démocratie » qui affecte sa sous-région. « En Afrique centrale, les indicateurs de développement sont les moins bons en Afrique, poursuit-il. C’est aussi la région où les présidents exercent le plus longtemps le pouvoir, où les jeunesses sont réprimées brutalement et où l’exercice électoral se résume à une parodie, avec un déni de démocratie permanent. En témoigne ce fameux mot de l’ancien président gabonais Omar Bongo : « On n’organise pas les élections pour les perdre… ».
S’il observe avec intérêt la vague de mouvements citoyens qui s’est levée à travers l’Afrique, RDC comprise, Eric Ntumba constate aussi qu’elle n’est « pas adossée à une offre politique alternative qui permettrait d’avoir des députés, des maires, des ministres ». C’est à cette alternative qu’il ne cesse, comme toute sa génération, de réfléchir.
Il faut dire qu’Eric Ntumba a été à bonne école. Il a grandi dans un foyer en prise directe avec le monde politique. Son père, Alphonse Ntumba Luaba, professeur de droit et ancien vice-ministre de la Justice, ex-ministre des Droits humains, a été l’un des négociateurs de l’accord de paix de Sun City en 2002, qui a mis fin à la seconde guerre du Congo. Ensuite secrétaire du gouvernement de transition (2003-07), il a dirigé la Conférence internationale pour la région des Grands lacs (CIRGL) de 2011 à 2016.
Retour au pays natal
Lorsque son père travaillait à son doctorat de droit, Eric Ntumba a fait son primaire en France, à Nancy, puis suivi ses études secondaires à Kinshasa. Après une maîtrise d’informatique à l’Université du North-West, en Afrique du Sud, il a rejoint l’Ecole nationale d’administration (ENA) à Paris fin 2006. Deux ans plus tard, il retourne directement à Kinshasa – un choix qui relève pour lui de « l’évidence ». Explication : « On m’avait bien dit que des portes étaient ouvertes en France et en Europe, mais j’avais la conviction que c’était en RDC, en Afrique, que mon apprentissage serait le plus utile ».
Décidé à apporter sa pierre à l’édifice d’un Etat notoirement fragile, il cherche d’abord à rejoindre la fonction publique, au ministère du Plan. « Je me suis heurté à un milieu conservateur où il fallait affirmer une affiliation politique, sur laquelle je n’étais pas fixé à 27 ans », raconte-t-il. Finalement, il bifurque vers le secteur privé, d’abord au poste de conseiller à la direction générale de la Banque congolaise (BC), puis de Corporate Manager à la Banque commerciale du Congo (BCC) Relationship Manager à City Bank Congo (CBC), puis à son poste actuel, chef de la division banque d’affaires chez Equity Bank Congo (EBC).
Là encore, son constat est sans complaisance. « Le secteur privé en RDC résume à des industries extractives contrôlées par des opérateurs étrangers, sans capital congolais à proprement parler. Ce qui pose un vrai problème pour les startups, qui ne peuvent pas compter sur des business angels pour les encadrer et les financer. Pourtant, Kinshasa fait preuve d’une puissante énergie créative. Il manque en RDC tout un écosystème d’incubation qui a fait ses preuves au Kenya et en Côte d’Ivoire. » En attendant que des sociétés de capital-risque s’intéressent au dynamisme entrepreneurial des jeunes Congolais, il fait du mentorat et participe à divers forums sur l’économie africaine à l’étranger.
« Réaliser que l’on n’est pas tout seul »
Deux ans après le programme ADEL, Eric Ntumba reste attaché au PCNS, qu’il considère comme un « incubateur d’idées ». « Une conférence comme Atlantic Dialogues permet de recalibrer ses ambitions, dit-il, et de réaliser que l’on n’est pas tout seul. D’autres gens pensent l’Afrique en mouvement, dans un projet de prospérité partagée ».
Lecteur assidu, Eric Ntumba cite parmi ses références Une brève histoire de l’avenir (Fayard, 2006) un essai de Jacques Attali qui propose un regard prospectif sur un monde polycentrique structuré autour de neuf nations, parmi lesquelles l’Egypte et le Nigeria. Dans le domaine de la fiction, sa préférence va à un grand classique de la littérature africaine, Une si longue lettre (Nouvelles éditions africaines du Sénégal, 1979) de la romancière sénégalaise Mariama Bâ. Il vient de la rejoindre au rang des écrivains, ayant lui-même publié son premier roman, Une vie après le Styx (L’Harmattan, 2019). Il estime avoir « pris ses responsabilités » en prenant sa plume. Son objectif : participer à l’édification d’une mémoire collective liée aux atrocités de la guerre du Congo, en racontant l’itinéraire d’une jeune fille meurtrie qui va trouver la force de recommencer sa vie.
Admirateur de Patrice Emery Lumumba, le père de l’Indépendance du Congo, Eric Ntumba l’est aussi de Martin Luther King, pour son combat aux avant-postes du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. « Son parcours nous signifie qu’il suffit d’une poignée de gens bien décidés pour commencer un mouvement. J’aime aussi sa formule : « Dans toute montagne de désespoir, il y a une pierre d’espoir ». Ce caillou peut être chacun d’entre nous ». Parole de leader…