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La résolution du Parlement européen : l’Espagne à la fois juge et partie
June 17, 2021

Tribune initialement publiée sur Quid.ma

La résolution adoptée par le Parlement européen, le 10 juin 2021, fera certainement date dans l’histoire contemporaine des relations Maroco-espagnoles et, par ricochet, des relations avec l‘Union européenne. Elle risque, par ses conséquences politiques et diplomatiques, d’impacter négativement et à long terme les rapports entre le Maroc et l’Espagne et de limiter les ambitions attachées de part et d’autre de la Méditerranée au renforcement du partenariat entre les deux rives occidentales de la Méditerranée. Le résultat du vote et les prises de positions adoptées par les différents groupes feront sans doute l’objet d’une minutieuse évaluation de la part des autorités marocaines qui ne manqueront pas d’en tirer les conclusions servant le mieux les intérêts du Royaume.

Voyons d’abord les faits. Tout a commencé par la décision des autorités ibériques d’admettre, le 21 avril 2021, sous un faux nom et avec un passeport diplomatique algérien le chef du polisario Brahim Ghali pour traitement de Covid-19. Compte tenu de la qualité des relations entre les deux pays liés depuis 1991 par un Traité d'Amitié et de bon voisinage et l'étroite coopération tissée à travers des décennies, le Maroc a considéré qu’il était en droit d'être informé en toute transparence par le partenaire espagnol.

L'arrivée, le 17 mai, de plusieurs jeunes marocains dans l’enclave occupée de Sebta a été interprétée par les autorités espagnoles comme “un moyen de pression” utilisé par le Maroc pour faire juger Brahim Ghali devant les tribunaux espagnols pour violation des droits de l’Homme et inciter les Espagnols à modifier leur position sur le différend régional autour du Sahara marocain. La corrélation ayant été ainsi établie, l’Espagne s’est attelée à mobiliser les instances européennes et à passer une résolution pour conforter sa position et tenter de perturber les rapports du Maroc avec l’Union européenne.

Cette résolution, dans laquelle l’Espagne est à la fois juge et partie, n’est pas dirigée contre un pays lointain situé en dehors de la sphère d'intérêt de l’Union mais contre le pays le plus proche de l’Europe, le plus engagé dans la gestion des défis communs et le plus ambitieux dans son désir d’intensifier ses rapports avec l’ensemble européen.

Un examen rapide des principales dispositions de ce texte montre que même si l'organe législatif européen a tenté d'atténuer le langage du projet initial en en retirant des expressions outrancières et attentatoires qui projetaient de “condamner dans les termes les plus forts le chantage du Maroc ”et en se félicitant - non sans avoir essayé de la relativiser au niveau du Préambule - de l’initiative Royale de rapatrier les mineurs non accompagnés dûment identifiés se trouvant en situation irrégulière en Europe, la résolution adoptée représente, au-delà de la logique arithmétique, un acte hostile dont le but ultime est de provoquer le Maroc, d’alimenter la controverse et de compliquer toute possibilité de sortie de crise.

Le texte suscite de multiples interrogations et observations sur son timing, son orientation, sa formulation et ses sous-entendus. Au niveau du titre, tout d’abord, au lieu de placer son action dans le contexte et la dynamique positive des relations de partenariat maroco-européennes, la résolution a adopté le libellé provocateur de “Violation de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et d’instrumentalisation des mineurs par les autorités marocaines dans la crise migratoire à Ceuta (Sebta)”. La démarche est claire, celle de l’internationalisation d’une crise diplomatique purement bilatérale et le ton est donné, celui d’une tentative d'incrimination, de culpabilisation et de stigmatisation (“Naming and Shaming”) du Maroc sur un sujet porteur et facilement mobilisateur au sein du Parlement européen, celui des droits de l'Homme.

L’Espagne a bâti son argumentaire devant le Parlement européen sur des supposés manquements par le Maroc à ses obligations en vertu de la Convention du 20 novembre 1989 sur les droits de l’enfant et du droit international. Tout le monde sait que ce genre de conventions donne lieu à une évaluation régulière des performances de chaque Etat partie durant laquelle les experts indépendants des Nations unies prennent acte des progrès accomplis et identifient les domaines où ledit Etat doit faire des progrès. Du dernier dialogue que le Maroc a eu avec l’ONU sur la convention concernant les droits de l’enfant la résolution européenne n’a retenu que ce qu’elle a appelé “ les manquements”. Si l’on suivait cette logique sélective on pourrait s'arrêter au passage suivant du débat entre l’Espagne et le Comité sur les droits de l’enfant lorsqu’il a examiné, en 2018, les cinquième et sixième rapports de ce pays se rapportant justement aux enfants de Sebta et Mellilia. Il y est dit en particulier que “le Comité est très préoccupé par le grand nombre de plaintes déposées par ces enfants au titre du troisième Protocole facultatif à la Convention et concernant plus particulièrement des actes de violence commis sur des mineurs dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla et leur renvoi automatique vers le Maroc au mépris de la Convention de 1951 sur les réfugiés. Le Comité a également déploré les conditions d’accueil dans les centres pour migrants de ces deux enclaves, où les mineurs retenus sont exposés à des risques pour leur santé voire leur intégrité physique”.

Au-delà du contenu de cette résolution, la question fondamentale qui se pose est celle de savoir si le Parlement européen est compétent pour juger la performance du Maroc quant au respect de la convention précitée ? la réponse est clairement non. En effet, si l’on considère la pratique conventionnelle, notamment en matière des droits de l'Homme, on constate que les Etats parties à un instrument de cette nature sont comptables, soit devant des mécanismes des traités auxquels ils sont tenus de présenter des rapports périodiques prévus par ces traités, soit devant le Conseil des droits de l'Homme par le biais de l’Examen périodique universel. Aucun autre organe n’est habilité à se prononcer sur le suivi et le respect de ces instruments internationaux.

Si l’on exclut les discussions périodiquement engagées sur les droits de l’Homme entre le Maroc et l’Union européenne dans le cadre de leur dialogue stratégique, on ne voit pas comment le Parlement européen pourrait se substituer aux mécanismes conventionnels internationaux et statuer sur la violation ou non par le Maroc de ses obligations par rapport à ladite Convention. En outre, le Maroc n'étant pas un membre de l’Union européenne, la résolution ne le concerne pas et ne saurait lui être opposable, en application du principe général de la relativité des traités.

Dans sa présentation des faits, le Parlement européen prend ouvertement fait et cause pour l’Espagne sans aucune nuance ni effort de comprendre les causes profondes de la crise ou d'évaluer ses conséquences sur l’ensemble de la Région. Toute la résolution a été conçue de manière à occulter la vraie raison de la crise en détournant l’attention vers une soi-disant violation par le Maroc d’une Convention internationale. Si le souci du Parlement européen était la protection des droits de l’Homme, il aurait dû dénoncer la complicité des autorités espagnoles pour faire admettre Brahim Ghali dans l’espace Schengen alors qu’il est accusé de violations des droits de l’Homme à l'encontre de citoyens marocains et espagnols.

Pour se dispenser d’un tel inventaire, le Parlement européen se contente d’énoncer que “quels que soient les motifs qui ont présidé à l’apparition de la situation actuelle à Ceuta, c’est un incident injustifiable”. Ensuite, en passant du constat à la mise en accusation, la résolution soutient que ”la police marocaine a assoupli temporairement les contrôles aux frontières, ouvert les barrières et négligé de prendre des mesures pour arrêter les entrées illégales”. Et, faisant la part belle à l’Espagne, le même Parlement conclut “que l’intervention humanitaire des forces armées et de sécurité espagnoles, des ONG et des citoyens de Ceuta a empêché que ne se produise une véritable tragédie”. Non seulement l’Espagne se trouve exonérée de toute responsabilité mais elle est présentée comme le sauveur et le bienfaiteur des mineurs marocains.

Les promoteurs de la résolution ne se sont pas limités à bâtir la totalité de leur résolution autour des droits des mineurs. Ils ont cru bon d’inclure des considérations liées à l'intégrité territoriale de l’Espagne et à la question du Sahara marocain. S’agissant du premier point, il est bien connu que lorsqu’un Etat est admis à l'Union européenne, celle-ci accepte le nouveau membre dans les frontières que celui-ci indique sans discuter ou cautionner les limites de ces frontières. Il sied de rappeler qu'à la veille de l’entrée de Madrid dans l’Union, le Maroc a tenu à consigner auprès des instances européennes sa position constante et bien connue sur le statut de ces enclaves et sa revendication permanente pour leur recouvrement avec les îles avoisinantes. Invoquer l'intégrité territoriale pour l’Espagne et l’ignorer lorsqu’il s’agit du Maroc n’est, ni plus ni moins, qu’une provocation inutile. Il suffit de jeter un coup d'œil sur une carte pour se rendre compte laquelle des deux intégrités territoriales est vraiment en jeu lorsqu’il s’agit de Sebta et Melilla, les seules situations coloniales qui persistent en terre africaine.

Quant à la mention relative au Sahara marocain, elle reflète une position qui paraît aujourd’hui dépassée par les nouveaux développements politiques et diplomatiques qui interpellent les partenaires du Maroc, à commencer par l’Union européenne, pour sortir enfin de leur ambivalence et se déterminer clairement par rapport à la solution politique, démocratique et de compromis proposée par le Maroc.         

En remontant les péripéties de cette crise, on ne peut pas ne pas éprouver de l'étonnement face à la précipitation avec laquelle le Parlement européen a été amené à endosser, en l’espace de quelques jours, une “résolution d’urgence” (fast Track) aussi lourde de conséquences pour les rapports entre les deux rives de la Méditerranée. Elle s’explique aisément par la volonté de l’Espagne de priver le Maroc du temps suffisant pour défendre sa position auprès des membres du Parlement européen et de faire ainsi échec à la manœuvre espagnole.

On aurait espéré, de la part de l’instance européenne, un minimum d’impartialité, de pondération et de retenue qui lui aurait permis de jouer un rôle de médiation et de conciliation entre un de ses membres et un partenaire doté d’un “Statut avancé". C’est sans doute pour couper court à cette perspective que l’Espagne a emprunté la procédure urgente pour faire passer cette résolution dont l’adoption a réduit les chances d’une telle médiation et risque de prolonger la tension dans les rapports entre les deux pays voisins.

Une crise comme celle que traversent aujourd’hui les relations maroco-espagnoles ne peut pas être réglée à travers les déclarations et les mises au point. Sa résolution et sa non réédition passent par une explication franche et directe entre les deux Royaumes, dans le cadre d’un dialogue serein et responsable abordant l’ensemble du contentieux entre les deux voisins et débouchant sur une relance de la coopération bilatérale sur des bases saines, équitables et dans le respect mutuel qui devrait toujours prévaloir entre deux Etats souverains et égaux. Ceci requiert, avant tout de la part de l’Espagne et de l’Europe, un changement de mentalité et de perception pouvant contribuer à l'instauration de nouvelles relations basées sur la reconnaissance et le respect de l’Histoire, de l'identité et des intérêts supérieurs du partenaire marocain.

Il est à espérer que l'exécutif européen puisse, nonobstant le caractère non contraignant de la résolution, entreprendre dans les jours qui viennent des initiatives pouvant aider à renouer le dialogue, rétablir la confiance entre le Maroc et l’Espagne et éviter toute action ou prise de position susceptibles d’envenimer l'atmosphère ou de compliquer davantage le différend bilatéral.

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