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Opinion
Plusieurs facteurs bien connus sont à l’origine de l’effondrement des cours du brut depuis juin 2014. Face à une offre pétrolière excédentaire avec l’essor des pétroles de schiste américains, le ralentissement de la croissance économique des pays émergents, notamment des pays à forte intensité énergétique comme le Brésil, la Chine ou la Russie se traduit par une consommation pétrolière mondiale, toujours en croissance, mais à un rythme moindre que les années précédentes. A ces évolutions de l’offre et de la demande, s’ajoute une décision historique des pays de l’OPEP, prise en novembre 2014 puis confirmée en juin 2015, de maintenir à un niveau stable leur production et de ne pas enrayer la chute des prix. L’OPEP, et plus particulièrement son chef de file l’Arabie Saoudite, ne veut plus endosser son rôle historique de producteur d’appoint pour préserver sa part de marché.
Le royaume saoudien livre depuis l’été 2014 un combat sans merci pour éliminer les unités les plus couteuses sur le marché pétrolier, en premier lieu les schistes américains qui pour leur majeure partie nécessitent aujourd’hui un prix entre 45$ et 75$ par baril pour être rentables. Mais les pétroles de schiste se sont avérés bien plus résistants que prévu, grâce aux progrès dans les performances techniques et les innovations technologiques qui permettent de baisser les coûts de production et de rendre rentable la production malgré le repli des cours.
Le contre choc pétrolier actuel met en avant une nouvelle fois le schisme historique au sein de cette organisation. D’un côté, les riches monarchies du Golfe, qui bénéficient d’une assise financière confortable, peuvent supporter une baisse des cours et cherchent avant tout à protéger leur part sur le marché mondial. De l’autre côté, des pays qui disposent d’une richesse pétrolière par tête bien moindre comme le Venezuela, l’Iran, le Nigeria ou l’Angola et dont les économies sont cruellement dépendantes des prix du pétrole pour satisfaire les besoins croissants de leur population, ne cessent d’appeler à une action forte de l’OPEP pour contenir la production.
Les pays producteurs sont les grands perdants
L’effondrement des cours du brut s’accompagne d’un transfert massif de richesses vers les pays consommateurs depuis les pays producteurs, qui doivent quant à eux s’accommoder d’une réalité économique bien morose. Cette baisse des recettes pétrolières depuis juin 2014 érode les excédents budgétaires affichés de longue date dans les pays pétroliers. La détérioration des équilibres extérieurs se traduit par des dévaluations du taux de change dans de nombreux pays producteurs comme le Nigeria, la Russie, l’Angola ou l’Algérie. Le Venezuela est au bord du défaut de paiement, avec une inflation proche de 100%, taux le plus élevé au monde et une récession économique estimée par le FMI à 7% en 2015.
Certains pays producteurs peuvent se reposer sur leurs fonds souverains et sur l’épargne cumulée durant le boom pétrolier, à l’instar de la Russie, du Kazakhstan ou de l’Iran. L’Arabie Saoudite se trouve aussi contrainte de puiser dans ses réserves pour maintenir son train de vie et aurait utilisé 65 milliards de dollars depuis le début de l’année pour financer son déficit budgétaire. Mais la baisse des recettes pétrolières est loin de représenter une menace immédiate pour le Royaume tant les avoirs en devises de sa Banque Centrale accumulés ces dernières années sont considérables. Avec un niveau de dette publique très faible, l’Arabie Saoudite, tout comme les autres monarchies pétrolières du Golfe, reste à ce stade armée financièrement pour affronter la baisse des cours du brut.
Cette nouvelle réalité pétrolière accentue le besoin pour ces économies de rente de conduire des réformes économiques sur le long terme pour construire un nouveau modèle de croissance économique fondé sur un secteur privé diversifié et créateur d’emplois. Pour sortir de ce marasme économique, la réforme des systèmes de subventions aux carburants, à l’électricité et à l’eau, devient cruciale. Plusieurs pays profitent de la baisse des prix du pétrole pour réformer leur système de subvention à l’énergie, comme l’Indonésie, l’Inde, la Malaisie et la Thaïlande. Avec des prix pétroliers plus bas, ce type de réformes est indolore pour la population. Dans les pays producteurs de pétrole, ce fardeau pèse très lourd dans le budget des Etats et a de nombreux effets délétères sur les plans économique, environnemental et social. En offrant les produits énergétiques à la population à des prix dérisoires, la consommation domestique s’envole et absorbe une partie des barils qui pourraient être destinés à l’exportation, créant un coût d’opportunité considérable pour ces économies. A l’avant-garde de ces réformes parmi les pays pétroliers du Moyen-Orient, l’Iran a supprimé dès 2011 près de 55 milliards de dollars de subventions. De même, grâce à ces réformes, l’Egypte a depuis juillet 2014 réduit sensiblement le poids de ces subventions sur son économie. Si les Emirats Arabes Unis ont retiré les subventions à l’essence en août dernier, les autres pays du Golfe s’engagent plus timidement dans cette voie, notamment le Qatar et le Koweït qui ont annoncé récemment des majorations des prix de carburants. Les pays pétroliers sont souvent contraints d’avancer très prudemment dans ces réformes car les subventions énergétiques sont un moyen de redistribution d’une partie de la rente pétrolière à la population. En les supprimant, le risque est fort de mettre en péril la cohésion sociale, notamment dans des Etats où les régimes politiques sont parfois fragilisés.
Quelle évolution pour les cours du brut ?
Avec le rythme actuel de croissance économique dans les pays émergents, l’augmentation globale des stocks stratégiques pétroliers et la perspective de retour sur le marché de nouveaux barils iraniens, la tendance des prix à la baisse devrait se poursuivre au moins jusqu’en 2017. Certains prédisent même la fin d’un « supercycle des matières premières » que l’économie mondiale a connu entre 2006 et 2014.
Les dernières prévisions de l’AIE montrent un recul de la production américaine et du surplus d’offre au niveau mondial. La production non-OPEP serait à son plus bas niveau depuis 24 ans en 2016 suggérant que le pari de l’Arabie Saoudite de contrer l’expansion des pétroles de schiste serait sur le point d’être gagné. Cependant, la poursuite de cette stratégie par le Royaume sera de plus en plus difficile tant les pressions de la part des autres Etats producteurs membres de l’OPEP ayant une assise financière plus réduite vont s’intensifier durant les prochains mois. Avec une forte dépendance envers les recettes pétrolières, le développement économique de ces pays et leur cohésion sociale s’en trouvent menacés. Dans ce contexte, le risque est fort d’un éclatement de l’OPEP qui n’a plus d’influence sur le marché et ne régule plus ses prix.
Extrait d’un article publié dans la revue Politique Etrangère, 4/2015, décembre 2015.