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Policy Brief
À l’approche du Sommet africain du climat (Africa Climate Summit), qui se tiendra à Nairobi du 4 au 6 septembre 2023, de très nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) ont écrit au président du Kenya, William Ruto, pour lui faire part de leurs inquiétudes concernant l’ordre du jour de ce sommet. Selon ces ONG, les intérêts des entreprises et des pays occidentaux pourraient prendre le pas sur ceux de l’Afrique. Les vraies priorités sont notamment d’éliminer progressivement les énergies fossiles et d’investir dans les énergies renouvelables et il est nécessaire que l’ordre du jour soit revu et modifié en vue de refléter les priorités africaines dans la lutte contre le changement climatique, a expliqué cette coalition d’environ 300 ONG.
On peut, bien sûr, discuter certains aspects de ces positions mais une chose est certaine. Plusieurs pays africains ne sont pas du tout disposés à renoncer aux énergies fossiles, en particulier les hydrocarbures. Le cas du charbon est différent car l’Afrique ne représente qu’une part très faible de la production mondiale et il y a très peu de pays charbonniers importants sur le continent (en Afrique australe) alors que l’on trouve des pays pétroliers et/ou gaziers dans toutes les régions de l’Afrique. Dans cette note, nous nous concentrerons donc sur les hydrocarbures (pétrole et gaz naturel).
On peut résister à tout, sauf à la tentation (Oscar Wilde)
La position de nombreux dirigeants africains sur ce sujet est globalement la suivante : la souveraineté nationale, consacrée par le droit international, implique que chaque pays est libre d’exploiter ses ressources naturelles ; l’Afrique a un potentiel très significatif en matière de pétrole et de gaz ; les hydrocarbures peuvent contribuer au développement des pays africains ; l’Afrique n’est évidemment pas historiquement responsable du changement climatique ; et ce continent ne représente encore aujourd’hui qu’un peu moins de 4 % environ (chiffre pour 2022) des émissions mondiales de CO2 provenant de l’utilisation de combustibles fossiles. Sans oublier que, derrière le pétrole et le gaz, il y a beaucoup d’argent à gagner.
Les États africains, souvent à travers leurs compagnies pétrolières nationales, continuent donc à chercher à attirer des investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures, à encourager l’exploration sur leurs territoires (à terre ou en mer), à approuver de nouveaux projets de développement qui entreront en production dans les prochaines années et à participer à l’exploitation de nouveaux champs pétroliers et/ou gaziers. Ces choix n’engagent pas ces pays sur le court terme ou le moyen terme seulement mais aussi sur le long terme compte tenu des délais inhérents à l’industrie des hydrocarbures.
Dans ce texte, qui n'a pas la prétention d’être exhaustif, nous évoquerons plusieurs projets importants qui illustrent la volonté de certains pays africains de renforcer leurs activités pétrolières et gazières et celle d’autres États de devenir des pays pétroliers ou gaziers dans le court, moyen ou long terme. Dans tous les cas, il est quasiment certain que ces projets, déjà bien engagés, entreront en production dans un avenir plus ou moins proche, entre 2023 et 2030 environ. Nous laissons de côté volontairement toutes les situations dans lesquelles une marge d’incertitude existe sur une future exploitation pétrolière ou gazière.
Quelques développements gaziers en Afrique du Nord
En Afrique du Nord, l’usine de liquéfaction du gaz de Damiette en Égypte a repris son activité en 2021. Elle est opérée par Eni et par la compagnie nationale Egyptian Natural Gas Holding Company (EGAS). Une bonne partie de sa production depuis son redémarrage a été exportée vers l’Europe. En avril 2022, soit un peu plus d’un mois et demi après le début de la guerre en Ukraine, le groupe italien Eni et la Sonatrach ont signé un accord aux termes duquel les exportations de gaz algérien vers l’Italie à travers le gazoduc Transmed (Algérie/Tunisie/Méditerranée/Italie) seraient accrues. Les volumes supplémentaires pourraient atteindre 9 Gm3 par an sur 2023-2024. Et, à la fin janvier 2023, Eni a conclu un accord avec la National Oil Corporation libyenne (NOC) en vue du développement d’un gros projet gazier offshore. Celui-ci débouchera sur une production qui alimentera les marchés libyen et européen. Selon Eni, il s’agit du premier projet majeur de développement en Libye depuis le début du siècle. Le coût de développement est évalué à $8 milliards et la mise en exploitation est prévue pour 2026. La durée de production dans le cadre de cet accord serait de 25 ans. En termes d’exportation, l’un des grands atouts de ce projet est la proximité des futurs champs gaziers du gazoduc GreenStream, qui relie Mellitah, en Libye, à Gela, en Sicile. Or, ce gazoduc est loin d’être utilisé à pleine capacité, ce qui permettra d’exporter du gaz vers l’Italie.
L’Afrique de l’Ouest : de futurs producteurs d’hydrocarbures
Le Niger devait devenir un pays exportateur de pétrole vers la fin 2023 mais, du fait du coup d’État à la fin juillet 2023 et des sanctions économiques qui en ont découlé, cette perspective à court terme est remise en question. Le pétrole devait être exporté par oléoduc via le Bénin puis par navire pétrolier (tanker) à partir de ce pays qui a une façade sur l’Atlantique alors que le Niger est un pays enclavé. La Mauritanie et le Sénégal vont devenir des producteurs et exportateurs de gaz d’ici le début 2024 grâce à un projet commun offshore appelé Greater Tortue Ahmeyim (GTA). Le consortium qui développe ce très grand projet est composé de deux sociétés privées, BP (l’opérateur du projet, Royaume-Uni) et Kosmos Energy (États-Unis), et de deux compagnies nationales, Petrosen pour le Sénégal et la Société Mauritanienne des Hydrocarbures (SMH). Ce développement sera réalisé en plusieurs phases compte tenu de la taille du projet. La production gazière durera au minimum 30 ans car les réserves sont très importantes. Une petite partie du gaz sera écoulée sur les marchés mauritanien et sénégalais et la plus grande partie sera exportée sous forme de GNL.
Dans le même délai, le Sénégal deviendra également un producteur et un exportateur de pétrole, là encore avec un projet offshore. La capacité de production sera de l’ordre de 100 000 barils par jour de brut (environ 5 millions de tonnes par an). La société australienne Woodside est l’opérateur et elle est associée à Petrosen.
Au Nigeria, Nigeria LNG (NLNG) exploite une usine de liquéfaction du gaz (usine GNL) depuis 1999. À ce jour, six trains sont en production, ce qui représente une capacité d’exportation de GNL de 22 millions de tonnes par an (Mt/an). En 2019, les actionnaires de NLNG (Nigerian National Petroleum Corporation, Shell, TotalEnergies et Eni) ont pris la décision finale d’investissement pour un septième train de liquéfaction qui est en cours de construction. Lorsque celle-ci sera achevée, la capacité de l’usine passera à 30 Mt/an.
La Côte d’Ivoire est un petit producteur de pétrole mais la découverte du champ offshore Baleine, annoncée le 1er septembre 2021 par le groupe italien Eni, va lui permettre de monter en puissance dans ce domaine à partir de 2023. La production a effectivement démarré à la fin août 2023. La première phase de développement permet une production pétrolière de 15 000 barils par jour (b/j) mais deux autres phases de développement sont prévues en vue d’atteindre à terme un rythme de production de 150 000 b/j. Baleine est un champ géant puisque les dernières évaluations font état de volumes en place de pétrole de 2,5 milliards de barils et de gaz naturel de 3 300 milliards de pieds cubes. Le gaz associé au pétrole sera commercialisé sur le marché ivoirien pour la production d’électricité principalement. Eni et son partenaire Petroci (la compagnie pétrolière nationale de la Côte d’Ivoire) veulent faire de Baleine le premier projet pétrolier et gazier africain neutre en carbone.
Toujours dans la région du golfe de Guinée, Eni a mis en production en 2023 un projet d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) en République du Congo. Le gaz provient du bloc offshore Marine XII et il est transformé en GNL grâce à une installation flottante de liquéfaction (FLNG – Floating LNG). Une autre installation du même type sera mise en place plus tard. La production de GNL devrait atteindre 3 Mt/an (environ 4,5 milliards de mètres cubes/an) à partir de 2025.
En Afrique de l’Est, l’Ouganda devrait devenir un pays producteur et exportateur de pétrole en 2025 grâce à un projet de grande taille. Celui-ci a été lancé au début 2022 et les investissements prévus sont estimés à $10 milliards. La capacité de production sera de 230 000 b/j. Le pétrole sera produit en Ouganda et exporté à partir de la Tanzanie à travers un oléoduc de 1 440 km environ reliant les deux pays. Quatre sociétés sont impliquées dans ce projet, dont le groupe privé TotalEnergies et trois compagnies pétrolières nationales, CNOOC (Chine), l’Uganda National Oil Company (UNOC) et la Tanzania Petroleum Development Company (TPDC). La production pourrait s’étaler sur une trentaine d’années. Il y a également des espoirs pour le Kenya, qui pourrait devenir un pays producteur de pétrole, mais les choses sont moins avancées que pour l’Ouganda.
L’Afrique australe, une zone au profil plus gazier que pétrolier
En Afrique australe, le Mozambique est devenu un pays exportateur de GNL en novembre 2022 avec le projet offshore Coral Sul. Le coût d’investissement est de $8 milliards environ et la capacité de production de 3,4 Mt/an. Le gaz est produit dans le bassin de Rovuma et il est transformé en GNL grâce à une installation flottante de liquéfaction. Le projet est exploité par un consortium de six sociétés, dont les plus importantes sont ExxonMobil, Eni et la China National Petroleum Corporation (CNPC). Pour le Mozambique, Coral Sul est le début de l’aventure du GNL puisque deux autres projets de liquéfaction (à terre) sont en cours de développement. Il s’agit de Mozambique LNG (capacité de 13,1 Mt/an) et de Rovuma LNG (15,2 Mt/an). Pour Mozambique LNG, dont le chef de file est TotalEnergies, les travaux de développement ont été interrompus en avril 2021 pour des raisons de sécurité mais ils devraient reprendre prochainement. Rovuma LNG est développé par le même consortium que celui qui exploite Coral Sul. Le Mozambique a donc le potentiel de devenir un gros exportateur de GNL.
Également en Afrique australe, la Tanzanie deviendra un exportateur de GNL, sans doute vers la fin de cette décennie. De très gros volumes de gaz ont été découverts en offshore sur deux permis opérés actuellement par Equinor (Norvège) et par Shell. Le ministère tanzanien de l’Énergie a évoqué un coût de développement de $42 milliards.
La Namibie, futur gros producteur de pétrole
Dans la même région, la Namibie deviendra un important producteur et exportateur de pétrole, là aussi vers la fin de la décennie. De très grosses découvertes pétrolières en offshore ont été réalisées par deux opérateurs internationaux, Shell et TotalEnergies, en 2022 et en 2023. Au cours de l’été 2023, la compagnie pétrolière nationale de la Namibie, NAMCOR, a estimé que les volumes de pétrole découverts étaient au moins de 11 milliards de barils, ce qui est considérable.
En Afrique du Sud, un pays dont le potentiel minier est bien connu mais qui était jusqu’ici pauvre en hydrocarbures, la donne est en train de changer avec deux découvertes offshore importantes de gaz naturel et de condensats (des liquides proches du pétrole obtenus par la condensation du gaz naturel) réalisées par TotalEnergies, Brulpadda et Luiperd. Après la première de ces découvertes, le groupe français avait indiqué qu’il ouvrait une nouvelle province pétrolière et gazière de dimension internationale. Il y a environ un an, TotalEnergies a déposé auprès du gouvernement sud-africain une demande en vue d’obtenir l’autorisation de développer et, ultérieurement, de mettre en production ces découvertes.
Les compagnies pétrolières internationales à la manœuvre
De ce rapide tour d’Afrique (rappelons à nouveau qu’il n’est pas exhaustif), on peut relever certaines caractéristiques importantes : les pays concernés sont situés en Afrique du Nord, en Afrique de l’Ouest, en Afrique de l’Est et en Afrique australe ; la géographie des hydrocarbures sur le continent est donc en train de se modifier de façon très significative avec la montée en puissance de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe en plus de l’Afrique de Nord et de l’Afrique de l’Ouest qui sont des régions productrices de pétrole et de gaz depuis des décennies ; la plupart de ces projets pétroliers et gaziers sont offshore même s’il y a des exceptions notables telles que l’Ouganda ; en dehors de l’Afrique du Nord, les compagnies pétrolières internationales jouent un rôle clé dans ces projets (sans elles, ils ne pourraient pas être développés) ; ces compagnies sont principalement de très grandes sociétés pétrolières, dont Eni, TotalEnergies, Shell, ExxonMobil et BP (par ordre décroissant au regard du nombre de projets dans lesquels ces firmes sont impliquées) ; ces projets sont principalement, voire uniquement, orientés vers l’exportation ; pour l’Afrique du Nord, ces nouveaux projets sont surtout gaziers alors que, pour l’Afrique subsaharienne, on a un mélange de projets pétroliers et gaziers ; globalement, sur l’ensemble du continent africain, le gaz naturel est très bien placé ; plusieurs de ces projets sont géants, ce qui signifie dans le jargon de l’industrie pétrolière qu’ils vont mobiliser des réserves d’hydrocarbures très importantes ; plusieurs pays africains vont devenir dans les mois ou les années qui viennent de nouveaux producteurs et exportateurs de pétrole et/ou de gaz (Sénégal, Mauritanie, Ouganda, Mozambique, Tanzanie, Namibie, Afrique du Sud), ce qui illustre bien le potentiel de l’Afrique en hydrocarbures. Pour développer et exploiter ce potentiel, de nombreux pays africains, leurs sociétés pétrolières nationales et plusieurs compagnies pétrolières privées internationales sont prêts à coopérer dans la durée car tous ces acteurs y trouvent leur intérêt.