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Opinion
Première grande annonce du 6e sommet entre l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA) qui s’est tenu à Bruxelles les 17 et 18 février : six pays, l'Afrique du Sud, l'Égypte, le Kenya, le Nigeria, le Sénégal et la Tunisie, ont été sélectionnés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) – et non par l’UA, ni par l’UE - pour lancer la production de vaccins en Afrique.
L’objectif consiste à faire face au coronavirus, mais aussi à d'autres maladies telles que le paludisme (avec le vaccin Mosquirix, premier du genre, développé en 2021 par la multinationale britannique GlaxoSmithKline), la tuberculose, le HIV et le diabète avec la production d’insuline.
Cette initiative, portée par l’UA et l’UE, marque une avancée réelle, dans la mesure où l’Afrique ne produit que 1 % de tous les vaccins qu’elle consomme, et a poursuivi depuis le début de la pandémie Covid-19 une stratégie vaccinale en ordre dispersé. À ce jour, sur les 10,3 milliards de vaccinations contre la Covid-19 faites à travers le monde, 3,5 % ont été administrées à travers le continent. Soit 363,4 millions de doses pour 1,3 milliard d’habitants. C’est le plus faible taux au monde.
« La pandémie de Covid-19 a montré, mieux que n'importe quel autre événement, que s'en remettre à une poignée d'entreprises pour fournir des biens publics mondiaux est restrictif et dangereux », a déclaré à Bruxelles le directeur général de l'OMS, l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Au 13 février 2022, selon l’OMS, 11,2 % de la population africaine avait reçu deux doses, et 16,6 % au moins une dose (contre 62 % de la population mondiale ayant reçu une injection). L’Egypte compte pour 18,5 % des vaccinations faites sur le continent, le Maroc 14,5 % et l’Afrique du Sud 8,4 %.
Pomme de discorde : les brevets des laboratoires
Reste à savoir si le projet UE-UA se fait dans les meilleures conditions. L’annonce de ce programme, dans lequel l’UE, la France, l’Allemagne et la Belgique vont investir 40 millions d’euros, intervient au moment où des questions se posent sur l’efficacité de l’initiative COVAX, dans le cadre duquel l’UE a fourni seulement 145 millions de doses de vaccins à l’Afrique - contre un objectif de 450 millions doses à livrer d’ici « l’été ». L’ONG Oxfam souligne que l’UE s’apprête à détruire fin février 2022 dans le cadre de la gestion de ses stocks quelques 55 millions de doses périmées de vaccins contre la Covid-19. Soit « plus que ce que les 30 millions de doses qu’elle a données à l’Afrique depuis début 2022 ».
Le choix des six pays fait par l’OMS n’a pas été expliqué, et l’on peut se demander pourquoi le Maroc n’en fait pas partie, alors qu’il dispose d’une industrie pharmaceutique performante, qui le place au 3e rang des producteurs africains de médicaments. La réponse tient-elle au fait que le Maroc ait passé le 5 juillet 2021 un accord avec le producteur chinois Sinopharm pour produire localement ses vaccins ? Cet investissement historique de 500 millions de dollars vise à fabriquer à court terme 5 millions de doses par mois. L’Egypte, retenue par l’OMS, en a pourtant fait de même, en passant un accord en avril 2021 pour produire en masse le vaccin chinois Sinovac, tout se déclarant ouverte à d’autres partenariats.
En outre, va se poser désormais la question de la viabilité des plans déjà engagés pour construire ou étendre « 12 sites de production, en activité ou en projet, répartis dans six pays africains (Afrique du Sud, Algérie, Égypte, Maroc, Rwanda et Sénégal), qui devraient produire une large gamme de vaccins contre la Covid-19 », comme le rappelle l’économiste et Senior Fellow du Policy Center Larabi Jaïdi, dans le rapport sur le Sommet UE-UA 2022 qui vient d’être publié par le Policy Center for the New South.
Second point : tout repose sur un transfert de technologies accordé par l’Europe, plutôt qu’une levée des brevets permettant la production de génériques, moins chers pour les États et les patients. Les modalités précises de ce « transfert de technologies » restent à connaître dans le détail. Pour l’instant, les vaccins qui ne sont pas donnés à l’Afrique sont achetés au prix de 6 à 31 euros les deux doses. « Nous parlons de la vie de millions, de centaines de millions de personnes, plutôt que de la rentabilité de quelques entreprises, a insisté à Bruxelles le président sud-africain Cyril Ramaphosa. Il n'est pas acceptable que l'Afrique soit constamment la dernière en ce qui concerne l'accès aux médicaments ».
Son plaidoyer, pourtant repris par l’Inde et l’UA, n’a pas été entendu. L'UE défend les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, c’est-à-dire les profits de ses grands laboratoires. La présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen était à Dakar le 9 février, pour évoquer les plans du laboratoire BioNTech, déjà implanté au Sénégal, qui vise à monter en Afrique des unités de production mobiles faciles à installer.
Une longue bataille est-elle en train de s’amorcer ? Un précédent majeur existe, avec les antirétroviraux contre le Sida/HIV, dont certains brevets ont été levés après une lutte épique en Inde et en Afrique du Sud, l’un des pays les plus touchés par la pandémie. Frédéric le Marcis, anthropologue de la santé, renvoie à une interview de l’activiste sud-africain Zackie Achmat sur « l’apartheid sanitaire » publiée en 2002. Et explique : « Le 19 avril 2001 à Pretoria, les laboratoires phramaceutiques perdent leur procès contre le gouvernement sud-africain, aidé par l’ONG Treatment Action Campaign. Les laboratoires ne peuvent empêcher l’Afrique du Sud de produire le médicament Névirapine (du laboratoire allemand Boehringer Ingelheim, NDLR), qui limite la transmission du virus de la mère à l’enfant pendant la grossesse, sous forme générique ». Il faudra attendre 2003 pour le que le gouvernement de Thabo Mbeki, opposé aux ARV, n’approvisionne finalement le système de santé publique, sauvant des milliers de vies.
Souveraineté pharmaceutique
L’Europe continue-t-elle d’aider l’Afrique en s’aidant surtout elle-même, avec des visées sur un marché potentiel énorme ? Le continent ne représentait en 2019 que 0,7 % d’un marché mondial de 1 106 milliards de dollars, rappelait dans le Rapport 2020 sur l’économie de l’Afrique Larabi Jaidi : « L’Afrique ne regroupe que 375 fabricants dans 37 pays, contre 5 000 dans la seule Chine. La majorité de ces producteurs sont de petites unités reconditionnant des produits destinés aux marchés locaux. L’Afrique du Sud et l’Égypte, les deux premiers producteurs, satisfont d’abord leurs marchés intérieurs et n’exportent que marginalement ».
En attendant que l’Afrique se penche sur la construction de véritables chaînes de valeurs régionales afin d’assurer son propre approvisionnement, la relation de dépendance à l’égard des fournisseurs n’a rien de fatal. Des initiatives, nombreuses, prouvent que les pays du continent peuvent gagner en souveraineté face à leurs besoins de santé publique.
Exemple notable : des scientifiques sud-africains ont copié le vaccin à ARN messager Moderna avec les moyens du bord, dans un centre du Cap financé par l’OMS. Ils ont repris des informations du domaine public ainsi que les conseils gratuits et volontaires de scientifiques du monde entier. Moderna avait précédemment déclaré qu'elle ne ferait pas valoir le brevet sur son vaccin, mais n'a pas offert d'aide au projet sud-africain. La société à l'origine du nouveau vaccin, Afrigen Biologics, annonce des essais cliniques pour novembre. Exemple d’une solidarité difficile à trouver ailleurs, et dont on ne peut guère soupçonner les Sud-Africains de juste chercher un effet d’annonce : l'équipe du Cap a proposé d'aider les scientifiques d'Amérique latine à fabriquer leur propre version.