Publications /
Opinion

Back
Réseau électrique : le talon d'Achille de l’électricité verte ?
Authors
February 1, 2024

Le paysage énergétique mondial est actuellement en mutation, marqué par des progrès importants en termes de transition vers des sources d'énergie renouvelables et d’accélération de l'électrification. Cette évolution est cruciale pour faire face au changement climatique et assurer un avenir énergétique durable. Elle coexiste, néanmoins, avec l'utilisation persistante des énergies fossiles dans certains secteurs. Bien que les technologies renouvelables soient dorénavant compétitives en termes de coûts par rapport aux combustibles fossiles pour la production de l’électricité, la transition vers des sources d'énergie plus propres est confrontée à un défi majeur : l'insuffisance des infrastructures électriques nécessaires à leur intégration.

Les défis de l'intégration des énergies renouvelables dans les réseaux électriques

L'augmentation de la production d'électricité à partir de sources renouvelables ne suffit pas. Elle doit s’accompagner de la mise en place d'infrastructures de transmission adéquates pour l'intégration et la distribution efficaces de l’énergie verte aux consommateurs. En effet, les sources d'énergie renouvelables, telles que l'énergie éolienne et solaire, sont souvent abondantes dans des endroits éloignés des centres urbains où la demande d'énergie est la plus forte. La transmission efficace de ces énergies sur de longues distances pose donc plusieurs défis, dont :

- la fluctuation des sources d'énergie renouvelables : les énergies renouvelables sont intermittentes et dépendent de facteurs tels que la météorologie et la position du soleil. Cette intermittence peut entraîner des fluctuations dans la production d'électricité, qui doivent être équilibrées pour assurer la stabilité du réseau ;

- la technologie nécessaire à l'intégration : l'intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique nécessite des technologies spécifiques, telles que des batteries de stockage, des convertisseurs et des systèmes de contrôle. Ces technologies doivent être adaptées aux besoins spécifiques des réseaux électriques et être capables de gérer les fluctuations des sources d'énergie renouvelables ;

- la gestion des réserves : pour assurer la stabilité du réseau, il est nécessaire de gérer les réserves d'énergie. Les gestionnaires de réseaux doivent être en mesure de prévoir et de gérer les variations de la demande d'énergie et de s'assurer que les réserves sont suffisantes pour maintenir la stabilité du réseau ;

- la sécurité et la fiabilité du réseau : l'intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique doit être assurée de manière à ne pas compromettre la sécurité et la fiabilité du réseau. Les gestionnaires de réseaux doivent être en mesure de gérer les risques liés à l'intégration des énergies renouvelables et de garantir la sécurité des utilisateurs.

 

Investissements nécessaires pour moderniser les réseaux électriques

À l'échelle mondiale, la transition vers des sources d'énergie plus propres nécessitera l'ajout ou la rénovation de plus de 80 millions de kilomètres d'infrastructures de réseau d'ici 2040. Le déficit actuel de capacité du réseau représente ainsi un risque majeur pour les objectifs climatiques et énergétiques internationaux.

Pour atteindre ces engagements, il est donc impératif de tripler les investissements dans les réseaux au cours des 15 prochaines années, avec une multiplication par cinq pour atteindre les scénarios d'émissions nulles. Cependant, malgré l'urgence des investissements, seulement un cinquième des 770 milliards de dollars alloués annuellement aux projets d'énergie propre est consacré à la construction, l'expansion et la durabilité des réseaux électriques.

Or, les investissements dans les réseaux électriques représentent un défi à la fois pour les économies avancées et en développement. Dans les marchés matures tels que les États-Unis et l'Europe, les réseaux existants font face à une demande sans précédent de la part des véhicules électriques et des systèmes de chauffage, entraînant des retards dans la connexion de projets éoliens et solaires avancés. Plus de 1500 gigawatts (GW) de projets d'énergie renouvelable attendent d'être raccordés au réseau électrique dans ces régions.

Dans les économies en développement, en particulier dans les pays les moins avancés, des réseaux inadéquats ou obsolètes entraînent des coupures de courant fréquentes qui affectent les systèmes essentiels tels que les hôpitaux, la production alimentaire et les opérations commerciales. Cependant, toutes les économies émergentes ne sont pas confrontées aux mêmes défis. En Amérique latine et en Asie du Sud-Est, où les infrastructures électriques sont déjà en place, l'accent est mis sur l'amélioration de la capacité, de la résilience et de la flexibilité afin de soutenir des parts plus importantes d'énergie renouvelable.

En Afrique, où le besoin en infrastructures énergétiques est particulièrement aigu, les contraintes financières limitent la capacité des entreprises de services publics à investir dans l'expansion et la modernisation du réseau.  Dans le scénario de l'Afrique durable de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les investissements dans les réseaux devraient passer d'environ 10 milliards d'USD par an, aujourd'hui, à près de 50 milliards d'USD d'ici 2030, ce qui nécessite de nouveaux modèles de financement moins dépendants des fonds limités de l'État.

Par ailleurs, de nombreuses entreprises publiques africaines sont confrontées à une mauvaise santé financière et à des pertes de réseau élevées, qui s'élevaient en moyenne à 15 % sur le continent en 2020, contre une moyenne mondiale de 7 % (Lien).

En conséquence, ces entreprises ne sont pas en mesure de financer l'expansion et la modernisation des réseaux qu’exige l'afflux d'énergies renouvelables. Parallèlement aux efforts visant à améliorer la santé financière des services publics, l'augmentation des dépenses dépendra probablement de subventions et de capitaux à des conditions très favorables pour développer et piloter des modèles qui transfèrent une partie du financement à des acteurs privés. Des pays comme le Kenya et l'Ouganda testent déjà des approches innovantes de refinancement de concessions avec le soutien d'institutions de financement du développement, qui pourraient servir de modèles ailleurs sur le continent en cas de succès.

Face à ces défis, il est essentiel d'attirer davantage de capitaux du secteur privé. Cela nécessite un cadre réglementaire solide, transparent et orienté vers l'avenir. Des structures de rémunération adéquates, une visibilité accrue de la rémunération future et des mécanismes de rémunération compatibles avec les objectifs politiques spécifiques sont également essentiels. De plus, dans les marchés où l'accès au financement commercial est difficile, un financement concessionnel à grande échelle est nécessaire pour renforcer la confiance des investisseurs.

Des exemples de réussite tels que le modèle de partenariats public-privé en Inde et les approches innovantes de refinancement en Afrique, soutenues par des institutions de financement du développement, laissent entrevoir la possibilité de surmonter ces défis. L'investissement concessionnel, tel que celui offert par les fonds d'investissement climatiques, peut jouer un rôle crucial dans le développement de nouveaux modèles d'entreprises, facilitant ainsi la transition vers un financement commercial suffisant et abordable pour la transition énergétique.

En conclusion, les investissements massifs dans les infrastructures électriques sont essentiels pour soutenir la transition mondiale vers les énergies renouvelables. Un engagement accru du secteur privé, soutenu par des cadres réglementaires solides et des incitations appropriées, est nécessaire pour surmonter les défis actuels. Les succès déjà observés dans certaines régions du monde montrent que des approches novatrices et des partenariats public-privé peuvent catalyser les investissements nécessaires. Ainsi, en conjuguant les efforts des secteurs public et privé, il est possible de créer des réseaux électriques robustes qui favorisent une transition énergétique mondiale.

RELATED CONTENT

  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 19, 2021
    Morocco's significant renewable energy resources offer an unprecedented opportunity to anchor the country’s economic and political choices in the energy transition, and to turn the transition into an essential lever for economic development. This is all the more relevant as the costs of renewable energies have dropped over the past 10 years2, and now offer strong potential, not only for creating green jobs but for ensuring a dynamic and resilient economic growth as well. In 2020, ne ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 9, 2021
    Les conséquences du changement climatique sont de plus en plus visibles au Maroc. Le schéma changeant des précipitations et de la sécheresse, l'augmentation des températures moyennes et des canicules, les inondations et l'augmentation du niveau de la mer affectent de plus en plus de nombreuses régions. Et pourtant, le taux d'émission de gaz à effet de serre (GES) du Maroc est relativement faible, comparé à celui d'autres pays. En 20162, les émissions totales de GES du Maroc ont atte ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 9, 2021
    The consequences of climate change are becoming progressively more visible in Morocco. Changes in rainfall patterns and drought, increases in average temperatures and heatwaves, flooding, and rising sea levels are increasingly affecting several regions. Yet, Morocco has a relatively low greenhouse gas (GHG) emission rate, compared to other countries. In 20162, Morocco’s total GHG emissions reached 86127.7 gigagram of carbon dioxide equivalent (Gg CO2-eq), totaling around 0.2% of glo ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    July 9, 2021
    Les importantes ressources en énergies renouvelables du Maroc offrent une opportunité sans précédent d’ancrer les choix économiques et politiques du pays dans la transition énergétique, et de faire de cette transition un levier essentiel du développement économique. Ceci est d’autant plus important que le coût des énergies renouvelables a baissé au cours des 10 dernières années2 et présente désormais un fort potentiel, non seulement de création d’emplois verts mais aussi de croissan ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    June 28, 2021
    Lors de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui s'est tenue à Paris en 2015, les gouvernements se sont engagés à limiter l'augmentation de la température mondiale à un niveau bien inférieur à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Ils se sont également engagés à atteindre, dès que possible, un pic de leurs émissions et à parvenir à la neutralité carbone au cours de la seconde moitié du siècle. Pour autant, m ...
  • Authors
    Chami Abdelilah
    Derj Atar
    Hammi Ibtissem
    Morazzo Mariano
    Naciri Yassine
    with the technical support of AFRY
    June 28, 2021
    During the 2015 Paris Conference of the Parties to the United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC), governments pledged to limit the global temperature increase to well below 2°C above pre- industrial levels, to peak emissions as soon as possible, and to achieve carbon neutrality in the second half of the century. Yet, even assuming full implementation of the commitments made by governments in Paris, the global concentration of greenhouse-gas (GHG) emissions will ...
  • June 16, 2021
    It is now an established fact that investment in infrastructure is considered as a driver for economic growth. It acts through different channels. In the short run, the construction phase of any projects often implies the direct creation of new jobs and an indirect creation of on periph...
  • Authors
    April 27, 2021
    With a population of approximately 200 million, Nigeria accounts for about half of West Africa's population and has one of the largest concentrations of young people in the world. Endowed with abundant natural resources, Nigeria is one of Africa's largest oil exporters, with an estimated 37 billion barrels of proven crude oil reserves, the majority of which are found in the Niger River Delta and offshore in the Bight of Benin, the Gulf of Guinea and the Bight of Bonny. Nigeria also ...
  • Authors
    December 7, 2020
    The pandemic is accelerating history, in the sense that it is leading to the speeding up of some recent trends. In the case of globalization, the pandemic will not reverse it, but it will reshape it. Here we take a bird’s eye view of global trade during the pandemic, relate it to previous trends, and guess how global value chain managers and government trade policymakers are likely to react. A Bird’s Eye View of Global Trade during the Pandemic World trade took a deep dive during ...