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Opinion
Le Policy Center for the New South (PCNS) et le Fonds Monétaire International (FMI) ont organisé, le 28 avril, à Rabat, une table ronde d'experts sur le thème "Fighting Inflation and Building Resilience : the Outlook for MENA and Morocco".
Au niveau international, la lutte contre l’inflation constitue la principale préoccupation des politiques économiques dans la majorité des pays. La détection des risques inflationnistes a pris du retard après la crise sanitaire parce que les autorités monétaires, particulièrement des grands blocs économiques, estimaient que c’était un phénomène transitoire. De plus, l’inflation dans sa dimension galopante était oubliée pendant au moins deux décennies. Toutefois, la persistance inattendue de l’inflation, en sus du traumatisme de l’expérience des années 1970 et 1980, a poussé de nombreuses banques centrales à des augmentations historiques des taux d’intérêt et l’asséchement de la liquidité à travers l’élimination graduelle du quantitative easing. La crédibilité de la politique monétaire est devenue une priorité absolue au prix même d’un ralentissement économique, voire une récession. Cette tendance s’est maintenue jusqu’à la faillite de certaines banques commerciales où les banques centrales, notamment la FED (Réserve fédérale des États-Unis), ont ralenti le rythme du resserrement monétaire.
Dans cet environnement international turbulent, un certain nombre de fragilités mondiales émergent. Le contexte économique mondial a exhibé certaines fragilités. La première est relative à la stabilité du secteur financier avec la faillite de certaines banques commerciales aux États- Unis et ailleurs, qui a mis en évidence les problèmes relatifs à la gestion des taux d’intérêt. Bien que cette situation puisse paraitre comme un accident de parcours, elle soulève des questions sur la stabilité du système financier dans son ensemble. Les préoccupations concernent également les perspectives de croissance économique mondiale, qui a atteint son niveau le plus faible depuis le début des années 1990. La succession des chocs n’a pas permis de récupérer la trajectoire de croissance escomptée, ce qui entraîne des conséquences économiques et sociales négatives considérables à moyen et long terme. Par conséquent, il est nécessaire d'identifier les réformes structurelles nécessaires pour stimuler la croissance économique et améliorer le niveau de vie de la population mondiale. Les enjeux portent sur l'identification des secteurs d'avenir et des politiques économiques à mettre en œuvre. Par ailleurs, se pose la problématique de la résolution des enjeux globaux tels que la dette, l’avenir du commerce international dans un contexte où de nouveaux paradigmes économiques s’imposent, tels que le ’’nearshoring ’’ et le ’’friendly-shoring ’’, qui influencent les circuits économiques mondiaux. Ces paradigmes, qui reposent davantage sur des raisons géopolitiques que sur des considérations de marché et d’efficience économique, limitent les réseaux des chaines d’approvisionnement aux pays dits alliés et amis. En effet, le risque de fragmentation, qui menace l'unité des nations, pèse sur leur capacité à collaborer afin de résoudre les problèmes économiques communs. Ce modèle de coopération économique, instauré à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour traiter les défis et les conflits économiques, est actuellement remis en question.
En dépit des difficultés et des vulnérabilités auxquelles la région MENA était confrontée en 2020, celle-ci a réussi à reprendre une croissance économique positive à partir de 2021. En 2022, la région a enregistré une croissance moyenne de l’ordre de 5,3 %, surpassant celle de l'économie mondiale et celle des pays émergents. Malgré l'incidence négative de la hausse des prix sur le pouvoir d'achat des ménages et les coûts de production des entreprises, cette accélération a été essentiellement portée par une demande intérieure dynamique et une forte reprise de la production pétrolière chez les pays exportateurs de cette ressource.
En phase avec la trajectoire mondiale, la croissance de la région devrait se ralentir en 2023 et les tensions inflationnistes demeurent la principale préoccupation. La région MENA devrait enregistrer un ralentissement de sa croissance économique pour s’établir à 3,1 %. Deux tendances globales de cette croissance se dessinent : dans les pays exportateurs de pétrole, le principal moteur de croissance se déplace vers les activités non pétrolières, fruit des réformes structurelles engagées depuis la crise pétrolière de 2014. Cette dynamique devrait leur permettre d'atteindre un taux de croissance du secteur non pétrolier supérieur à 4,5 %. Pour les autres pays de la région, la situation économique est disparate. Le resserrement des politiques monétaire et budgétaire dans les marchés émergents de la région, ayant pour but de préserver la stabilité macroéconomique, freine la demande intérieure. Par conséquent, la croissance économique devrait ralentir de 1,7 point de pourcentage pour s’établir à 3,4 %. Par ailleurs, l’inflation a franchi la barre de 10 % sur trois années consécutives, alimentée dans un premier temps par les prix des matières premières avant de s’étendre à d’autres produits. Dans de nombreux pays exportateurs de pétrole, l'inflation est relativement plus faible en raison des subventions et des plafonds sur certains produits, du renforcement du dollar américain et d'une faible part des produits alimentaires dans le panier de consommation. En revanche, l’inflation continue de progresser dans la plupart des économies émergentes et pays à revenus moyens, reflétant l’impact des dépréciations antérieures des taux de change, de la persistance de l’augmentation des prix des produits alimentaires et la diffusion des pressions inflationnistes dans d’autres secteurs.
L'année 2023 s'annonce porteuse d’un nombre de risques majeurs pour la région. L’intensification des tensions financières dans les pays avancés pourrait peser sur la croissance mondiale et, par extension, sur la demande extérieure adressée à la région, notamment par une plus grande volatilité des prix du pétrole. La volatilité accrue des marchés financiers augmenterait les pressions sur les coûts d'emprunt et exacerberait les problèmes de soutenabilité de la dette publique dans de nombreux pays émergents et en développement de la région MENA. En outre, les effets de contagion à travers les canaux du système financier demeurent limités en raison du faible niveau d'intégration des systèmes financiers de la région. Toutefois, le lien étroit entre l'État et les banques pourrait exacerber les risques pour la stabilité financière nationale. En effet, l'exposition du système bancaire aux obligations d'État varie de 6,8 % à 44 % du total des actifs du système bancaire. De plus, la persistance des resserrements des conditions financières pourrait inciter les investisseurs à réévaluer la soutenabilité de la dette dans de nombreux pays de la région, poussant les économies les plus vulnérables au bord du surendettement. Cette situation pèsera sur la capacité des pays de la région à accéder aux marchés financiers internationaux. En effet, seuls quelques pays de la région, tels que le Maroc et la Jordanie, ont eu la possibilité de se financer sur les marchés internationaux. Une escalade de la guerre en Ukraine alimenterait éventuellement des pressions inflationnistes supplémentaires dans les pays de la région à travers une forte volatilité sur les marchés des matières premières, des pénuries et de nouvelles augmentations des prix de l'énergie, des denrées alimentaires et des engrais.
Pour faire face à cet environnement, les pays de la région sont appelés à adopter une approche équilibrée, visant à concilier deux piliers : stabilité et transformation. Le pilier de la stabilité permet de restaurer la confiance et empêche les coûts inquiétants associés aux dérapages économiques actuels et aux difficultés de financement. En effet, il n’y a pas de prospérité sans stabilité. Pour assurer la stabilité, la politique monétaire doit maintenir un équilibre entre la lutte contre l'inflation et la préservation de la stabilité financière et sociale. De plus, il est nécessaire de changer la logique des politiques des finances publiques, en établissant un ancrage à moyen terme, de renforcer les institutions et d’assurer une certaine cohérence et une coordination entre les politiques budgétaire et monétaire. Le pilier de la transformation permettrait de restaurer une croissance économique à moyen terme capable d'améliorer structurellement le marché de l'emploi et les conditions économiques et sociales. Ceci implique à mettre en place des politiques de transformation structurelle, y compris des politiques industrielles, qui permettent de s'adapter à des circuits économiques en constante mutation.
À la lumière de ces fragilités régionales et mondiales, les Assemblées annuelles d’octobre 2023 du FMI et de la Banque mondiale (BM), qui se tiendront à Marrakech, offrent une opportunité de débat international sur les questions du développement et de la solidarité internationale. Avec la participation de plus de 190 pays, ces réunions marquent le retour en Afrique et au Moyen-Orient après, respectivement, 50 ans et 20 ans. Le Maroc, grâce à sa position géographique et son héritage historique et culturel, est bien placé pour abriter un tel débat sur les principes fondamentaux qui régissent le fonctionnement de l’économie mondiale et des questions complexes telles que la dette, la croissance, l'inclusion, le changement climatique, l'équité et la transformation… etc. De plus, ces Assemblées sont cruciales pour les pays du Sud qui cherchent à faire entendre leur voix dans ce genre d’évènements internationaux pour mitiger les effets cumulatifs de la politique économique des pays avancés et de l'accès restreint au capital, qui entravent leur croissance économique.