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Policy Brief
Depuis le 1er janvier 2024, l'Algérie occupe un siège non-permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies, une occasion pour ce pays de s’assurer une certaine visibilité dans un contexte international dominé par les conflits en Ukraine et à Gaza. Dès l’entame de son mandat, ce pays a été, par la force des choses, le porte-parole à la fois du groupe arabe et du groupe africain
En sa qualité de représentant de l’Afrique, l'Algérie s’est attachée à promouvoir une coordination entre les membres africains du Conseil afin de tenter de rallier à sa position les deux autres membres africains et transposer au Conseil de sécurité les décisions de l’Union africaine relatives aux thèmes figurant à l'ordre du jour dudit Conseil.
À travers son action au sein du Conseil, l'Algérie cherche à reconquérir un prestige perdu et à renouer avec le rôle d’acteur influent et de médiateur régional africain et international qu’elle a pu jouer durant les années 80 et 90, à la faveur de la guerre froide et au nom d’un panarabisme révolutionnaire et d’un anti-impérialisme en vogue dans les années 60 et 70.
Pour soutenir son ambition, l'Algérie a cherché à se positionner en Afrique, à travers l’annonce de projets d'intégration d’envergure avec les pays du Sahel. Cet effort se heurte aujourd’hui à une dégradation sans précédent des rapports de l'Algérie avec son voisinage sahélo-saharien, particulièrement avec le Mali.
Concernant la question du Sahara, l'Algérie s’est singularisée par sa non-participation au vote de la résolution d’octobre 2024 en raison du rejet de sa demande d'élargissement du mandat de la Minurso. Elle risque de voir sa marge de manoeuvre au Conseil se rétrécir avec le retour à la Maison-Blanche du Président Trump.
Introduction
L'Algérie assume depuis le premier janvier 2025 la présidence tournante du Conseil de sécurité, une occasion pour ce pays de s’assurer pendant un mois une certaine visibilité dans un contexte international dominé par les conflits en Ukraine et à Gaza. À la suite d’une élection non compétitive, qui s’est tenue le 6 juin 2022, l'Algérie a accédé au Conseil aux côtés de la Guyane, de la République de Corée, de la Sierra leone et de la Slovénie.
Sur le plan interne, la succession du Président Tebboune à Abdelaziz Bouteflika, affaibli et contesté et finalement évincé du pouvoir par un Hirak pacifique devenu menaçant pour l’Institution militaire, a poussé le régime en place à installer au Palais Al Mouradia un profil moins charismatique mais accommodant pour lancer le chantier d’une « Algérie nouvelle » mais fidèle à ses mythes fondateurs de fidélité aux vertus de la lutte pour l'indépendance, de leadership régional et de rayonnement international. En butte à des difficultés socio-économiques durant les deux premières années du mandat du Président Tebboune, l'Algérie a bénéficié de l'embellie des cours du pétrole et du Gaz naturel, générée par la guerre d’Ukraine et le boycott par l’Europe du gaz russe, pour renflouer les caisses de l’État et procurer une bouée d'oxygène pour relancer des grands projets, augmenter les salaires et conforter une paix sociale salutaire.
Au-delà des préoccupations socio-économiques internes, il restait pour cette « Algérie nouvelle » de réaliser un come-back diplomatique -surtout depuis son entrée au Conseil de sécurité - en se déployant sur les plans régional et international. Cet objectif se heurte, cependant, à trois obstacles majeurs : la dégradation inédite des relations avec le Maroc, sans lequel aucune dynamique d'intégration maghrébine ne peut véritablement se concrétiser, la détérioration des rapports avec la France, principal partenaire de l'Algérie et membre permanent du Conseil de sécurité et la rupture d’une relation de quasi-vassalité avec les pays voisins du Sahel, dont la situation figure parmi les priorités du Conseil.
L'entrée de l'Algérie au Conseil est intervenue en plein guerre entre l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) et la Russie, principal allié de l'Algérie, et quelques semaines après le déclenchement de la guerre entre Israël et Hamas, principalement à Gaza mais dont les conséquences se faisaient sentir dès le début dans les pays voisins, particulièrement au Liban, en Jordanie et en Syrie.
L'Algérie a été, par la force des choses et dès l’entame de son mandat, le porte-parole du groupe arabe sur le conflit à Gaza et, d’une manière générale, sur la situation du Moyen- Orient, y compris la question palestinienne. À ce titre, ce pays a présenté au nom des pays membres de la Ligue arabe des projets de décision dont la plupart ont été opposés par les États-Unis. De même, en sa qualité d’un des représentants africains au Conseil, l'Algérie s’est attachée à promouvoir une coordination entre les membres africains du Conseil afin de tenter de rallier à sa position les deux autres membres africains et transposer au Conseil de sécurité les décisions de l’Union africaine relatives aux thèmes figurant à l'ordre du jour dudit Conseil.
À mi-chemin du mandat de ce pays, un examen des objectifs annoncés lors de l'élection de l'Algérie au Conseil et du comportement de ce pays en son sein, surtout vis-à-vis des questions de la Palestine, du Sahel et du Sahara permet de mesurer le degré d’instrumentalisation par l'Algérie de sa fonction représentative pour servir exclusivement son image et s’approprier l’engagement arabe et africain sur des thématiques qui engagent le destin du monde arabe et du continent africain.
L'élection de l'Algérie au Conseil de sécurité
L'Algérie a été élue par l'Assemblée générale des Nations Unies le 6 juin 2023, en l’absence de toute candidature concurrente de la région nord-africaine, à une majorité de 184 contre 188 pour la Sierra Leone et 191 pour la Guyane sur les 193 États membres de l’Organisation. Elle y siège depuis le premier janvier 2024, comme membre non-permanent, pour un mandat de deux années expirant le 31 décembre 2025. C’est la quatrième fois que ce pays occupe cette position après les mandats de 1968 – 1969 1988 – 1989 et 2004 – 2005.
Selon le découpage régional adopté depuis 1965, l’Afrique a droit, pour le compte des cinq sous-régions qui composent le continent, et selon les années, tantôt à deux sièges au Conseil, tantôt à trois. Le siège occupé par l'Algérie est en même temps africain et arabe. Depuis la scission en 1965 du groupe asiatique en un groupe africain et un groupe asiatique, il a été convenu pour les besoins de la défense de la cause palestinienne d’assurer une présence arabe permanente au Conseil de sécurité. De ce fait, le siège arabe est alternativement occupé par un pays arabe du Moyen-Orient et un pays d’Afrique du Nord.
Si la référence à la répartition géographique équitable (1) de la Charte de l’ONU et le rôle joué principalement par le groupe africain à New York, et accessoirement par l’Union africaine dans le domaine des candidatures, laissent penser que les membres africains du Conseil sont censés défendre et mettre en oeuvre les décisions et les orientations de l’Organisation panafricaine, la réalité est tout autre. En effet, se prévalant de leur élection par l’ensemble des membres de l'Assemblée générale, les membres élus ont tendance à mettre leur présence au Conseil au service de leur intérêt national, même si cela les amènerait à aller à l'encontre d’une position ou d’une décision de l’Union africaine.
Dans le communiqué publié le lendemain des élections, l'Algérie s’est assignée comme objectifs de :
- faire entendre la voix du continent africain et ses revendications légitimes et réparer l'injustice historique qu'il a subie en lui allouant deux sièges permanents au Conseil de sécurité ;
- défendre, en tant que représentant du groupe arabe au conseil, la cause palestinienne et relancer la question de l'adhésion pleine et entière de l'État de Palestine à l'ONU ;
- lutter contre le financement du terrorisme à travers, notamment, la lutte contre les enlèvements contre rançons que les groupes terroristes exigent en échange de libération des otages ou d'obtention de concessions politiques ;
- assumer ses responsabilités en tant que partenaire fiable, en proposant des idées et des initiatives visant à renforcer le rôle de l'action multilatérale dans la préservation de la paix et de la sécurité internationales ;
- plaider en faveur du renforcement de la coopération entre l’ONU, d’une part, et la Ligue arabe et l’Union africaine, d’autre part.
Dans la poursuite de ces objectifs, l'Algérie cherche à reconquérir un prestige perdu et à renouer avec le rôle d’acteur influent et de médiateur régional africain et international qu’elle a pu jouer durant les années 80 et 90 à la faveur de la guerre froide et grâce à une réputation qu’elle s’est forgée pour son accueil des mouvements de libération, des acteurs de détournements d’avions et de mouvements sécessionnistes espagnols et latino-américains, au nom d’un panarabisme révolutionnaire et d’un anti-impérialisme en vogue dans les années 60 et 70.
Propulsé par l'Armée pour succéder à Abdelaziz Bouteflika, un Président qui fut le chef de la diplomatie des glorieuses années 70, le « sauveur de 1999 » et l’interlocuteur des Grands du monde, le Président Tebboune avait besoin de positionner l'Algérie sur le plan international et renouer avec un passé lointain d’influence parmi les pays africains et non-alignés et de médiation au service des grandes puissances.
À la recherche d’un prestige perdu
Sur le plan diplomatique, l’Algérie a tenté de renouer avec une politique des « bons offices » lui permettant de revenir sur le devant de la scène continentale. Dans ce sens, des tentatives ont été lancées du côté de la Libye, entre l’Égypte et l’Éthiopie, au Mali et au Niger avec peu d’effet.
Cette quête d’un rôle à l’international s’est manifestée avec force en juin 2023, lorsque le président Tebboune a exprimé ses «remerciements» au président Poutine pour «avoir accepté la médiation de l’Algérie dans le conflit opposant la Russie, pays ami, à l’Ukraine», en affirmant à son homologue russe que « l’Algérie sera à la hauteur de cette confiance ».(2)
L'élection, en 2022, de l'Algérie comme membre du Conseil de sécurité a été perçue comme une unique opportunité pour la diplomatie algérienne sous la nouvelle présidence pour retrouver sa verve et son dynamisme d’antan, particulièrement à l'échelle du monde arabe et du continent africain et jouer dans la Cour des Grands.
Ainsi, et en réponse aux félicitations du Secrétaire général des Nations Unies, le communiqué de la Présidence algérienne, du 6 juin 2023, soulignait que « Cette élection, qui est à inscrire à l’actif de la politique étrangère de notre pays, traduit la considération et l’estime dont bénéficie le président de la République M. Abdelmadjid Tebboune, de la part de la communauté internationale et reflète sa reconnaissance pour sa contribution en faveur de la paix et de la sécurité internationales .. ce succès diplomatique confirme bien le retour de l’Algérie nouvelle sur la scène internationale et entérine la vision et approche du président de la République pour la préservation de la paix et la sécurité dans le monde, fondées sur la coexistence pacifique, le règlement pacifique des différends et la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays dans le cadre d’une politique étrangère qui puise ses principes, ses valeurs et ses idéaux de notre guerre libératrice ».
À la suite de l'échec de sa candidature au groupe des BRICS, en août 2023, l'Algérie a trouvé au Conseil de sécurité un cadre propice pour donner un nouvel élan à sa diplomatie, avec le souhait pour les hautes autorités de ce pays d’en tirer quelques dividendes en termes de renforcement du front intérieur.
Pour soutenir son ambition, l'Algérie a cherché à se positionner en Afrique, à travers l’annonce, coup sur coup, de projets d'intégration tels que la liaison de fibre optique avec le Niger et le Nigéria, le gazoduc Nigéria-Europe via l'Algérie, la ligne ferroviaire Alger-Bamako- Niamey, l’ouverture d’une zone de libre-échange à la frontière avec la Mauritanie et la création de zones franches en collaboration avec la Mauritanie, la Tunisie, la Libye, le Mali et le Niger.
L'Algérie, la voix arabe au Conseil de sécurité
Avant son entrée au Conseil, l'Algérie a cherché à se positionner sur la scène arabe à travers deux initiatives de son Président: la première est l'invitation, le 5 juillet 2022, du Président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et du chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, pour une rencontre formelle à Alger destinée à réconcilier les deux camps, une rencontre sanctionnée par la signature d'une Déclaration qui n’a eu aucun effet sur les rapports entre les deux protagonistes. La seconde est le sommet de la Ligue arabe tenu au début de novembre 2022 dans la capitale algérienne sous le thème de la « Réunification des rangs » , sommet qui a notamment renouvelé le soutien total des pays arabes aux Palestiniens pour l'établissement de leur État et l’accession au Statut d’État membre à part entière des Nations Unies.
L’Algérie a entamé son mandat trois mois après le déclenchement des hostilités entre Israël et Hamas. En tant que seul représentant arabe au Conseil de sécurité, ce pays était ipso facto investi de la mission de relayer les décisions de la Ligue arabe et de répondre aux attentes des Palestiniens à voir la guerre contre Gaza s'arrêter le plus tôt possible.
Selon le chef de la diplomatie algérienne, son pays « a fait de la cause palestinienne sa préoccupation principale et le fil conducteur de toutes ses actions .. et mènera des tentatives jusqu'à ce que ce Conseil assume ses responsabilités envers le peuple palestinien pleinement et sans ambages ».
Depuis son entrée au Conseil, l'Algérie a proposé plusieurs projets de résolutions à la demande de la Ligue arabe et en coordination avec les autres membres du Groupe arabe à New York. Ces projets ont connu des fortunes différentes entre des projets défaits par un veto américain, des projets qui n’ont pas obtenu les voix requises pour être adoptés et des projets minimalistes proposés par l'Algérie et une partie ou la totalité des membres non permanents adoptés par le Conseil.
À chaque fois, les projets de résolutions ont été attribués par les médias algériens non au Groupe arabe ou à la Ligue arabe mais à la seule délégation algérienne et les vétos successifs des États -Unis offraient l’occasion à ce pays de surenchérir sur le degré d’appui accordé aux Palestiniens par les autres pays arabes et mettre en exergue le militantisme et l'engagement de la diplomatie algérienne en faveur des Gazaouis. Cette visibilité, de circonstance, contraste avec le profil bas observé par l'Algérie sur les questions africaines soumises au Conseil impliquant les situations de conflit dans certains pays du Continent, notamment ceux du Sahel.
La défense de l'Afrique dans l'intérêt de l'Algérie
Si la répartition des sièges selon la représentation régionale équitable confère aux États africains élus au Conseil la tâche d’y représenter le Continent, l'Algérie a tenté de créer des mécanismes de coordination pour influer sur les positions de ces États afin de pouvoir les actionner lorsqu’elle siège au sein du Conseil.
Profitant de l’absence du Maroc de l'Union africaine, l'Algérie a reçu mandat, avec neuf autres pays africains, de défendre la position de l’Afrique sur la question de la Réforme du Conseil de sécurité et a toujours plaidé pour que le Groupe africain soit l'émanation de l’Organisation continentale et mette en œuvre les décisions de cette dernière. Elle a, en outre, mis en place depuis 2014 le « processus d’Oran », destiné à assurer la coordination entre les membres africains du Conseil de sécurité.
La première édition de ce séminaire a réuni le président du CPS, les membres africains du Conseil de sécurité ainsi que l'Algérie en tant que pays hôte et initiateur de l'idée. À l’origine, le séminaire a été conçu pour familiariser les nouveaux membres africains aux méthodes de travail du Conseil. Mais au fil des sessions, et sous l’impulsion de l'Algérie, le séminaire s’est transformé en un mécanisme destiné à faire du groupe africain à New York une caisse de résonance du Conseil paix et sécurité de l'Union africaine.
Cette initiative a conduit à la mise en place du groupe A3, désignant les membres africains du Conseil, et à la mise en place d'une coordination tournante du groupe ainsi que l'établissement d’un Caucus africain à New York. Ce séminaire a été institutionnalisé par décision du Conseil Paix et Sécurité de l’Union africaine, qui était téléguidé pendant dix-sept années par un Commissaire algérien. L’objectif stratégique de l'Algérie derrière ce séminaire est l’imposition aux membres africains du Conseil d’une certaine discipline dans leur position afin de suivre et exécuter les décisions de l’Union africaine et, en même temps, la garantie d’un droit de regard permanent de l'Algérie à travers la tenue à Oran des futures sessions du séminaire.
Pour verrouiller ce système de « tutelle déguisée », l'Algérie a proposé une ébauche de guide sur le dialogue et la coordination entre le Conseil Paix et sécurité africain et les membres africains du Conseil de sécurité des Nations Unies, une initiative qui a soulevé de la part des pays destinataires des interrogations sur les intentions réelles de l'Algérie derrière le séminaire.
L'Algérie se présente non seulement comme un des trois pays africains représentant le continent au sein du Conseil de sécurité mais, aussi, comme chef de file assumant la fonction de coordonnateur de la position africaine au sein du Conseil. C’est ainsi que lors du débat du 25 janvier 2025, le groupe A3+ (Algérie, Somalie, Sierra Leone et Guyana) au Conseil de sécurité a exprimé sa «vive préoccupation» face à la dégradation des conditions de sécurité en Haïti, et souligné la nécessité de rechercher des solutions durables qui permettront à la population haïtienne de rétablir la paix dans son pays. »
Cet effort de conditionnement des positions des autres membres africains du Conseil, se heurte aujourd’hui à une dégradation sans précédent des rapports de l'Algérie avec son voisinage sahélo-saharien, particulièrement avec le Mali, dont la situation occupe une place de choix dans l’ordre du jour du Conseil. On voit donc mal ces pays accepter que l'Algérie puisse parler ou négocier en leur nom.
S’adressant directement à l'Algérie lors de la 79éme session de l'Assemblée générale des Nations Unies, le Président malien Abdoulaye Maïga a déclaré : « Quant aux représentants permanents algériens, en plus d’offrir le gîte et le couvert, certainement avec des succulents plats de tchoutchouka et de chorba à des terroristes et des renégats en débandades, son rôle d’estafette désorientée ne contribue guère à la promotion des relations de bon voisinage ».
Pour leur part, les autorités nigériennes accusent l'Algérie de déverser sur leur territoire des milliers de migrants clandestins. Selon l’ONG nigérienne Alarme Phone Sahara (APS), « le nombre de migrants expulsés par l'Algérie est passé de 26 031, en 2023, à 31,044, en 2024, dépassant ainsi tous les chiffres documentés des années précédentes. (3)
L'Algérie et la question du Sahara
Au regard de la priorité que l'Algérie accorde à la question du Sahara dans sa politique étrangère et à l'activisme de ses dirigeants pour contrecarrer la dynamique imprimée par le Maroc à son initiative d’autonomie, l'opinion publique marocaine s'interrogeait, à l'entrée de l'Algérie au Conseil de sécurité, sur l'influence potentielle que ce pays pouvait exercer sur l'équilibre au sein du Conseil et sa capacité à modifier les paramètres de la solution politique ou à introduire de nouveaux éléments dans la résolution sur le Sahara. Ces préoccupations puisent leur fondement dans la radicalisation de la position algérienne sur cette question et l'absence de tout contact ou dialogue entre l'Algérie et le Maroc.
Le couplage, obstinément établi ces dernières années par l'Algérie entre la question palestinienne et la question du Sahara, et l’ouverture à Alger d’un bureau de représentation d'un obscur « parti rifain », ont alimenté davantage les craintes quant à la tentation de l'Algérie d'instrumentaliser son mandat au Conseil pour nuire au processus onusien.
Sur les 46 résolutions adoptées par le Conseil en 2024, l'Algérie a voté positivement 41 résolutions, s’est abstenue sur quatre résolutions (relatives aux Houthis, à la Libye et au Sud-Soudan, et a boycotté une seule. En effet, lors du vote de la résolution sur la question du Sahara , l'Algérie s’est démarquée du reste des membres du Conseil en choisissant de ne pas participer au vote, contrairement au Mozambique, pourtant aligné sur ses positions, qui a préféré s’abstenir.
Cette option de non-vote ou de boycott à la suite du rejet des amendements qu’elle avait présentés par les membres du Conseil, s’expliquait par les raisons suivantes:
- l'Algérie ne se considère ni concernée ni engagée par la résolution ;
- le dépit ressenti par la délégation de ce pays de voir ses amendements sur l'élargissement du mandat de la Minurso élargi aux droits de l’Homme ;
- la dissociation de la Russie de la position algérienne, à travers son abstention sur les propositions algériennes.
Cette situation a révélé les limites de la diplomatie algérienne et son impuissance à convaincre de son point de vue les autres pays y compris son allié russe. Faute de pouvoir marquer des points sur la question du Sahara, l'Algérie s’est rabattue sur son sujet de prédilection, la lutte contre le terrorisme.
Le terrorisme, sujet de prédilection de l’Algérie
L’Algérie se présente au monde comme le pays qui a réussi à vaincre le terrorisme de la décennie noire par ses propres moyens. Elle en a fait un motif de fierté, un thème prioritaire et un atout dans son action diplomatique. Dans une récente déclaration du Chef d’État-Major de l’Armée algérienne, Said Chanegriha, l’homme fort de l’Algérie, a affirmé que « le terrorisme est vaincu et ce grâce aux enfants de l’Algérie. Il n’y a aucun autre État qui nous a soutenu dans notre lutte contre le terrorisme. Tout Algérien et les prochaines générations doivent en être fiers ».(4)
C’est pour renforcer cette réputation que l'Algérie s’est employée à abriter deux institutions africaines importantes, à savoir le Centre Africain d’Études et de Recherche sur le Terrorisme (CAERT) et l’Assemblée Générale du Mécanisme de coopération policière africaine (AFRIPOL) , et à assurer la coordination du portefeuille de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent en Afrique. Il était donc prévisible qu’à la suite de son adhésion au Conseil de sécurité, ce pays sollicite et obtienne la présidence du Comité contreterrorisme et qu’il fasse du terrorisme un thème prioritaire de sa présidence du Conseil durant le mois de janvier 2025.
Dans le cadre de cette présidence, l'Algérie a organisé, le 21 janvier 2025, un débat public sur le thème « Lutte antiterroriste menée par l’Afrique et axée sur le développement : renforcer le leadership africain et la mise en œuvre des initiatives africaines de lutte contre le terrorisme ». Cette inscription a été justifiée, selon le Représentant de L'Algérie, par le fait que « la communauté internationale s'était détournée de ce fléau persistant en Afrique » et par le souhait de ce pays de « réengager la communauté internationale et l'amener à s'intéresser à ce fléau », à la lumière des récents développements.(5)
Depuis plus d’une dizaine d'années, l'Algérie a fait de l’interdiction du paiement des rançons aux terroristes un cheval de bataille de son action dans les instances internationales. Un véritable ‘’forcing’’ a été exercé sur le reste des membres du Conseil pour faire passer une décision sur la criminalisation du paiement des rançons, sans succès. La réalité est que tout en condamnant sur le plan du discours de telles pratiques, les États hésitent à trancher cette problématique, préférant se ménager une marge de flexibilité pour agir cas par cas, selon les circonstances pour sauver des vies humaines, quitte à tolérer le paiement de rançons sans en assumer la responsabilité et en conduisant les opérations de libération des otages dans une discrétion totale . C’est pour ces raisons que les membres permanents du Conseil se sont toujours montrés réservés et réticents à s’engager au-delà de la simple condamnation verbale de ces pratiques.
Faute d’une consécration par le Conseil lui-même de l’initiative algérienne, l’Algérie a mis à profit sa présidence du Comité contre le terrorisme (un organe subsidiaire du Conseil), pour faire adopter, par ledit Comité, dans des termes indicatifs, ce que la présidence a appelé « les principes directeurs de l’Algérie ». La formulation minimaliste retenue par ledit Comité « engage la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme à en tenir compte, selon qu’il conviendra, dans le respect de son mandat ».
Conclusion
Au moment où l'Algérie entame sa seconde année au Conseil de sécurité, le paysage au sein de cet organe a complètement changé par rapport à 2024. Le remplacement du Mozambique par la Sierra leone, plus proche de la position du Maroc, le bras de fer, par médias interposés, avec la France, l'arrivée d’un Trump conquérant à la Maison-Blanche et le souci de Moscou de ne pas antagoniser Washington pour les besoins d’un possible “Deal’’ sur l’Ukraine, tous ces facteurs ne manqueront pas de changer la donne au sein du Conseil de sécurité, pour le traitement de la question palestinienne, de la situation au Yémen et peut-être même de la question du Sahara. L'Algérie pourrait voir sa marge de manœuvre se réduire davantage, au fur et à mesure que s’approche la fin de son mandat au Conseil.
Notes
1- Article 23 de la Charte des Nations Unies.
2-El Moudjahid du 16 juin 2023.
3-le Monde du 14-01-2025.
4- Déclaration de Saïd Chanegriha, chef d’État-major de l’ANP du 17 mars 2024.
5- Déclaration de M. Ahmed Attaf Ministre algérien des Affaires étrangères du 21 janvier 2025.