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La Constitution française de 1958 résistera-t-elle à la dissolution du 9 juin 2024 ? Et quelles en sont les implications institutionnelles et géopolitiques ?
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September 20, 2024

La dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron, le 9 juin 2024, a marqué un moment décisif dans l’histoire politique contemporaine de la France. Cette décision, prise dans un contexte de forte fragmentation politique, a des implications profondes pour la Ve République et ses fondements constitutionnels. Alors que la Constitution de 1958, avait été conçue pour garantir la stabilité d’un régime présidentiel fort, taillé par Michel Debré à la taille du général de Gaulle, l’évolution actuelle du paysage politique français soulève la question de savoir si cette structure peut survivre à une crise politique de cette ampleur et quelles sont ses répercussions sur les intérêts géostratégiques de la France.

Ce texte propose d’analyser les conséquences politiques et constitutionnelles de cette dissolution et d’examiner les défis auxquels est confronté le régime semi-présidentiel français. En prenant en compte la nature du pouvoir exécutif, les dynamiques parlementaires, et l’hypothèse de la mise en place du scrutin proportionnel, nous tenterons de répondre à la question de la pérennité de la Ve République dans un contexte politique en mutation. Une réflexion s’impose aussi quant à la capacité d’un exécutif affaibli et d’une assemblée dispersée de prendre les décisions nécessaires à la gestion de la polycrise qui impacte le monde et, notamment, l’environnement géopolitique africain, méditerranéen et moyen oriental qui a traditionnellement constitué la profondeur des intérêts stratégiques de la France. 

 

La Ve République : un régime sous tension

La Constitution de 1958 a été conçue dans le but de renforcer l’exécutif et de mettre fin à l’instabilité chronique de la IVe République, marquée par la faiblesse du pouvoir exécutif et la domination des forces parlementaires. Le général de Gaulle, principal artisan de cette Constitution, a voulu mettre fin à la  « pagaille » que constitue le «  régime des partis » (entretien télévisé avec Michel Droit, 15 décembre 1965 ) et assurer un équilibre institutionnel favorable à un président de la République fort, capable de diriger la nation sans être en permanence soumis aux aléas du Parlement. L’élection du président au suffrage universel direct en 1962 a, par ailleurs, renforcé ce présidentialisme en conférant une légitimité politique directe au chef de l’État. Sous de Gaulle, la France s’est affirmée au plan international en même temps que son président a consolidé sa prépondérance au niveau politique interne. Cette pratique présidentielle avait été dénoncée à son époque par François Mitterrand dans son essai « Le Coup d’État Permanent », paru en 1964. 

Cependant, malgré la force théorique du régime présidentiel, la Ve République a montré à plusieurs reprises qu’elle n’était pas exempte de tensions, notamment en période de cohabitation. La cohabitation, qui se produit lorsque le président et le Premier ministre appartiennent à des majorités politiques différentes, souligne les tensions inhérentes au modèle semi-présidentiel français. Comme le rappelle Olivier Duhamel (2015), la cohabitation met en lumière la dualité de l’exécutif en France et les tensions entre un président élu par le peuple et un Premier ministre soutenu par l’Assemblée.

Dans le cas présent, la dissolution de l’Assemblée nationale, couplée à la fragmentation du paysage politique français, exacerbe ces tensions institutionnelles. Contrairement aux précédentes dissolutions, comme celles de 1962, sous de Gaulle, ou de 1997, sous Jacques Chirac, qui visaient à restaurer l’autorité présidentielle ou à obtenir une majorité législative stable, la dissolution de 2024 a plongé la France dans une situation d’incertitude sans précédent. La dissolution n’a pas permis au président Macron de s’assurer une majorité stable à l’Assemblée nationale, mais a, au contraire, accentué la fragmentation du pouvoir législatif. Les résultats des élections législatives qui ont suivi ont révélé une dispersion des voix entre plusieurs partis, rendant difficile la constitution d’une majorité solide.

 

Les effets de la dissolution sur le pouvoir présidentiel

La dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron a eu pour conséquence de remettre en question la prédominance du président au sein du régime politique français. Si la dissolution est une prérogative constitutionnelle du président en vertu de l’article 12 de la Constitution, elle est également un acte risqué, car elle engage la légitimité du chef de l’État. En choisissant de dissoudre l’Assemblée nationale dans un contexte de crise politique, Macron a pris un pari risqué qui, jusqu’à présent, ne semble pas avoir porté ses fruits.

Pierre Rosanvallon (2020) souligne que la légitimité présidentielle repose non seulement sur l’élection au suffrage universel, mais également sur la capacité du président d’obtenir et de maintenir une majorité parlementaire stable. Or, les résultats des élections législatives post-dissolution montrent que le président est désormais contraint de négocier avec des partis minoritaires, affaiblissant considérablement son autorité. Dans un régime où le président est historiquement perçu comme le chef de l’exécutif, cette situation constitue un bouleversement de l’ordre institutionnel établi. Emmanuel Macron, élu sur une base de promesses de réformes, se retrouve dans l’impossibilité de mettre en œuvre son programme politique en raison de l’absence de soutien parlementaire.

 

Vers un régime parlementaire de facto ?

Cette incapacité à gouverner efficacement pose la question de la nature même du régime politique français. Si la Constitution de 1958 a été conçue pour éviter la domination du Parlement sur l’exécutif, la réalité politique actuelle suggère que la France se rapproche d’un régime parlementaire de facto. Selon Dominique Rousseau (2018), un régime parlementaire est caractérisé par la subordination de l’exécutif au Parlement, et ce, même si cette subordination n’est pas inscrite dans la Constitution.

En effet, dans un régime parlementaire, le gouvernement doit constamment rechercher la confiance du Parlement pour gouverner. En l’absence de majorité claire, le président Macron doit s’appuyer sur des coalitions temporaires pour faire passer des lois, ce qui limite sa capacité à gouverner de manière autonome. Cette évolution rappelle les caractéristiques de la IVe République, où les gouvernements étaient régulièrement renversés par le Parlement en raison de l’instabilité des alliances politiques. La France risque ainsi de retomber dans un modèle où le pouvoir exécutif est subordonné aux jeux politiques parlementaires, compromettant ainsi la capacité à mettre en œuvre des réformes structurelles nécessaires pour le pays.

 

Le rôle de la proportionnelle dans la fragmentation politique

L’une des propositions qui a émergé à la suite de la dissolution est l’introduction d’un mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives. Cette réforme, soutenue par plusieurs forces politiques, vise à refléter plus fidèlement la diversité des opinions politiques au sein de la société française. Cependant, bien que la proportionnelle permette une meilleure représentation, elle présente également des risques pour la stabilité gouvernementale.

En effet, pour Michel Winock (2017), la proportionnelle rend difficile la constitution de majorités absolues et encourage la formation de gouvernements de coalition. Dans un contexte où les forces politiques sont déjà fragmentées, l’introduction de la proportionnelle pourrait aggraver cette fragmentation et rendre la gouvernance encore plus instable. La nécessité de former des coalitions avec des partis minoritaires affaiblirait davantage le président de la République, qui se retrouverait contraint de négocier en permanence avec des forces politiques aux intérêts divergents.

 

Les conséquences institutionnelles : vers une crise de régime ?

Le glissement vers un régime parlementaire non officiel, et l’introduction potentielle de la proportionnelle soulèvent des questions plus larges sur la pérennité de la Ve République. Si le président perd sa capacité à gouverner de manière autonome, la France pourrait se retrouver dans une situation de paralysie institutionnelle, où l’exécutif serait affaibli et le Parlement fragmenté.

Cette situation rappelle les écueils de la IVe République, où l’instabilité politique était la norme. Jean Gicquel (2017) est explicite lorsqu’il souligne que la faiblesse de l’exécutif sous la IVe République et la fragmentation des forces politiques ont conduit à une paralysie gouvernementale, qui a finalement abouti à la crise de 1958 et à la mise en place de la Ve République. Si la France devait connaître une nouvelle période d’instabilité politique et d’affaiblissement de l’exécutif, une crise institutionnelle similaire pourrait émerger, avec des appels de plus en plus pressants en faveur d’une révision complète du système politique.

 

La Ve République face aux dynamiques mondiales 

La dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron a révélé les tensions sous-jacentes du régime semi-présidentiel français. En affaiblissant le pouvoir présidentiel et en exacerbant la fragmentation politique, cette dissolution pourrait marquer le début d’une nouvelle phase dans l’histoire politique française, caractérisée par un glissement vers un régime parlementaire non officiel. Si la proportionnelle venait à être adoptée, ce processus serait encore accentué, et la France risquerait de se retrouver dans une situation de paralysie institutionnelle, rappelant les échecs de la IVe République.

En effet, l’immobilisation des processus de prise de décision résultant de la dissolution du 9 juin 2024 et des incertitudes institutionnelles qui en découlent pourrait avoir des conséquences sérieuses sur la capacité de Paris à être audible pour contribuer à la gestion des crises majeures qui secouent le monde et affectent la France. En premier lieu en matière de migration, la fragmentation du pouvoir législatif et l’incapacité de former une majorité stable risquent d’entraver l’adoption de nouvelles mesures ou réformes, alors même que les flux migratoires vers l’Europe continuent d’augmenter, en particulier en provenance de l’Afrique.

Structurellement lié à cela, le développement de l’Afrique, un enjeu crucial pour la France, pourrait être mis en péril. Les partenariats économiques et les programmes de coopération, notamment via l’Agence française de développement (AFD), nécessitent des décisions stratégiques au plus haut niveau de l’État. L’immobilisation du processus décisionnel pourrait limiter la réactivité et la capacité d’action de la France dans des domaines comme les investissements en infrastructures, l’aide au développement et la lutte contre la pauvreté et l’agenda des changements climatiques.

Les tensions au Sahel représentent également un défi majeur, exacerbées par la multiplication des coups d’État dans la région et la présence croissante de groupes terroristes. Le journaliste P.A. Delhommais analysait récemment cette nouvelle situation dans un article paru dans le quotidien français Le Figaro : « Les crises africaines et la paralysie française ».  Une France affaiblie politiquement et institutionnellement pourrait voir diminuer son rôle de stabilisateur de la région, ce qui entraînerait des répercussions non seulement sur la sécurité régionale, mais aussi sur ses intérêts géopolitiques.

Les dynamiques du Moyen-Orient, notamment les relations avec des partenaires comme l’Arabie saoudite, l’Iran ou la Turquie, ainsi que la situation tragique et éminemment explosive en Palestine et au Liban nécessitent une diplomatie proactive. Si les crises internes occupent la majorité des ressources et de l’attention du gouvernement français, la capacité de ce dernier à peser sur les négociations stratégiques ou à réagir face à des crises régionales pourrait s’en trouver compromise.

Enfin, les enjeux commerciaux méditerranéens, dans lesquels la France joue traditionnellement un rôle central, pourraient être affectés. Les négociations avec des partenaires méditerranéens sur des accords commerciaux, des questions de pêche, de migration -encore et toujours- ou des échanges énergétiques pourraient être retardées, au détriment des intérêts économiques français et européens.

Face à cette situation, la question de la survie de la Ve République se pose avec acuité et ne couvre pas seulement la dimension strictement institutionnelle interne mais, comme souligné plus haut, elle a des implications lourdes sur la capacité de la France à protéger ses intérêts dans son environnement géostratégique vital. 

Les institutions de 1958, conçues pour garantir la stabilité, sont-elles encore adaptées à un contexte politique profondément fragmenté ? La réponse à cette question dépendra en grande partie de la capacité des forces politiques françaises à réinventer un équilibre institutionnel capable de répondre aux défis contemporains. Sans cela, les appels à une VIe République pourraient se faire de plus en plus pressants et l’instabilité qui résulterait de ces mouvements tectoniques institutionnels pourrait rendre inaudible la voix de la France, même dans son voisinage traditionnel le plus proche. 

 

Références :

Duhamel, O. (2015). La République gaullienne. PUF.

Gicquel, J. (2017). Droit constitutionnel et institutions politiques. Montchrestien.

Perrineau, P. (2020). Le désenchantement démocratique en France. Sciences Po.

Guérin-Bargues, C. (2023). Les paradoxes du pouvoir présidentiel. Lextenso.

Rousseau, D. (2018). La démocratie représentative à l’épreuve. Dalloz.

Winock, M. (2017). La République se meurt. Gallimard.

Rosanvallon, P. (2020). Le pouvoir exécutif en question. Seuil.

François, B. (2023). Réforme électorale et risques pour la démocratie. Sciences Humaines.

Delhommais, P. (2024). « Les crises africaines et la paralysie française ». Le Figaro.

 

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