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Élections sud-africaines de mai 2024 : l’ANC continuera-t-il à gouverner seul ?
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April 26, 2024

L’African National Congres (ANC), qui domine la vie politique en Afrique du Sud depuis 1994, a entamé, lors des élections de 2009, une pente descendante, en termes de voix remportées lors des élections générales. Cependant, ce recul n’a jamais mis en doute la prédominance de l’ANC dans le panorama politique sud-africain. Au plus bas de sa popularité en 2019, en raison de l’affaire de « Capture de l’État », un scandale de corruption dans lequel a été impliqué l’ancien président Jacob Zuma, l’ANC remporte 57,5 % de voix, un taux qui lui a largement permis de gouverner seul.

Tel ne pourrait pas être le cas, d’après plusieurs analystes, à l’issue des élections de mai 2024. L’ANC recueillerait moins de 50 % des suffrages et devrait cohabiter avec une autre formation politique. À quel point se vérifierait cette hypothèse ? C’est la question à laquelle tente de répondre ce papier.

« La baisse de popularité de l’ANC s’inscrit dans une tendance constante observée depuis 2007 et est attribuée à la perception d’une corruption systémique croissante au sein du parti, à l’insularité de l’ANC par rapport aux Sud-Africains ordinaires et à la mauvaise prestation de services, incarnée par les coupures d’électricité à répétition. L’Afrique du Sud est également confrontée à des inégalités croissantes, à la pauvreté et au chômage des jeunes. Plus de 60 % des jeunes de 15 à 24 ans sont au chômage, et nombre d’entre eux dans les vastes townships d’Afrique du Sud peinent à trouver de quoi manger. La longue domination de l’ANC fait qu’il est difficile d’échapper à la responsabilité de ces griefs populaires ». Joseph Siegle et Candace Cook. « Les élections de 2024 en Afrique : Des défis et opportunités pour retrouver l’élan démocratique », le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 3 février 2024.

 

INTRODUCTION

L’African National Congres est un parti-État ; il s’inscrit parmi ces structures militaro- politiques qui ont proliféré en Afrique lors des luttes pour les indépendances, et qui ont par la suite capitalisé sur cette légitimité de la lutte contre l’occupant pour s’ériger en partis de gouvernement et dominer les paysages politiques dans leurs pays respectifs. D’autres partis politiques sont nés par la suite, surtout après la chute du mur de Berlin et la campagne menée par les Occidentaux en Afrique en faveur du multipartisme ; mais ces partis, nés ou créés, ont rarement pu détrôner ceux qui se prévalent du nationalisme libérateur auxquels les États doivent leur indépendance.

Force est de constater cependant qu’à défaut de capacité de se transformer en véritables partis politiques capables de délivrer en termes socio-économiques, de libertés individuelles et de droits fondamentaux, les mouvements de libération transformés en partis politiques ont sombré dans la reproduction de slogans révolutionnaires, décalés par rapport aux changements radicaux introduits dans les relations internationales par la fin de la guerre froide ; et dans les structures socio-politiques par les avancées technologiques, notamment dans le domaine de la communication. Ces partis, qui se retranchent toujours derrière un nationalisme d’une époque révolue, ont souvent versé, après quelques années de pouvoir, dans la dictature et la corruption, offrant un visage autre que celui noble du résistant luttant pour l’indépendance.

C’est à cette catégorie qu’appartient l’ANC. Le parti a dominé la vie politique dans le pays de Nelson Mandela remportant toutes les élections de la période postapartheid. Chacune de ces élections a marqué une étape importante dans l’histoire de l’Afrique du Sud et a reflété les défis et les évolutions politiques du pays au fil des ans. L’on ne peut toutefois pas passer à côté d’une remarque importante : l’ANC a vu sa popularité s’éroder à partir des élections de 2004 pour aboutir à un taux inférieur à 60 % en 2019, voir figure ci-après :

PCNS

Le tableau montre en effet la pente descendante de l’ANC qui frôle les 70 % en 2004 pour se situer en deçà de 60% en 2019, en enregistrant à chaque fois des baisses en 2009 (65 %) et 2014 (62 %) ; cette baisse de régime inquiète les responsables de l’ANC, que d’aucun donnent perdant lors des élections de mai 2024. L’ANC ne risque pas sa place de première force politique ; mais serait, selon plusieurs analyses, incapable d’engranger plus de 50 % des suffrages et perdrait ainsi le monopole sur le gouvernement sud-africain. Le parti qui gouverne seul depuis 1994 risque d’être obligé de gouverner avec une autre formation politique après les prochaines élections.

 

I. L’ANC USÉ PAR LE TEMPS ET LA CORRUPTION

1. L’aura lumineux du mouvement de libération et de son leader Nelson Mandela ne suffit plus pour maintenir l’ANC au pouvoir

De toutes les Organisations de libération qui ont proliféré dans le contexte de l’apartheid, l’ANC jouissait de l’aura le plus lumineux. Le congrès National Africain était considéré comme leader de tous les mouvements de libération sud-africains et ne pouvait logiquement pas être concurrencé par une autre structure politique dans la conduite du pays dans sa phase postapartheid. De plus, l’ANC était associé à l’image de Nelson Mandela, héros de l’indépendance sud-africaine et de la chute du régime de l’apartheid ; cette association faisait de l’ANC le parti autour duquel tournait toute l’Afrique du Sud. Cette image s’est renforcée lors des deux mandats de Thabo Mbeki qui a succédé à Nelson Mandela. L’enthousiasme des premières années semble pourtant se déliter avec le temps et son intensité baisser au fur et à mesure que s’éloignent les premiers moments de la libération. Les yeux s’ouvrent de plus en plus sur la faiblesse de la capacité de l’ANC à délivrer des résultats en matière de performances économiques, sociales et politiques.

Par ailleurs, l’ANC s’est trouvé pris à partie par son aile gauche qui a jugé les politiques du parti très laxistes vis-à-vis des restes de l’apartheid et de son élite blanche. Les tenants de cette tendance ont fini par faire scission en créant les Forces pour la lutte économique (EFF), qui ne cesse de grignoter sur l’électorat de l’ANC, notamment en prônant des mesures sociales au profit de la population noire.

L’usure de l’assiette électorale de l’ANC trouve également son explication dans le changement générationnel. Beaucoup de jeunes en âge de voter n’ont pas cohabité avec l’Apartheid ou la période qui lui a immédiatement succédé. Le critère d’évaluation d’un gouvernement par cette catégorie d’électeurs est libéré de toute dette envers les mouvements de libération ; ils jugent les institutions étatiques en fonction de leurs résultats en matière de santé, d’emploi, de développement économique et de probité dans la conduite des affaires publiques.

Le passé militant de l’ANC ne lui est apparemment plus d’un grand secours en matière électorale, et les sud-africains réviseront probablement à la baisse leur soutien au parti lors des prochaines consultations électorales.

2. Une élite victime de l’usure du pouvoir et des tentations corruptives

L’ANC est au pouvoir depuis 30 ans. Les personnes ont certes changé mais la structure politique qui conduit l’État est restée la même. Cet état de fait a généré une certaine monotonie qui a considérablement nui à toute possibilité d’innovation, de transformation ou d’alternative porteuses de renouveau. De plus, la faiblesse de l’opposition avait créé chez les leaders de l’ANC une confiance exagérée contre toute possibilité d’atteinte à leur domination de la scène politique sud-africaine. La durée au pouvoir et l’absence d’horizons de changement ont fini par user l’ANC et quasiment annihiler en son sein toute volonté ou désir d’amélioration. Le parti s’est alors davantage déployé dans des luttes personnelles et internes mettant les uns face aux autres dans une rivalité pour le pouvoir. N’ayant pas d’ennemis externes, l’ANC s’est forgé une tendance aux luttes intestinales dressant ses membres les uns contre les autres. Cette tendance est arrivée à son comble en 2018 entre Zuma et Ramaphosa.

Par ailleurs, l’ancrage dans le pouvoir sud-africain avait installé les leaders de l’ANC dans un sentiment confortable d’impunité qui, combiné avec la cupidité de certains membres, avait nourri la corruptibilité des leaders et poussé certains d’entre eux à ne plus faire de différence entre leurs intérêts personnels et l’intérêt de l’État quand il s’agissait de s’enrichir. Dès 2017, l’affaire de collusion entre Jacob Zuma et les frères Gupta qui s’est mue en un scandale tellement spectaculaire qu’il reçut le nom de « Capture de l’État », dépassant la simple corruption pour devenir une sorte de cession de l’État à des particuliers.

II. DÉSAFFECTION POLITIQUE ET FAIT ETHNIQUE : AGGRAVATION DE LA TENDANCE AU DÉCLIN DE L’ANC

1. Le jeu ethnique pourrait menacer l’ANC d’éclatement ou du moins affaiblir son audience

Lorsqu’en 1985 l’ancien président sud-africain Pieter Willem Botha annonce que l’apartheid est un concept périmé, que le système des pass est supprimé et que les noirs sont autorisés à vivre dans les villes, il conserve et renforce le droit de chaque communauté à préserver son identité. S’en sont suivis en 1986 des affrontements sanglants entre l’ANC, submergé par de jeunes militants xhosas hors de contrôle, et le mouvement Zoulou Inkhata conduit par Mangosuthu Buthelezi, ministre du Kwazulu, accusé de solidarité avec les Afrikaners. Les Zoulous craignent d’être dominés par Xhosas majoritaire au sein de l’ANC.1

Pour certains milieux, cette rivalité entre Zoulous et Xhosas avait joué en faveur de Jacob Zuma lors des élections de 2009, plusieurs militants de l’ANC ont soutenu Zuma pour effacer les effets d’une idée, selon eux, inspirée par l’apartheid qui prétend que l’ANC est une Organisation dominée par les Xhosas. Ils voulaient donc élire un président ne parlant pas Xhosa ou même Zoulou, tel que Jacob Zuma. L’élection de ce dernier avait en effet mis fin à la domination de l’ANC par les Xhosas. Les deux premiers présidents Mandela et Mbeki appartiennent à cette ethnie. L’élection de Ramaphosa, un ressortissant de la communauté Venda du groupe Shona et toute la campagne menée contre Zuma en 2018 et 2019 a été comprise par les Zoulous comme une action menée contre leur ethnie et son incarcération en 2021 avait provoqué des émeutes meurtrières qui avaient fait plus de 350 victimes. Ces émeutes se sont déroulées dans leur majeure partie dans le Kwazulu Natal.

L’adhésion de l’ancien président Jacob Zuma à la nouvelle formation politique umkhonto- we-sizwe (MK) peut faire resurgir la rivalité ethnique ; Zuma tente de plus en plus de rallier les Zoulous et les appeler à tourner le dos à l’ANC et de voter pour le MK ; les derniers sondages qui accréditent ce nouveau parti de 13 % des voix à l’échelon national précisent qu’il obtiendrait un score de 25 % au Kwazoulou Natal. D’ailleurs, l’ANC, qui, au début, avait ignoré la nouvelle formation politique, s’est rendu compte du danger que commence à présenter ce nouveau parti après avoir été rallié par Jacob Zuma qui pourrait retourner les Zoulous contre l’ANC. Selon Paddy Harper, correspondant du journal sud-africain Mail & Guardian au KwaZulu-Natal : « Lorsque Zuma faisait partie de l’ANC, le KwaZulu-Natal est devenu la province la plus grande et la plus influente du parti. Cela a aidé l’ANC à franchir la barre des 50 % à chaque élection nationale depuis 2004 ». L’ANC craint que Zuma et le nouveau parti le privent de l’apport du vote zoulou et entreprend tout ce qu’il peut pour les neutraliser.2 Les efforts de l’ANC ne semblent pas pouvoir aboutir ; en effet la Justice vient d’annuler la décision de la commission électorale concernant l’invalidation de la candidature de Jacob Zuma sous les couleurs du MK. Le Kwazulu Natal, où l’ANC a obtenu son plus faible score lors des dernières élections municipales en 2021, risque également de nuire à l’ANC lors des prochaines élections générales.

2. La désaffection politique : « carton rouge » en 2024 après « les jaunes » de 2014 et 2019 ?

Dès la fin de 2023, la Commission Indépendante des Élections de 2024 a exprimé sa préoccupation face à la tendance à la baisse du taux de participation lors des élections organisées durant les dernières années et son impact sur les prochaines élections générales.3 Son Directeur adjoint, Masego Sheburi, a mis en garde contre la baisse attendue du taux de participation lors du prochain scrutin (2004), qui constitue selon lui une source d’inquiétude majeure pour les autorités du pays.

En effet, si des taux de participation très élevés avaient marqué les deux premières élections de la période postapartheid, en dépassant les 85 % et en frôlant même les 90 % en 1999 ; une simple lecture des données électorales à partir de 2004 suffit pour se rendre compte de la baisse des taux de participation qui chuteront en dessous de la barre des 70 % en 2019.

Il convient de constater par ailleurs que cette baisse semble entrainer une autre, celle des taux de voix engrangées par l’ANC. Le déclin électoral de l’ANC semble aller de pair avec la baisse du taux de participation. L’ANC semble avoir écopé des deux avertissements qui précèdent l’exclusion, recevrait-il son « carton rouge » lors des prochaines élections ? (Voir figure ci-après.)

PCNS

Le tableau montre en effet cette proportionnalité presque parfaite, dans une tendance baissière, entre les taux de participation et les performances de l’ANC, notamment depuis 2009 :

- en 2014, la participation tombe en dessous des 75 % et l’ANC n’obtient que 62 % des suffrages exprimés ;

- lorsque le taux de participation a, en 2019, baissé à moins de 70 %, l’ANC a dégringolé en dessous des 60 % en obtenant 57,5 % des voix ;

- logiquement, si la participation se situe en deçà des 65 % lors du prochain scrutin, l’ANC aurait du mal à dépasser le seuil des 50 % qui lui permettrait de continuer à gouverner seul et serait amené, pour la première fois de son histoire, à composer avec une autre formation politique.

Un pronostic pour conclure ?

Au vu de ce qui précède, on peut tirer au moins une certitude et une question :

- la certitude que l’on peut affirmer, sans risque de se tromper, est que l’ANC sera, à l’issue des élections de mai 2024, toujours le premier parti politique sud-africain en termes d’audience et de suffrage. Il arrivera certainement en tête de la liste au lendemain des élections, mais avec un score bien en dessous de celui de 2019 ;

- la question qui se pose désormais est celle de savoir s’il se placerait au-dessus du seuil des 50 % qui lui permettrait de former un gouvernement seul et par lui-même ; ou en dessous de ce seuil, un résultat qui le mettrait dans l’obligation de composer avec d’autres structures politiques pour gouverner ?

C’est dans cette interrogation que s’illustre toute la complexité, pour les analystes et observateurs, lorsqu’il s’agit de s’avancer sur un pronostic concernant les prochaines élections sud-africaines. Toutes les fourchettes envisagées lors des élections précédentes mettaient l’ANC, dans les meilleurs comme dans les pires des conditions, dans une posture qui lui permettait de gouverner seul. Tout le monde avait raison du moment qu’il ne pouvait envisager qu’un score au-dessus des 50 %. À présent, la marge de l’ANC se situe, d’après les différentes analyses, dans une fourchette qui va de 51 à 42 %, avec la possibilité de pouvoir continuer à trôner au gouvernement à Prétoria comme celle de risquer de dégringoler au point d’être dans la nécessité de trouver un allié pour gouverner. Un millième en dessous ou au-dessus lui suffit pour être dans une position comme dans l’autre.

Faut-il pour oser un pronostic, à l’issue de l’analyse objet de ce papier, souligner que les facteurs qui déterminent le sort de ces élections semblent, en l’état actuel des choses, plaider plus en faveur d’un échec retentissant de l’ANC plutôt que d’un sauvetage miraculeux de celui-ci. Il perdra certainement plus de voix qu’il n’en a cédé entre 2014 et 2019. Au mieux, l’ANC frôlera les 50 % (+ de 49) des suffrages et au pire il engrangera quelque 42 %. Dans tous les cas, il perdra la mainmise qu’il a jusqu’à présent eue sur le gouvernement sud-africain. Il faudrait un miracle (environ 70 % du taux de participation) pour placer l’ANC légèrement au-dessus des 50 %.

Avec qui gouvernera-t-il ? La réponse à cette question laisse entrevoir une autre crise qui, cette fois, n’affectera pas seulement l’ANC, mais jettera l’incertitude sur toute l’Afrique du Sud. Le pays Arc-en-ciel deviendra-t-il ingouvernable ?

 

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1. Eric Nguyen, « Géopolitique de l’Afrique, connaissances essentielles, les grands enjeux », Studyrama, p, 71.

2. L’ANC a intenté une action en justice devant le tribunal électoral pour annuler l’enregistrement de MK et l’empêcher de se présenter aux élections de 2024. Il souhaite également que la Haute Cour interdise à ce parti d’utiliser le nom MK, arguant que l’ANC en détient les droits d’auteur. MK est en effet le nom de la défunte branche militaire de l’ANC, lancée par Nelson Mandela en 1961. Ce nom revêt donc un symbolisme politique profond, et l’ANC est déterminé à empêcher M. Zuma – qui a rejoint la lutte armée de l’ANC alors qu’il était adolescent – de prétendre en être l’héritier.

3. Voir, https://www.medi1news.com/fr/article/313578.html

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