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Cuivre : les exigeantes promesses du sommet
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June 24, 2024

Le constat est désormais parfaitement connu : une quantité croissante de ressources minérales sera nécessaire au cours des années et décennies à venir si nous voulons réussir notre transition énergétique et, délaissant les énergies fossiles, ainsi parvenir à la neutralité carbone. Plus de lithium, de manganèse ou de sulfate de nickel pour les batteries Li-ion des véhicules électriques légers, plus de silicium pour les panneaux photovoltaïques, de terres rares ou de zinc pour les éoliennes en mer, plus de cuivre enfin, dans cette liste bien lacunaire. Démontrée par de nombreux articles scientifiques et études prospectives[1], cette réalité ne peut toutefois faire oublier l’extraordinaire hétérogénéité existant au sein des métaux de la décarbonation et, plus encore, minimiser la place si particulière occupée par le cuivre. Trois raisons principales sous-tendent cette affirmation.

Le 20 mai 2024, les cours du métal rouge ont, en premier lieu, atteint un record historique de 10 887 USD/t selon la référence spot du London Metal Exchange, leur offrant alors une progression de près de 29 %. Si les autres métaux de base ont connu un même mouvement ascendant, ils n’ont toutefois pas retrouvé les sommets de 2022. Il faut, pour le comprendre, rappeler que la transition énergétique repose de manière schématique sur cinq piliers : (1) l’essor de l’électromobilité, (2) le remplacement des énergies fossiles par le renouvelable et le « bas carbone », (3) le développement des réseaux électriques et des infrastructures de transport des vecteurs énergétiques durables (dont l’hydrogène « vert »), (4) la massification du recyclage comme, en amont, de l’écoconception et (5) l’effort de sobriété, celle-ci ne devant pas être uniquement énergétique, mais bien relative à l’usage parcimonieux de l’ensemble des ressources extractives. À la différence du nickel ou du lithium avant tout nécessaires pour la « chimie des batteries », le cuivre est indispensable – plus que toute autre métal – à l’accomplissement des trois premiers piliers, ce qui le rend d’autant plus incontournable qu’il ne dispose pas de réel substitut (à propriétés et prix équivalents).

Sa métallurgie est par ailleurs ancienne, ce qui explique en second lieu non seulement la problématique de l’abaissement structurel des teneurs des mines existantes, mais également l’absence très récente de découverte de gisements majeurs, malgré des investissements exploratoires en hausse. De ce point de vue, si la question est, pour le lithium par exemple, de déterminer si l’on en disposera dans les temps impartis pour satisfaire aux objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050 ou 2060, celle du cuivre est tout simplement de… savoir si l’on en aura suffisamment. Le recyclage et la sobriété sont donc un enjeu capital pour ce métal. Cette particularité s’est reflétée dans un des développements récents du marché du cuivre : le net abaissement des treatment & refining charges (TC/RC), jusqu’à leur valeur négative. Correspondant aux paiements que les mineurs doivent aux fondeurs pour transformer le concentré en métal, les TC/RC sont in fine représentatives du rapport de force entre l’amont et la partie centrale de la chaîne de valeur des métaux de base, celui-ci étant en faveur de l’extraction lorsqu’elles sont faibles. Alors que les capacités de production du métal (smelters) se sont accrues, notamment en Chine, l’offre de minerai peine à répondre à la demande, donnant ainsi lieu à cette trajectoire haussière malgré un environnement macroéconomique peu porteur. Dans la transition environnementale, la problématique du cuivre est donc avant tout minière et non métallurgique ou chimique, à la différence de nombre d’autres ressources minérales, telles que le nickel dont la « qualité batterie » repose essentiellement sur le développement d’usines de lixiviation acide à haute pression (HPAL).

L’extraction cuprifère s’inscrit, en troisième lieu, dans un contexte politique et social souvent difficile, avec, pour point d’orgue récent, la fermeture décidée par la Cour suprême du Panama de la mine géante de Cobre opérée par le groupe canadien First Quantum. Ces tensions concernent, il est vrai, nombre de projets extractifs, mais cette situation illustre avec acuité toute la complexité à laquelle doit faire face l’industrie du cuivre dont le développement sert les besoins de la transition environnementale ainsi que ceux issus de l’essor démographique et de l’urbanisation, mais faisant l’objet de mouvements de contestation politique s’ajoutant aux vastes mouvements de revendication salariale des travailleurs aspirant, eux aussi, à tirer profit de ce contexte porteur.

L’avenir a priori radieux promis au métal rouge ne doit en cela pas préjuger d’une route peu sinueuse, bien au contraire. Basée à Vancouver, Nevada Copper en a fait l’amère expérience quand elle a dû se déclarer en faillite au début du mois de juin 2024. Malgré des cours de cuivre structurellement haussiers, l’entreprise ne disposait plus des financements nécessaires pour développer sa mine de Pumpkin Hollow située dans le Nevada. Car, outre les aléas géologiques et techniques associés à l’exploitation de tout gisement, l’impératif d’excellence environnementale (gestion des tailings et des externalités environnementales, sobriété en eau, etc.) se traduit inévitablement par des exigences financières que tout groupe minier doit logiquement assumer. À l’image de la tentative avortée de rachat d’Anglo American par BHP, une plus grande concentration des acteurs du monde cuprifère pourrait d’ailleurs se produire. Enfin, l’importante volatilité des cours reste une constante immuable sur les marchés mondiaux de matières premières, une constante à laquelle tout producteur doit faire face. Avec un cours revenu à moins de 9 700 USD/t le 12 juin (soit un repli de 12 % en moins d’un mois), le cuivre ne manque pas de le rappeler.

 


[1] IEA (2021), The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions, IEA, Paris https://www.iea.org/reports/the-role-of-critical-minerals-in-clean-energy-transitions.

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