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Une place dans le ‘’Marché mondial des idées’’
Authors
Mokhtar Ghailani
October 18, 2019

D’édition en édition, African Peace and Security annual Conference (APSACO), l’un des rendez-vous annuels phares du Policy Center for the New South (PCNS), confirme son envergure de plate-forme d’échange et de partage en vue de permettre à l’Afrique de s’adjuger une place dans le marché mondial des idées.  Dans son intervention lors de la 3ème édition, organisée les 18 et 19 juin 2019, avec pour thème ‘’ Africa's Place and Influence in a Changing World’’, Rachid El Houdaigui, Senior Fellowa fait ressortir la nécessité pour le continent africain de se doter de son propre corpus de concepts, et souligné la centralité de l’Afrique dans la mission du Policy Center. Intervention qui a eu le mérite de ‘’contextualiser’’ la conférence, en abordant la thématique retenue à la lumière de la nouvelle identité du Policy Center for the New South où le Sud est perçu dans sa dimension globale.

Un contexte normatif africain

L’orateur commencera par partager avec l’assistance : « Notre mission au Policy Center for the New South, communauté du savoir, est de contribuer à l’édification d’un contexte normatif africain pour les besoins d’une pensée africaine sur les questions stratégiques et sécuritaires ».

Selon lui, l’apport de l’Afrique se justifie, en grande partie, par la capacité du continent à influer sur la formulation de l’agenda sécuritaire international. Agenda, poursuivra-t-il, qui repose sur les doctrines des Etats, le premier acteur des relations internationales, sachant que ce champ de doctrine relève du domaine réservé des grandes puissances. Ce sont, développera-t-il, les Etats qui élaborent et structurent les relations internationales.

Le deuxième acteur qui contribue à l’agenda sécuritaire mondial est représenté par l’Organisation des Nations unies (ONU). Mais, tiendra à souligner R. El Houdaigui, la nature hiérarchique de cette Organisation pèse lourdement sur le processus de formulation et d’élaboration de l’agenda sécuritaire international, faisant allusion au jeu des grandes puissances au sein du Conseil de Sécurité.

Le troisième acteur, celui qui nous intéresse dans notre perspective de think tank et centre de recherche, abondera le conférencier, est celui de la communauté épistémique. Là encore, il s’agit d’un espace qui est quasi monopolisé par les think tanks anglo-saxons et européens mais nous pensons que nous, Africains, avons toute notre place dans le marché mondial des idées, soulignera le Senior Fellow. Mais ceci à condition, pour nous Africains, de former une communauté de savoir autour d’idées communes, objectif à portée de main. Ceci d’autant plus, appuiera-t-il, qu’à l’échelle du continent africain, nous assistons à une montée en puissance de certains think tanks et centres de recherche, avant de nuancer, en faisant remarquer que les Africains continuent de consommer des schémas de pensée et des grilles d’analyse produits en dehors du continent. Et pour évacuer tout malentendu, Rachid El Houdaigui s’empressera d’expliquer qu’« en faisant ce constat, je ne me positionne pas dans une posture d’opposition à ces schémas et grilles mais plutôt dans celle de la différenciation et de la complémentarité».

A l’épreuve des réalités africaines

Et celui-ci d’insister, en affinant que « ce n’est pas tant la quête des alternatives qui nous intéresse mais c’est plutôt celle de la pensée alternative autour d’enjeux et de priorités ». Il prendra l’exemple de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qu’il qualifiera de « bonne » et de « magnifique », avant d’ajouter qu’« encore faut-il avoir un background théorique pour accompagner sa mise en œuvre ». De son point de vue, ce sont de « belles idées » et de « belles constructions » mais qui, malheureusement, n’ont pas d’effet sur le terrain, fera-t-il remarquer. C’est la raison pour laquelle, estime-t-il, le débat stratégique en Afrique doit interroger les rapports entre la posture stratégique matérielle du continent et sa capacité à produire son propre corpus stratégique, ce qui signifie la redéfinition de ses priorités, de ses paradigmes et de son agenda.

Et celui-ci d’admettre « Pour nous, donc, think tanks et centres de recherche, le temps d’analyse est celui de la prospective, mais à partir d’une évaluation critique de la dynamique institutionnelle continentale, portée par l’Union africaine, tout aussi que celles portées par les communautés économiques régionales et par les Etats, à travers leurs relations bilatérales ». D’où notre devoir, enchaînera-t-il, de faire sortir les grands projets de l’UA, dont la ZLECAf, de leur confort institutionnel pour les mettre à l’épreuve des réalités africaines, chargées d’opportunités et, surtout, de paradoxes. Et parmi ces paradoxes, il citera les différenciations entre les pays africains, aussi bien en matière d’insertion mondiale que d’intérêt géopolitique. Il ajoutera à ce sujet que les différends géopolitiques bloquent l’intégration régionale, notamment en Afrique du Nord. Il en citera, aussi, l’absence d’un cadre conceptuel à même d’accompagner une coopération pratique dans la lutte contre le terrorisme, la concurrence qui se joue entre les grandes puissances africaines de même que la porosité stratégique du continent africain, ce qui l’expose au jeu des puissances internationales.

Pour un dialogue d’égal à égal

Rachid El Houdaigui s’est, par ailleurs, prêté à un exercice de conceptualisation du New South, tout en faisant ressortir les efforts qu’appellera le positionnement de ce Sud global dans le marché mondial des idées. Il commencera par préciser que le New South n’est pas un concept géographique. C’est plutôt une métaphore qui procède de trois éléments d’analyse, dont le tout premier est le constat selon lequel le marché mondial des idées se démocratise. Dominé par les grands think tanks occidentaux (USA (5) ; Grande-Bretagne (2) ; France (1), Belgique (1) et Brésil (1), sur un total estimé à quelques 6500, ce marché n’est pas totalement verrouillé, indiquera-t-il. Il en a voulu pour preuve, la montée en puissance de think tanks africains.

 Malgré cette domination occidentale, le gros marché mondial des idées, expliquera l’universitaire El Houdaigui, est très petit pour les grands problèmes du monde. Ainsi, jugera-t-il, le contexte est favorable pour un think tank comme le Policy Center for the New South de se positionner sur ce marché, l’objectif étant de produire des analyses et, surtout, d’affranchir le débat international de l’ethnocentrisme pour un dialogue d’égal à égal.

Le New South, et c’est l’objet du deuxième élément, est une conception alternative à certains problèmes internationaux. Il est question, aujourd’hui, soulignera-t-il, de déconstruire certains paradigmes internationaux et de projeter notre propre processus.

Ce sont des aspects, précisera Rachid El Houdaigui, sur lesquels nous nous penchons au PCNS et que nous comptons partager notre expertise avec nos amis du continent africain.

Le troisième élément du concept New South est celui de la centralité de l’Afrique. Le concept de Sud, rappellera-t-il, a pris forme au gré des cycles de l’histoire. Plus concrètement, c’est la colonisation qui l’a créé et c’est la décolonisation qui l’a doté d’une identité historique par rapport aux normes. L’ordre bipolaire a poussé ce Sud à s’organiser dans le cadre du concept du Tiers monde, alors que la turbulence dudit système a vidé ce concept de son sens.

Parallèlement à l’éclatement du Sud sur le plan économique, en étant composé de pays industrialisés, de pays en développement et de pays moins avancés, nous assistons à une montée en puissance de nouveaux centres de puissance dans le sud (Chine/ Inde/ Malaisie…) . Ces pays sont entrain de définir de nouvelles frontières pour leurs économies et leurs diplomaties et mettent en correspondance, à la fois la coopération Sud/Sud mais également leurs relations concurrentielles avec les Etats-Unis, l’Europe et le Japon.

Cette tendance, considérera-t-il en guise de conclusion, a créé un nouveau lieu de richesse et de production pour les Américains, les Européens et les Japonais, qui sont dans une dynamique de total détachement par rapport à une périphérie, l’Afrique, qui est en quête de l’affirmation de soi.

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