Publications /
Opinion
Elle avait 31 ans et venait tout juste de monter le New Work Lab au Maroc, en 2013, un espace de coworking et accélérateur de start-ups, quand elle a été sélectionnée pour faire partie des Atlantic Dialogues Emerging Leaders. Fatim Zahra Biaz avait déjà tout un parcours, qui correspondait à sa quête de sens dans le travail : diplômée de l’Edec, une école de commerce à Lille, elle avait travaillé à Paris dans le monde du conseil en « change managagement ».
« Je ne sentais pas l’impact que je recherche dans mon travail, qu’il soit économique, social ou dans l’éducation. J’ai démissionné et fait un tour du monde, pendant neuf mois ». Elle sillonne l’Amérique latine, passe de l’Australie à l’Asie, apprend à dépasser ses peurs et rencontre en chemin des « digital nomads », des jeunes qui montent leur entreprise sur Internet.
« J’ai eu envie d’entreprendre à mon retour, sans trop savoir ce que c’était. Je me suis formée à tout ce monde digital de start-up, qui a un état d’esprit différent de ce qui est enseigné à l’école ». Elle monte une entreprise de vente de chaussures de designers entre Paris et Casablanca, mais change de cap assez vite. Elle remarque que les espaces de coworking qu’elle fréquente à Paris font cruellement défaut à Casablanca – de même que tout un accompagnement dédié à la start-up, incubateurs et programmes de formation. « Je me suis dit qu’il fallait créer pour les entrepreneurs au Maroc tout ce que je ne trouvais pas pour moi-même, et que quiconque aurait envie d’entreprendre pourrait venir, pour se former et monter en compétences, être mis en relation avec des entreprises, la presse, des clients, les pouvoirs publics, etc ».
Du programme ADEL de 2013, elle garde un souvenir particulier : « C’était la première fois qu’une organisation au Maroc me faisait confiance sur mon projet. C’était une très belle forme de soutien, de formation et d’apprentissage ». Depuis, elle est invitée en tant qu’Alumni aux conférences Atlantic Dialogues, et cite parmi les rencontres les plus marquantes de sa vie un déjeuner avec un ancien président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, qui s’est présenté comme l’ancien « PDG du Nigeria ».
Le New Work Lab, situé sur le boulevard Anfa, une artère du centre de Casablanca, a depuis grandi et évolué, en restant fidèle à sa philosophie de départ. Sa fondatrice en est persuadée : « Il faut repenser le monde du travail, dans lequel les salariés ne se reconnaissent pas et se trouvent souvent en-dessous de leur potentiel ». Le Pitch Lab est devenu une compétition de référence des startups au Maroc, qui a permis de distinguer 150 entepreneurs depuis 2013. Fatim Zahra Biaz a lancé un autre « laboratoire » dénommé Future of Work pour repenser les produits d’innovation dans les grandes entreprises, la culture d’entreprise, proposer des évènements, des « bootcamps », des formations, donner des boîtes à outils pratiques pour apprendre à changer et faire un travail qui compte. L’offre de services se fait à la carte, en fonction de la demande, dans le cadre d’un programme qui tourne autour du changement.
En sept ans, les espaces du New Work Lab ont accueilli 20 000 personnes et vu passer près de 400 entrepreneurs, venus pour des formations, des évènements ou des programmes d’accélération. Parmi les réussites qu’elle aime citer figure celle d’Anou, qui permet à des artisans de vendre directement leur production à des consommateurs aux Etats-Unis. « Cette entreprise a développé une solution pour que des gens qui ne savent ni lire ni écrire puissent utiliser Internet… C’est génial ! ».
Le New Work Lab, soutenu par la Fondation de l’Office chérifien des phosphates (OCP), participe à la création d’un écosystème propice aux starts-up, « sur un marché qui n’est pas évident, qu’il faut créer, en inventant des modèles avec les moyens du bord ». Elle rêve de passer à l’échelle et de voir l’impact de son travail se démultiplier, pour passer des sphères micro-économiques à un impact plus « macro » de l’univers des start-ups, avec des projets plus ambitieux.
Fatim Zahra Biaz continue de voyager, de faire de la randonnée et d’aller à la mer, tout en cultivant un esprit d’excellence éloigné de toute médiocrité – ce qu’elle déteste le plus dans la vie. Son rêve ? Elle prend le temps d’y réfléchir, avant d’expliquer, avec l’enthousiasme serein qui se dégage de sa parole et de sa personne : « Que le travail au Maroc ne soit plus perçu comme une obligation, un gagne-pain, mais comme notre meilleure façon de participer au développement de notre pays, avec un impact collectif et citoyen. Le travail est pour moi une façon d’exprimer des valeurs, une contribution qu’on peut laisser derrière soi, une façon d’écrire ensemble une histoire. Comment donner envie aux gens de travailler différemment et de voir leur travail comme un outil de progrès collectif, c’est la raison d’être même de New Work Lab, peu importe qu’on soit salarié, étudiant ou fonctionnaire. »