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Depuis le 12 mars, les frontières et les communications aériennes, maritimes et terrestres entre l’Espagne et le Maroc sont fermées à cause de la crise du COVID-19. Mais au-delà de la fermeture transitoire des frontières, la crise sanitaire, doublée de la crise économique qui se laisse déjà ressentir en Espagne, aura un fort impact sur un million de ressortissants marocains résidant en Espagne. Au 1er janvier 2019 (derniers chiffres officiels disponibles), leur nombre était de 812.412, auxquels il faut ajouter un peu plus de 250.000 Marocains qui ont acquis la nationalité espagnole depuis l’an 2000.
La crise sanitaire maintient une grande partie d’entre eux confinés dans leurs foyers et a impliqué l’arrêt de travail pour ceux qui en avaient déjà. Elle a aussi déjà fait ses premières victimes dans cette communauté : 3 morts d’après l’Ambassade du Maroc en Espagne à la date du 20 mars.
Mais l’impact de la crise ira bien au-delà de l’état d’urgence décrété par les autorités espagnoles le 14 mars 2020. Examinons, à la lumière de l’expérience de la crise économique de 2008-2013, quels pourraient être les impacts prévisibles :
- Travailleuses saisonnières pour la récolte des fruits rouges (fraise) à Huelva. Au titre de cette année 2020, le contingent autorisé par le gouvernement espagnol était de 20.190 travailleuses marocaines, un record historique. Les toutes premières travailleuses de ce contingent étaient arrivées au mois de janvier, et elles sont toujours au travail dans les champs. Cependant, la fermeture des frontières, le 13 mars, a annulé les plans de voyage d’environ 6.000 à 9.000 femmes, toutes du Nord du Maroc, dont les 6.500 qui avaient été recrutées pour la première fois en décembre 2019 pour travailler pour un salaire journalier de 39,75 euros (environ 420 dh par jour) pendant une période de 3 à 6 mois. Elles ne pourront plus participer à la campagne de cette année. Reste à savoir si les employeurs agricoles de la province de Huelva trouveront des solutions alternatives.
- Le chômage qui se profile. Tenant compte du niveau moyen de qualification des Marocains résidant en Espagne, l’emploi typique concerne des occupations de basse qualification et avec des contrats à durée déterminée (surtout dans les secteurs de la construction et de la restauration), précisément les plus vulnérables en périodes de crise. En 2018, 33% des Marocains résidant en Espagne étaient affiliés à la sécurité sociale espagnole, et il y avait 103.788 chômeurs (dont moins de 20% bénéficiant des indemnités de chômage)[1]. Par extrapolation, on peut estimer un chiffre actuel d’environ 266.000 affiliés en 2019. Entre 2007 et 2011, la perte d’emplois a touché un sur quatre des travailleurs marocains en Espagne (surtout pour les hommes, qui ont perdu un sur quatre des emplois qu’ils occupaient avant la crise), arrivant à des taux de chômage de 50,7% dans ce collectif[2]. Comme en 2008-2011, le chômage sera aggravé dans beaucoup de cas par la perte du permis de travail et, par conséquent, la situation d’irrégularité dans laquelle se trouvera une partie des immigrés marocains (à propos de laquelle il faut dire que les autorités espagnoles ont montré une grande flexibilité pendant la crise économique de 2008-2013).
- Les transferts des migrants. Les transferts des migrants équivalent à plus du 6% du PIB marocain, et ils sont déjà entrain d’enregistrer une chute, comme conséquence de la crise. D’après les chiffres officiels de la Banque d’Espagne (banque centrale espagnole), en 2018 le montant des transferts envoyés par les Marocains résidant en Espagne (par des circuits officiels) était de 662 millions d’euros (un peu plus du 10% du total des transferts des migrants reçus par le Maroc, avec une tendance à la hausse depuis 2012[3] (pour mémoire, le montant des investissements directs étrangers de l’Espagne au Maroc cette même année était de 187 millions d’euros d’après l’Office marocain des Changes ). Entre 2007 et 2011, les transferts des Marocains enregistrés officiellement ont chuté de 34% (de 439 à 291 millions d’euros).[4]
Ces perspectives devraient conduire à une mobilisation des autorités, aussi bien espagnoles que marocaines, idéalement de façon concertée, pour anticiper les effets de la crise, prévoir des interventions ciblées et subvenir aux besoins des plus vulnérables. Il s’agit d’offrir à cette communauté, au cœur des relations entre les deux pays, un filet de sécurité permettant aux Marocains résidant en Espagne de poursuivre leur projet de vie.
[1] Derniers chiffres disponibles, Observatorio de las Ocupaciones (2019), Informe del Mercado de Trabajo de los Extranjeros 2019, Estatal. Datos 2018.
[2] Voir Colectivo IOE (2012), Crisis e Inmigración marroquí en España, 2007-2011.
[3] María Teresa García Cid (2019), “Migración y remesas en España. Evolución reciente”, Seminario sobre remesas, migración e inclusión financiera, Ciudad de México, 7 y 8 de noviembre de 2019.
[4] Iñigo Moré (2013), “La doble crisis de las remesas”, Anuario CIDOB de la Inmigración, pp. 115-126.