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Opinion
Coup sur coup, deux accords géants sont venus marquer l’actualité internationale. L’un, est économique et sonne comme un coup de tonnerre : c’est le RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership), vaste accord commercial asiatique, signé le 15 novembre 2020. Cette date restera dans l’histoire comme ayant associé la Chine à un ensemble de pays asiatiques. Il inclut l’ASEAN (Association des Nations d’Asie du Sud-est, à l’initiative de la démarche) mais, aussi, le Japon et la Corée du Sud, alliés traditionnels des Etats-Unis.
Ces pays représentent un tiers du PIB mondial et 2 milliards d’habitants. L’accord vise à approfondir leurs échanges. C’est ‘’la réponse du berger à la bergère’’ au protectionnisme brutal pratiqué par Donald Trump depuis 2017. Il est, également, une conséquence de la politique américaine d’affaiblissement de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) : cette dernière n’est plus à même de sécuriser les échanges. Des outils régionaux s’imposent.
Rappelons qu’en 2017, encore, figurait sur la table le projet d’accord transpacifique (TPP) conçu par Barak Obama pour contenir l’influence chinoise en matière de standards, paramètre stratégique des échanges. Il associait les Etats-Unis à un ensemble de pays asiatiques (sans la Chine). Le président Trump s’en est retiré unilatéralement. Trois ans après, la conséquence est là : Pékin s’est engouffré dans la brèche.
Certes, la Chine n’a pas la garantie formelle d’un rôle de leader dans le nouvel ensemble mais, sa puissance d’attraction économique est un énorme atout pour l’acquérir, ce qui a d’ailleurs conduit l’Inde, grand absent du RECEP à s’en retirer. Une autre nuance réside dans l’écart séparant souvent, dans les accords de libre-échange, les intentions et les réalisations, surtout quand l’ambition concrète est modeste (les normes et standards sont peu évoqués par l’accord, dont l’objet est avant tout douanier). Mais, ceci ne doit pas nous tromper, non plus : pour cet accord-là, l’acte le plus difficile était, justement, la signature.
Que des alliés des Etats-Unis, aussi fidèles que le Japon et la Corée du Sud, se résolvent à s’associer officiellement à la Chine pour une démarche susceptible de modeler la géo-économie mondiale n’allait pas de soi. Jusque-là, ces pays n’avaient aucun accord de libre-échange avec Pékin.
Au même moment, un autre accord affleure, d’ordre géopolitique cette fois : le « dialogue stratégique » entre les Etats-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon, surnommé « Quad ». En novembre, pour la première fois, des manœuvres navales conjointes ont réuni ces quatre pays dans le Golfe du Bengale. L’histoire des relations internationales nous enseigne que les manœuvres militaires sont souvent une étape-clé dans la genèse des alliances. Elles sont un signal fort de coopération. Elles contribuent à l’interopérabilité entre les forces militaires (condition d’efficacité d’une éventuelle alliance). Elles impliquent des contacts humains (favorisant les rapprochements ultérieurs…).
L’Inde, ancien apôtre du non-alignement, s’associe en 2020 aux Etats-Unis pour une démarche tournant le dos à cette doctrine. Ceci en dit long sur les lignes de fractures mondiales. C’est un second coup de tonnerre.
Les deux évènements sont asymétriques : sur le dossier économique, la Chine a pris le lead grâce à l’aveuglement de Donald Trump ; sur le militaro-stratégique, les Etats-Unis conservent une supériorité manifeste et s’en servent pour converger avec l’Inde. Ils sont aussi concomitants. Le Japon, seul signataire commun aux deux accords, n’y est peut-être pas étranger : la confirmation simultanée de l’alliance stratégico-militaire avec les Etats-Unis lui permet de coopérer économiquement avec la Chine sans crainte d’affaiblir son lien politique avec Washington. Sous nos yeux, la carte du monde se redessine.