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Opinion
- Le Coronavirus menace d’affaiblir l’autorité de l’État et la mise en place d’un cadre constructif pour l'organisation des élections dans des conditions sereines ;
- Étant donné que la Chine est un partenaire économique primordial en Afrique de l’Ouest, l’impact du Coronavirus s’est d’ores et déjà soldé par une baisse des flux de capitaux chinois et par un retard dans la réalisation de mégaprojets d’infrastructures ;
- Suite à un ralentissement des échanges commerciaux des États Ouest–africains avec leurs principaux partenaires (Chine, Inde et Union européenne), combiné à une guerre des prix du pétrole entre la Russie et l'Arabie saoudite, cette crise imposera une révision des performances économiques projetées en 2020. De plus, une récession peut pousser les pays à s'endetter davantage ;
- Le Nigeria sera très affecté par la crise Covid-19. Le pays accusait déjà une baisse des recettes pétrolières à cause de l’effondrement du prix du baril et l’insécurité dans sa zone nord-est va rendre la gestion du virus une tâche difficile à entreprendre ;
- Le Coronavirus risque de compromettre l’équilibre déjà fragile que les États Ouest-africains et l'ensemble de la communauté internationale ont pu instaurer au Sahel ces dernières années. Dans ce contexte de crise, la vulnérabilité de la population affectée par les conflits est une préoccupation majeure.
La récente déclaration de Tedros Adhanom, Directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et ancien ministre des Affaires étrangères de l’Éthiopie, avertissant l'Afrique de « se préparer au pire » face au Coronavirus (Covid-19), atteste de l’inquiétude exprimée par de nombreuses figures africaines quant à la capacité du continent à faire face à ce virus. En Afrique de l'Ouest, la pandémie, si elle n'est pas maîtrisée, risquerait d’affaiblir davantage les États, déjà confrontés à des défis politiques, économiques et humanitaires majeurs. L’année 2020 est, en effet, cruciale pour cette région où les échéances électorales dans cinq pays approchent à grands pas, à savoir : le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée et le Mali. La non tenue de ces élections, perçues par les populations comme une opportunité pour évoquer leurs attentes de sécurité, de stabilité et de prospérité, et l’aggravation de la situation humanitaire si la propagation du virus venait à enregistrer une grande ampleur parmi les populations ouest-africaines, risqueraient de bouleverser l’équilibre régional.
L’impact du Coronavirus sur cette région nous conduit à nous interroger : Comment cette pandémie peut-elle perturber les élections ? Quel pourrait-être son impact sur les grands projets structurels ? Comment évaluer les effets de sa propagation dans des zones de conflits ?
Les élections présidentielles en question
Il est évident que le Coronavirus va tester la résilience des États d'Afrique de l'Ouest au cours de cette année électorale très cruciale. La pandémie a déjà rompu l'élan de plusieurs forces politiques par la suspension des manifestations publiques, dont des rassemblements et meetings, pendant des semaines, comme en Côte d'Ivoire et au Ghana. De plus, si les Etats Ouest-africains ne parviennent pas à juguler la propagation du virus, les élections ne pourront pas avoir lieu dans les délais.
Le Coronavirus peut aussi servir comme cadre rhétorique qui ne fera qu’intensifier la bataille législative. Par exemple, au Ghana, le chef de l’opposition, ancien Président et actuel leader du New Democratic Congress, John Mahama, a ainsi déclaré, défendant une posture quasi-présidentielle : « je donne ma parole au peuple du Ghana qu'en tant que minorité et voix des sans-voix, nous tiendrons responsable le gouvernement [1]».
Dans ce contexte, la Commission électorale du Ghana, qui se trouve depuis janvier dernier au centre d’une controverse, après sa décision d’établir un nouveau registre des électeurs, est, depuis le début de la menace sanitaire, ciblée par l’opposition qui est montée au créneau pour demander le report de l’établissement de ces nouvelles listes électorales. Même l'Alliance pour l'équité sociale et la responsabilité publique (ASEPA) a menacé de soumettre une pétition à l’OMS si la Commission électorale refusait de reporter la compilation de ces listes, ajoutant qu’une «copie de la pétition serait également présentée au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale (BM), leur demandant de ne pas voter les $83 milliards qu'ils ont alloués pour soutenir les pays en développement comme le Ghana, car nous n'avons pas fait grand-chose pour le mériter [2]».
Au Ghana, comme ailleurs, l’instrumentalisation du Coronavirus à des fins électorales peut s’avérer dangereuse pour la mise en place d’un climat politique propice à l’échange et au dialogue entre les différents acteurs. Il est essentiel, en vue des défis complexes dans cette région, d’obtenir l’adhésion des figures politiques et des populations dans l’effort de combattre la pandémie sans menacer le processus du renouvellement des institutions.
Perturbation des grands projets de développement
La dynamique de la croissance économique de certains États Ouest-africains sera figée par les répercussions du Coronavirus sur l’économie mondiale. La Chine – qui investit massivement dans la zone– a d’ores et déjà suspendu l’avancement de certains projets de développement significatifs en Afrique de l’Ouest depuis le début de la pandémie. Le Ministre ghanéen du Transport, Amoaka Atta, a admis que la pandémie a suspendu la construction d’infrastructures au Ghana par la compagnie Chinoise Sinohydro Group Ltd[3]. Ce projet entre dans le cadre d’un accord de $2 milliards signé entre le Ghana et la Chine en 2018 pour relever les principaux défis liés aux infrastructures. Selon cet accord, Sinohydro fournira l'infrastructure souhaitée par le gouvernement ghanéen en échange d’un approvisionnement en bauxite raffinée. Ainsi, chacune des 16 régions du Ghana bénéficiera de l'arrangement Sinohydro, avec des projets bénéficiant au secteur de la santé publique, l'extension de l'électricité aux communautés rurales et la construction de tribunaux et de bâtiments résidentiels, les décharges et les parcs industriels. Ce projet d’envergure, dont l'approvisionnement en matériaux provient de la Chine continentale, peine à avancer en raison des contraintes rencontrées par les ingénieurs chinois, dont la capacité à voyager librement est grandement impactée par la pandémie. L'incertitude qui plane sur la réalisation de ces projets au Ghana et en Afrique de l’Ouest ne fera que se confirmer dans les semaines à venir, au fur et à mesure de la propagation quasi-inéluctable du virus à des pays comme le Burkina-Faso où la Chine a signé un accord qui prévoit la construction d'un hôpital de 140 millions de dollars et d'une route de 300 km qui reliera la capitale, Ouagadougou, à la deuxième ville du pays, Bobo-Dioulasso, pour un coût de 1,3 milliard de dollars.
D’autres projets majeurs, tels que l'oléoduc Niger-Bénin - dont la construction est assurée par la Société nationale du pétrole de Chine - ont aussi annoncé des retards dans leur réalisation.
Risque de dégradation humanitaire et sécuritaire
L’alerte lancée par l’OMS et le décès d’un homme politique Burkinabé atteint du Coronavirus ont accéléré la prise de conscience dans la région. Il est clair que la pandémie ne peut que mettre davantage de pression à l’échelle du continent, sur une infrastructure sanitaire précaire et aggraver les effets de la pauvreté chronique dans certaines zones géographiques. Les pays comme le Burkina-Faso, le Niger, le Nigeria et le Mali souffrent déjà d’un manque de moyens que des années de conflits armés et de réchauffement climatique ont engendré, conduisant au déplacement de centaines de milliers de personnes. Si le Coronavirus engage à une restriction des mouvements aux frontières, l'approvisionnement de ces populations vulnérables pourrait être menacé.
Menace qui commence déjà à prendre forme dans l'État du Borno, au nord-est du Nigeria, à côté des frontières nigériennes, camerounaises et tchadiennes. Le gouvernement de Borno est confronté à des combats continus entre les forces du gouvernement fédéral et les terroristes de Boko Haram, et a ainsi imposé une interdiction de quatre semaines aux visiteurs de tous les camps de déplacés, afin de lutter contre la propagation du Coronavirus et donner aux militaires un cadre opérationnel pour les actions contre le groupe terroriste.
Au-delà des mesures drastiques de protection des réfugiés à Borno, l'autre défi qui reste posé est celui de la sécurité des établissements de santé. Le long conflit dans la zone a entraîné l'effondrement des établissements de santé du service public, tandis que les terroristes de Boko Haram ciblent inlassablement les forces gouvernementales afin de paralyser leurs efforts pour faire face à la crise du Coronavirus. Au 24 mars, des sources militaires et de sécurité nigérianes ont déclaré qu’au moins 70 soldats nigérians ont été tués dans des embuscades tendues par des terroristes à Borno, juste après la décision du gouvernement nigérian de fermer les frontières terrestres du pays. Coïncidence ou action délibérée ? Ce qui est sûr, c’est que l'insécurité persistante entrave le mouvement des aides humanitaires et sanitaires, laissant ainsi de vastes zones et des populations hors de portée des soins au cas de propagation rapide du Coronavirus dans le pays.
En ce qui concerne les réfugiés et les déplacés internes, le danger du Coronavirus nécessite la mise en place de nouveaux mécanismes de coopération entre les organisations internationales. En cas de dégradation sanitaire, l’OMS devra coordonner avec les organisations spécialisées des Nations unies, telles que l’Organisation Internationale de la Migration (OIM) et l’Organisation des Nations unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) pour gérer des situations compliquées aux niveaux technique, financier et humain.
Le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) a déjà fait part de ses inquiétudes quant aux « mesures adoptées par certains pays qui pourraient bloquer totalement le droit de demander l'asile[4] » durant cette crise, l'incitant à demander 33 millions de dollars pour améliorer la préparation, la prévention et la réponse aux besoins de santé des réfugiés. Il est clair que le HCR ne peut pas à lui seul assumer cette tâche et a besoin d'une urgente aide financière pour s’y préparer, car le coût moyen de l'équipement médical pour fournir des services de santé efficaces aux réfugiés est de 17 000 dollars, tandis que la construction d'une installation d'eau et d'assainissement coûte 800 dollars. Dans les zones de conflits, il y a besoin de leadership et une coopération plus intelligente qui prennent en compte la situation politique de la zone et fonctionnent non pas contre, mais avec les populations réfugiées.
[2] Voir “Coronavirus: ASEPA threatens to petition WHO over EC, NIA postures”
Disponible sur https://www.ghanaweb.com/GhanaHomePage/business/Coronavirus-ASEPA-threatens-to-petition-WHO-over-EC-NIA-postures-897547
[3] Voir “Coronavirus “hits” Ghana’s economy; Sinohydro deal”
Disponible sur https://www.myjoyonline.com/business/economy/coronavirus-hits-ghanas-economy-sinohydro-deal-cedis-appreciation-affected/
[4] Voir Statement by Filippo Grandi, UN High Commissioner for Refugees, on the COVID-19 crisis
Disponible sur https://www.unhcr.org/news/press/2020/3/5e7395f84/statement-filippo-grandi-un-high-commissioner-refugees-covid-19-crisis.html