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Les investissements japonais en Afrique sont en plein essor. Ils sont passés de 758 millions de dollars, en 2000, à 7,8 milliards en 2017, fruit de la présence sur le continent de près de 796 entreprises nippones. Troisième puissance économique et deuxième puissance industrielle mondiale, après la Chine et les Etats-Unis, le Japon est le cinquième donateur mondial en matière d’aide bilatérale à l’Afrique. Malgré sa discrétion et la compétition des autres puissances étrangères présentes dans le continent, le Japon reste un acteur de développement apprécié en Afrique, notamment pour la nature non-intrusive de sa coopération prônant « le développement de l’Afrique par l’Afrique ». Si les premiers échanges à caractère commercial entre l’archipel et le continent remontent au XVIème siècle, ce n’est que depuis les années 1950 que le Japon a véritablement commencé à s’intéresser à l’Afrique.
L’aide au développement : une vocation japonaise d’après-guerre
Sérieusement affaibli à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le Japon s’est vu humilier par les Etats-Unis qui ont, sous le commandement du général MacArthur, procédé à l’occupation du pays, prétextant sa « reconstruction. ». Les troupes américaines se sont retirées après que le Japon ait signé le Traité de San Francisco, en 1951, reconnaissant ainsi l’indépendance de la Corée, la renonciation du Japon à Taiwan et ses archipels du Pacifique, passés sous la tutelle américaine, ainsi qu’aux Iles Kouriles et Sakhaline, devenues soviétiques. L’archipel nippon renonce à toute intervention militaire extérieure et se voit seulement autorisé à constituer une « force d'auto-défense » non-nucléaire.
Une nouvelle page se tourne lorsque le Japon adhère, en 1954, au Plan Colombo pour le développement coopératif économique et social des pays de l'Asie et du Pacifique, mis en place par les pays membres du Commonwealth britannique ayant pour but le développement économique coopératif axé sur l’amélioration du niveau de vie des populations de certains Etats asiatiques, afin d’étouffer une probable menace communiste. Egalement épaulé par la Banque mondiale (BM) et le Fond monétaire international (FMI) au début des années 1960, à travers des fonds octroyés sous formes de prêts, l’archipel nippon avait pour objectif le développement des infrastructures nationales et la redynamisation de l’industrie japonaise qui s’inscrit dans la logique de la doctrine Yoshida.
C’est alors qu’en 1960, le Japon verra l’essor d’un « miracle économique japonais » appuyé par le développement de l’industrie automobile, de l’innovation technique et technologique. Néanmoins, et en raison de sa position géographique avec un sol à 80 % incultivable, le Japon continue d’avoir besoin de ressources naturelles, disponibles dans le continent africain. Son passé en tête, et mu par une volonté de devenir membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, le Japon développa très rapidement son Aide Publique au Développement (APD). Cet acronyme renvoie aux apports de ressources qui sont fournies aux pays et territoires présents sur la liste des bénéficiaires de l’APD de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE). Outre sa volonté de favoriser la reconstruction d’après-guerre, le développement économique et l'amélioration du niveau de vie des pays en développement, l’APD a également pour objectif la projection de soft power, par le Japon, du plus grand nombre d’Etats africains dans le but d’assurer un soutien permettant l’accession au statut de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Les deux instruments vitaux de l’APD japonaise sont l’Agence japonaise de la Coopération internationale (JICA) et la Conférence internationale de Tokyo sur le Développement de l'Afrique (TICAD). Ils concrétisent sur le terrain la philosophie japonaise sur laquelle se base l’initiative de développement, à savoir le self-help qui inclut deux principes fondamentaux développés par le Comité de l’Aide Publique de l’OCDE pour une meilleure efficacité de l’aide publique lors de « la Déclaration de Paris » et la « Déclaration de Busan », l’Ownership et le Partnership pour un développement de l’Afrique par l’Afrique.
La stratégie japonaise de self-help au cœur de la coopération
Le Self-Help est l’un des concepts fondateurs de la philosophie japonaise d’aide publique au développement. Il consiste à soutenir l’appropriation, par les pays en développement, de leurs potentiels de développement, en promouvant la bonne gouvernance, une coopération axée sur la valorisation des ressources humaines, le renforcement des institutions, le développement des systèmes juridiques, la construction d’infrastructures économiques et sociales …etc.
L’aide publique au développement en Afrique
L’Aide Publique au Développement nippone a connu plusieurs phases marquées par le contexte géopolitique international (de la reconstruction à une réelle diplomatie d’aide, en passant par les deux crises pétrolières). La chute du Mur de Berlin, la dissolution du bloc soviétique, le contexte géopolitique était favorable au Japon : une Afrique oubliée et des besoins énormes du Japon en ressources naturelles, notamment énergétiques, ont contribué à la naissance de la Conférence Internationale de Tokyo sur le Développement de l’Afrique (TICAD), en 1993, le premier forum entre un pays et un continent. Cette initiative a permis au Japon de se positionner en tant précurseur d’un nouveau modèle de coopération internationale. Le Japon était, en effet, la seule puissance asiatique apte à financer des programmes de développement dans la région notamment en Chine, en Indonésie, aux Philippines, au Myanmar, au Viêtnam, en Thaïlande, en Inde, en Egypte, au Bangladesh, au Pakistan, au Sri Lanka voire même en Turquie puis en Afrique indirectement lors des visites de ministres japonais des Affaires étrangères au Nigéria, en Tanzanie, au Ghana, en Tanzanie, au Sénégal, au Kenya et en Côte d’Ivoire faisant du Japon le premier bailleur de fonds mondial de 1991 à 2001.
L’aide publique japonaise a permis à Tokyo de façonner son image à l’international en se présentant comme un partenaire privilégié de développement des Etats africains. En 2016, l’aide publique japonaise bilatérale représentait 7 016,09 millions de dollars USD, contre 3 315,33 millions de dollars en contributions et financements au profit d’organisations internationales, valant au Japon son classement au quatrième rang des États membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, après les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Si historiquement l’APD nippone consacrée au continent africain représentait seulement 2,2% de l’APD globale en 1970, elle représentait en 2016 près de 30% des dons, 15% de la coopération et 4% des prêts concessionnels. Afin de gérer au mieux la coopération économique japonaise, l’Agence japonaise de la Coopération internationale (JICA) a été créée en 1974, regroupant des organismes opérant dans différents domaines de développement, notamment la coopération technique incluant les ressources humaines, la recherche et développement, l’immigration, la coopération agricole, etc. La JICA a pour but de s’assurer de la bonne exécution de l’APD du Japon dans le monde, avec des bureaux dans plus de 150 pays. Pilier de la coopération économique nippone, l’APD se décline en deux sous-parties :
L’aide bilatérale : Exécutée par l’Agence japonaise de la Coopération internationale, elle a pour but de veiller à ce que les financements permettent une coopération technique, une coopération pour le financement et les investissements, les dons et autres se chargent de l’exécution de l’aide bilatérale.
L’aide multilatérale : Elle concerne les financements et les contributions octroyés aux Organisations internationales.
La TICAD : penser l’Afrique de demain
Le second pilier de l’APD japonaise en Afrique est la Conférence internationale de Tokyo sur le Développement de l’Afrique (TICAD) qui vise à rassembler les pays africains afin de penser l’Afrique de demain, en prenant en compte les défis que rencontre le continent, notamment l’insécurité alimentaire, l’immigration, le chômage. La TICAD rassemble également des Organisations internationales, des pays partenaires dans le cadre de coopérations triangulaires, des entreprises privées, de même que des Organisations Non-gouvernementales (ONG). En plus du concept de self-help, la philosophie de la TICAD est basée sur deux principes majeurs : « Ownership » et « Partnership » :
- Ownership où le principe de propriété définit l’effort effectué par les Africains pour les Africains qui est autonome et auto-dépendant.
- Partnership où le principe de partenariat réfère aux aides de développement internationales mises en place pour répondre à certains défis.
L’Aide Publique au Développement à travers la TICAD et la JICA partage une vision commune à savoir : développer l’Afrique par l’Afrique.
La transmission d’héritage comme approche
Se démarquant par une politique non-intrusive de coopération, contrairement à d’autres pays partenaires du continent, le Japon est un acteur qui valorise un développement concrétisé par la transmission d’un héritage, autrefois acquis lors de sa reconstruction au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notamment son savoir-faire industriel, technologique et agricole, contribuant au développement « de qualité et non de quantité » nippon. Ainsi, au lendemain de la 6ème édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le Développement de l’Afrique en 2016, le pays du soleil levant a décidé de former plus de 30 000 jeunes africains dans divers secteurs d’activité (notamment agricole et technologique) afin de développer une main-d’œuvre apte à répondre aux problématiques majeures que connaissent les Etats africains, à savoir l’assainissement des eaux, la lutte contre la famine, le développement des réseaux électriques… etc.
Le secteur industriel
A titre d’exemple, l’entreprise japonaise Daikin a formé des techniciens spécialisés de la République démocratique du Congo pour mener à bien l’installation et l’entretien des machines d’air conditionné, tandis que « Polyglu » a formé et employé 3000 personnes dans le métier de traitement des eaux usées. Le pionnier japonais de la recherche en bactériologie Hideyo Noguchi emploie 49 chercheurs originaires du Ghana et d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, avec pour ambition la création de laboratoire moléculaire en Afrique par des Africains, qui serait dédié à la détection des maladies infectieuses. L’autre secteur en pleine expansion sur le continent est celui de l’automobile. Le géant japonais, Toyota, troisième producteur d’automobile mondial, a décidé de s’implanter en Côte d’Ivoire, après l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Nigéria et le Ghana.
L’agriculture
Le fruit de cette coopération a nourri d’autres ambitions qui se sont traduites lors de la 7ème édition de la TICAD par la volonté de nourrir l’Afrique par l’Afrique : « la diplomatie du riz ». Par ce programme, initié par l’Agence japonaise de la Coopération internationale (JICA) et l’association Sasakawa pour l’Afrique, le Japon ambitionne de doubler la production rizicole en Afrique pour atteindre 50 millions de tonnes à l’échéance 2030. Par ailleurs, le leader mondial japonais des semences potagères et florales, Sakata, a déclaré que le développement ne passe pas uniquement par les investissements purement économiques, mais principalement par le développement de l’agriculture qui réduit la dépendance. Le groupe Sakata a créé des coopératives en Afrique du Sud et projette d’étendre ses activités à l’ensemble du continent.
Vers une coopération axée sur la défense : une ambition signée Shinzo Abe ?
Afin de lutter contre la piraterie dans le Golfe d’Aden et d’assurer la protection de ses propres navires marchands, le Japon a construit, en 2010, une base militaire à Djibouti. Opérationnelle depuis 2011, cette infrastructure abrite quelque 200 hommes des Forces japonaises d’Auto-défense. Voulant se détacher de l’image d’un Japon affaibli, mais non agressif, le Conseil des Ministres a décidé de changer son approche de défense, amer héritage de l’époque d’après-guerre, en modifiant quelques dispositions de l’article 9 de la Constitution qui stipule que le Japon aspire « sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'État ne sera pas reconnu. ».
Votées sous l’occupation américaine, ces dispositions reflétaient les aspirations des autorités nippones pour un Japon non-interventionniste. L’article 9 omet l’inclusion de l’auto-défense. Ainsi, pour équilibrer cet article, une loi, votée en 2015 et adoptée en 2016, défend la nécessité de l’utilisation des armes lorsqu’il s’agit d’auto-défense, tout en gardant à l’esprit la nécessité de maintenir la sécurité et la paix internationales. C’est sur cette base qu’en 2016/2017, le Japon a déployé ses forces au Soudan du Sud, en renfort des contingents de l'ONU.
Dans le même élan, le Japon a explicité dans le Livre Blanc de la défense de 2019 sa volonté de participer au projet de déploiement rapide de moyens capacitaires des Nations unies en Afrique (dans le cadre d’un partenariat triangulaire). Ainsi, en 2016, à titre d’exemple, des Officiers japonais ont ainsi été envoyés par le Japon comme enseignants dans les centres de formation aux Opérations de maintien de la paix au Soudan du Sud, au Kenya et au Sinaï et comme instructeurs pour le Projet de déploiement rapide de capacités de génie en Afrique (ARDEC) ».
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