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Ethiopie-Erythrée : La hache de guerre serait-elle enfin enterrée entre les frères ennemis ?
September 7, 2018

Alors que le dialogue était totalement rompu entre l’Ethiopie et l’Erythrée, le nouveau premier ministre Ethiopien a pris le pays et la région complètement au dépourvu en annonçant, dès sa prise de fonction en avril 2018, son intention de tourner la page aux « années d'incompréhension » et de renouer le dialogue en mettant en œuvre les termes de l’Accord d’Alger signé en 2000, suite à une guerre fratricide (1998-2000) qui avait fait plus de 80000 morts. 

Le réchauffement entre les deux voisins s’était amorcé en juin 2018, mais et les derniers voyages symboliques d’Abiy Ahmed à Asmara et d’Isaias Afwerki à Addis Ababa confirment un réel dégel de leurs relations.

Marquant un tournant historique dans ce long différend frontalier qui a paralysé la région, ces pays Africains « frères » viennent de signer une déclaration de paix et d’amitié. Toute une série de mesures a été annoncée durant ces dernières semaines ; rétablissement des relations diplomatiques, relance des échanges culturels et économiques avec la reprise des liaisons aériennes et téléphoniques entre les deux pays, et même la possibilité, pour l’Ethiopie, d’utiliser à nouveau les ports érythréens d’Assab et de Massawa. 

Ainsi, et pratiquement en un clin d’œil, des années d’animosité entre les deux pays passent à l’oubliette, mais comment un tel tournant a-t- il été réellement envisagé ? Et au-delà de la symbolique des accolades, et des réceptions fastueuses, s’agit-il vraiment d’un pas majeur vers une paix durable entre les deux pays ? 

Des tensions frontalières qui perdurent 

Le conflit frontalier entre l'Érythrée et l'Éthiopie trouve son origine du temps de la colonisation Italienne (1896-1936) de l’Erythrée actuelle. Concernant des tranches de terres contestées le long de la frontière de mille kilomètres créée, mais jamais clairement délimitée par l'Empire Ethiopien et l'Italie, les discordes frontalières n’ont pas tardé à refaire surface au lendemain de la victoire des révolutionnaires contre le régime militaire des Derg en 1991.

En guerre contre le régime d’Addis Ababa depuis l’annexion par l’empire Ethiopien en 1962, la seule province Ethiopienne à avoir été colonisée par les Italiens acquiert son indépendance par référendum le 27 avril 1993, faisant ainsi perdre à l’Ethiopie sa seule façade maritime. Malgré cette brusque séparation, les deux entités avaient toujours coopéré dans leur lutte contre le régime militaire des Derg. En effet, durant les années 1970, le Front Populaire de Libération de l'Erythrée (EPLF) fournissait des combattants ainsi qu’une assistance technique à des moments critiques de la révolution. Les combattants érythréens ont même participé à l'assaut final d'Addis-Ababa en 1991. Les relations entre les fronts érythréens et tigréens étaient si étroites qu'il aurait même été question de créer une nouvelle fédération regroupant les deux peuples. Cependant, le but ultime de cette lutte était différent. Alors que les autres groupes révolutionnaires luttaient contre le régime des Derg, l’Erythrée voyait en cette lutte une opportunité d’autonomie totale qui n’a pas empêché, dans un premier temps, les deux pays de maintenir de bonnes relations. 

Cependant, en mai 1998, une guerre frontalière éclate suite à l'occupation de Badme par les forces armées érythréennes en guise de riposte aux revendications éthiopiennes sur des territoires le long des frontières. Un long conflit au bilan humain très lourd s’en suit jusqu’à la signature d’un Accord de paix, dit Accord d’Alger, sous la direction de l’ONU, le 12 décembre 2000.

L'Accord d’Alger appelle à la fin des hostilités entre les deux pays et au respect de la décision de la Commission frontalière de l'ONU, qui a rendu son verdict en 2002, accordant ainsi à l’Erythrée certains territoires contestés dont Badme et Zalambessa.

L'Ethiopie a toutefois toujours eu du mal à accepter cette décision. Le différend persiste et les deux nations sont restées prêtes à se faire la guerre pendant ces vingt dernières années ; en 2016, des accrochages au niveau de la frontière laissaient même croire à une résurgence de la guerre.

Un air de changement sous Abiy Ahmed

Unanimement, ce qui aurait changé, c’est la nomination d’Abiy Ahmed comme nouveau premier ministre Ethiopien. Ce plus jeune dirigeant Africain, et premier Oromo (et Amhara de mère) à la tête du gouvernement, a beaucoup surpris depuis son investiture. Allant de libération de prisonniers politiques, à la semi-privatisation des grandes entreprises nationales, les annonces fracassantes d’Abiy Ahmed ne cessent de faire la Une de l’actualité mondiale. 

Comme pour redonner un second souffle à un pays, qui subissait encore les effets d’une crise politique et sociale, l’Ethiopie passe par une sorte de transition douce durant laquelle une vaste série de réformes a été annoncée. Cette dernière décision, prise de manière inattendue, le 5 Juin dernier, d’honorer les termes de l’accord de paix avec Asmara, en acceptant l’arbitrage de la Commission frontalière Ethiopie-Erythrée (EEBC), suscite l'espoir de mettre fin à l'une des confrontations militaires les plus insolubles d'Afrique. Selon plusieurs analystes, la coalition au pouvoir –EPRDF– étant dominée depuis la fin du régime des Derg par la minorité tigréenne -dont la région est à la frontière avec l’Erythrée-, ne pouvait prendre ce genre de décision du fait de la rancœur qui existerait entre les deux peuples. Des vétérans du TPLF auraient clairement exprimé leur mécontentement quant à ce rapprochement avec l'Erythrée, suscitant même quelques manifestations dans la région Tigray. De ce fait, l’origine ethnique du nouveau premier ministre aurait largement facilité la relance des pourparlers. 

Bien qu’assez simpliste, ce critère aurait peut-être joué un rôle dans ce récent rapprochement. Mais au-delà de toute considération ethnique, cette tentative de normalisation des relations entre les deux pays est assez stratégique tant économiquement que politiquement dans une région où les fragilités et les tensions sont de plus en plus instrumentalisées par des acteurs et des enjeux externes. Il s’agit donc, bien d’un tournant historique auquel nous assistons sous Abiy Ahmed, surprenant par son timing mais aussi inspirant par l’espoir qu’il redonne en essayant de passer outre les sensibilités historiques dans un continent qui est souvent victime de ses frontières.

Les enjeux de la normalisation des relations bilatérales : quel plan d’action ?

Cette tentative de normalisation des relations bilatérales a de surcroît attiré l'attention internationale sur le conflit gelé, et stimulé une multitude de suppositions sur l’engagement des deux pays quant à l’avenir de cette période de détente. La confrontation sans fin entre les deux voisins de la Corne de l'Afrique avait affecté non seulement l’économie des pays concernés mais aussi toute la région, déjà instable et fragile. Plusieurs raisons commerciales et économiques solides ont favorisé la résolution du problème entre les deux pays.

Avec un passé conflictuel entre les deux Etats, le poids de l’histoire reste fort mais au-delà de la symbolique des intentions exprimées à travers la déclaration de principe, il reste à voir dans les prochains mois des gestes concrets qui traduisent ces dernières avancées sur le terrain.

Pour cela, il faudra prévoir le large chantier sécuritaire que cette annonce de paix implique, et élaborer un plan d'action continu afin de consolider cette réconciliation surprise :

1- La coalition au pouvoir en Ethiopie se dit prête à accepter l’accord de paix signé avec l’Erythrée mais l’armée Ethiopienne occupe encore plusieurs zones accordées à l’Erythrée par la Commission d’arbitrage de l’ONU. Il reste, donc, à savoir quand l’armée Ethiopienne compte se retirer des territoires érythréens. Les deux pays devraient s'entendre sur la date de mise en œuvre de la décision de la commission frontalière, tout en évitant un vide de sécurité le long de la frontière. Pour le moment, il n’y a pas encore de mouvements de troupes sur le terrain et les décisions restent assez floues.
L'Autorité Inter-Gouvernementale pour le Développement (IGAD), le bloc régional de la Corne de l'Afrique, pourrait conduire le processus en agissant comme intermédiaire entre les parties dans les négociations.

2- L’état de guerre semble être arrivé à sa fin, mais qu’en sera-t-il des habitants de Badme et de Zalambessa qui sont Tigréens ? Comment les deux pays comptent-ils organiser ce transfert de pouvoir, tout en évitant les crises internes dues à certains mécontentements ? 

3- Dans ce conflit, il n’y a pas que les belligérants mais aussi des acteurs régionaux et internationaux ; l’Egypte, Djibouti, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Russie, les Etats-Unis, la Chine (pour n’en citer que quelques-uns).
Qu’en sera-t-il des relations entre l’Ethiopie et Djibouti, seul port actuel de l’Ethiopie, sachant que celui-ci entretient des relations tendues avec l’Erythrée, en raison d’un conflit frontalier autour de Ras Doumeira ? Les Émirats Arabes Unis et l'Arabie Saoudite disposent d'installations militaires dans le port d'Assab, en mer Rouge, où ils mènent des frappes aériennes contre les Houthis au Yémen. En vue de la récente visite d’Abiy Ahmed en Arabie Saoudite et des derniers investissements Emiratis annoncés lors d’une visite du Sheikh Mohamed Bin Zayed à Addis Ababa, ces pays arabes ont certainement joué un rôle important dans le rapprochement éthiopien-érythréen. Cependant, qu’en est-il de la relation avec l’Egypte qui entretient également des liens étroits avec Asmara et qui, de ce fait, se retrouve de facto dépourvue du soutien de son allié dans son plaidoyer contre la construction du Grand Barrage de la Renaissance Ethiopien ?

Il s’agit, en effet, d’un changement spectaculaire dans les relations entre deux pays longtemps enfermés dans la suspicion et l'hostilité sanglante, mais tous ces éléments exigent une coordination réfléchie entre les deux parties. Beaucoup ne pensaient jamais voir cette réconciliation se réaliser, maintenant il faut négocier la paix et plus largement, entrevoir prudemment une réelle avancée de la sécurité régionale. 

Isaias Afwerki « Nous sommes ensemble pour ce voyage. Nous ferons face à des défis et des opportunités ensemble et nous réussirons. » 
Abiy Ahmed « Avec la paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée, la Corne d’Afrique sera une région de paix et de développement. »

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