Publications /
Opinion

Back
Elections présidentielles au Mozambique : Un scrutin alliant rupture et continuité
Authors
Amal EL ouassif
October 11, 2019

Le 15 octobre 2019, les électeurs mozambicains se rendront aux urnes pour élire leur président. Des élections qui se déroulent dans un contexte particulier, marqué par la concrétisation des projets d’exploitation des réserves de gaz qui attisent les convoitises des différentes parties, ainsi que la conclusion d’un accord de paix entre les deux adversaires traditionnels, le Front de libération du Mozambique (FRELIMO)- parti actuellement au pouvoir- et Résistance nationale mozambicaine (RENAMO), principale formation de l’opposition. A cela viennent s’ajouter les conséquences du scandale de la dette cachée et la menace d’une crise humanitaire consécutive au cyclone qui a frappé le pays en mars dernier.

Comme lors des précédents scrutins, et ce depuis l’indépendance du pays, les deux partis qui se disputeront réellement les voix des Mozambicains sont le Frelimo et son principal opposant Renamo. Les vingt-quatre autres formations politiques en compétition n’ont que très peu de chances dans la course à la présidentielle, à l’exception notable du parti MDM dont le candidat, Daviz Simango, est aussi le maire de la ville de Beira.

Le prochain scrutin aura valeur de test pour la résilience de l’Accord de paix entre Frelimo et Renamo. Ce dernier arrive fragilisé par les divisions internes entre les ailes politique et militaire Auto-proclamé "Renamo Military Junta" qui remet en question la légitimité des élections et du leadership de Ossufo Momade. Le vide laissé par la disparition de Afonso Dhlakama laisse planer le doute sur la stratégie qui pourrait être suivie par le Renamo après les élections.

Contexte général 

Le 6 août 2019, un accord de paix a été signé entre Frelimo et Renamo, dans le but de mettre fin aux violences post-électorales et convenir d’un modèle participatif de gouvernance. Cet accord prévoit, entre autres, une inclusion poussée de l’élite du Renamo dans les cercles de l’armée et de la police, longtemps convoités par les rebelles du Renamo. Toutefois, en dépit des avancées apportées par cet accord, il demeure limité aux yeux de l’aile militaire du Renamo.

Les projets d’exploitation du gaz dans le nord ont aussi marqué le Mozambique ces derniers mois. Les réserves de gaz ont à la fois motivé la conclusion de l’accord de paix et constitué une menace sécuritaire, à la suite de multiples violences qu’a connues la riche région de Cabo Delgado. Car en dépit de l’absence de preuves sur la relation entre ces violences et les projets d’exploitation des champs de gaz, une nette amélioration a été observée dans la région à la suite de la conclusion de l’accord de paix et de la signature de l’accord d’exploitation de gisement offshore de gaz entre le gouvernement mozambicain et le géant américain Anadarko en juin dernier.

En ce qui concerne la campagne électorale, qui prendra fin ce 12 octobre, on constate l’absence d’incidents notables, hormis la controverse qui a suivi la publication, par l'Institut national de statistique (INE), d’un nombre d’électeurs contradictoire avec les chiffres rendus publics par la Commission Nationale des Elections. Les discours des deux principaux concurrents sont conciliants, à l’image de l’entente signée entre leurs partis respectifs.

Premier scrutin sans Afonso Dhlakama

Pour la première fois depuis l'introduction d'un système multipartite au Mozambique, suite à l’adoption de la nouvelle Constitution de 1990, Afonso Dhlakama, leader historique du Renamo, ne prendra pas part à ces présidentielles, en ayant décédé il y a quelques mois. Cette absence renforce le fossé entre l’aile politique du Renamo, dominée par Ossufo Momade, et la composante militaire du parti qui conteste le leadership de ce dernier. Se considérant exclue de l’accord de paix - car pas impliquée dans les négociations- l’aile militaire du Renamo a menacé de mener des actes de violence à l’encontre des candidats et des électeurs. Des menaces qui se sont traduites, sur le terrain, par des tentatives de perturbation du déroulement de la campagne électorale.

A ce propos, la responsabilité de la Junta du Renamo n’a pas pu être établie dans la perpétration, au mois de septembre dernier, des explosions de véhicules près des lieux des meetings électoraux au nord du pays, qui ont fait une dizaine de victimes.

En fait, l’opposition de l’aile militaire du Renamo trouve sa raison d’être, en partie tout au moins, dans à la fois le contexte et les dispositions dudit accord de paix qui, tout en ayant été salué par la communauté internationale, ne parait pas satisfaisant aux yeux des rebelles du Renamo. Ces derniers ont été contraints de remettre leurs armes et de se reconvertir dans la vie civile moyennant une aide financière de l’Etat. Des promesses qui ont ravivé les séquelles laissées par les anciens accords de paix de 1992 et 2014, qui prévoyaient d’intégrer les milices du Renamo dans le tissu économique et social du pays, mais faute de moyens consacrés à cette insertion, les violences armées ont repris peu de temps après la conclusion desdits accords de paix qui étaient voués à l’échec. D’ailleurs, dès la conclusion du nouvel accord de paix, beaucoup d’observateurs se sont demandés si celui-ci ne sera pas aussi une nouvelle coquille vide, puisque les mêmes obstacles liés au financement et à l’intégration des milices du Renamo persistent encore. Pour d’autres observateurs, les tensions internes au sein du Renamo affaiblissent ce dernier et, par conséquent, réduisent sa capacité à déstabiliser le pays, notamment avec le rapprochement notable entre le président Filipe Nyusi et Ossufo Momade.

Election des gouverneurs provinciaux : Une nouveauté du scrutin du 15 octobre

Pour la première fois dans la vie politique du Mozambique, les présidentielles vont déboucher sur l’élection des gouverneurs provinciaux parmi les têtes de listes des partis en compétition. Cette mesure a été adoptée après la conclusion de l’accord de paix du 6 août, donnant le coup d’envoi à un nouveau paquet de décentralisation administrative, prévu par l’accord. Pendant de longues années, l’élite du Renamo demandait à avoir plus de pouvoir au niveau local, notamment dans la gestion des ressources financières des provinces. Or, c’était le gouvernement central qui se chargeait de la nomination des gouverneurs provinciaux, généralement issus de cercles proches du parti au pouvoir. Ainsi, dès l’avènement des premières négociations du nouvel accord de paix, l’élite du Renamo insistait sur l’importance d’avoir des gouverneurs locaux issus des formations politiques majoritaires.

 En fait, la gestion locale des provinces a toujours été un point de désaccord majeur entre Frelimo et Renamo. Celui-ci a accusé le gouvernement de fraude lors des élections de 1999, 2004 et 2009 et boycotté les élections municipales de 1998. Après les élections de 2009, le Renamo a demandé l’autonomie de six provinces du pays où il a obtenu la majorité des votes et a même eu recours à l’usage de la force entre 2015 et 2016, avant que la pression internationale force le Renamo à déclarer le cessez-le-feu.

Pour les deux protagonistes, le contrôle des budgets des provinces locales est d’une importance cruciale. La nouvelle formule de gouvernance reflète un compromis entre les partis d’opposition et le parti au pouvoir. Ainsi, le gouverneur choisi par le pouvoir central sera nommé « Secrétaire d’Etat Provincial » et un nouveau « gouverneur » sera élu localement. Les deux ont des pouvoirs définis mais souvent liés. L’idée d’une telle structure est pour le gouvernement central de garder le contrôle sur la gestion des ressources locales, tout en plaçant une partie de l’élite du Renamo à des postes de gestion de haut niveau, comme prévu par l’accord de paix. Pour Renamo, il s’agit d’une grande avancée vers l’intégration dans le tissu économique du pays, puisque la base électorale du Renamo est majoritairement concentrée dans le centre et les régions du Nord du pays, riches en ressources naturelles et, donc, stratégiquement importantes.

 

Résultats de votes par province pour Renamo et Frelimo lors des élections de 2014

PCNS

Conclusions et perspectives

Il y a une quasi-certitude que le président sortant, Filip Nyusi sera réélu pour un deuxième mandat. Les éléments qui permettent de conforter ce pronostic résident notamment dans la conclusion de l’accord de paix du 6 août devant permettre de neutraliser la menace d’une éventuelle violence politique en amont des élections. Par ailleurs, le président sortant a convaincu une grande partie des créanciers de restructurer la dette ayant fait l’objet d’un scandale économique et politique de grande envergure. Une manœuvre qui permettra au président Nyusi de recueillir plus de soutiens pour sa candidature, puisque la restructuration d’une aussi grande partie de la dette est synonyme de renouement avec la communauté des donateurs internationaux. Un renouement très important dans ce moment crucial où les conséquences du cyclone Idai risquent de plonger le pays dans une crise humanitaire de grande envergure.

Le nouvel accord de paix, autant il promet de dépasser une grande partie des blocages entre Frelimo et Renamo, autant il présente des limites. Par le passé, le Renamo a eu recours à l’usage de la violence lorsque ses doléances n’étaient prises en compte par le parti au pouvoir. Il s’est avéré que face aux moyens limités mobilisés par le gouvernement pour implémenter les accords de paix, le Renamo a pu réaliser les meilleurs résultats électoraux en ayant recours à la force. La Junta militaire pourrait ainsi favoriser une telle option au cas où l’élite de Frelimo ne réagit pas à ses demandes, essentiellement de nature économique. Du côté du Frelimo et de la composante politique du Renamo, l’intérêt est dans la préservation de l’Accord de paix, afin de relancer la croissance économique du pays et tirer plein profit des ressources énergétiques récemment découvertes. Là aussi, la durabilité du deal dépendra du degré de souplesse dont le Frelimo pourrait faire montre en matière de contrôle sur la sphère économique et de sa prédisposition à intégrer certaines élites du Renamo.

RELATED CONTENT

  • November 10, 2020
    The COVID-19 pandemic has been characterized by a shifting balance of power, with some analysts even predicting a new international order in the making. Emerging powers are contributing to the changing power dynamics by competing to increase the influence they have in political, economic, and security spheres. Africa is one of the key spaces where such strategic efforts have been taking place. In such a context, this paper assesses key drivers of emerging powers’ growing engagement ...
  • Authors
    November 9, 2020
    The word ‘occupation’ was used twice specifically to the Saharan Provinces in UN General Assembly resolutions in 1979 and 1980. Though the word has not been used by the General Assembly since, it has appeared in court rulings in the EU, the UK and South in a detrimental conclusion regarding Morocco’s sovereignty over the Saharan Provinces. This paper shall start with a consideration of international law in order: to differentiate occupation of a nonself- governing territory from occ ...
  • Authors
    Eugène Berg
    Pascal Chaigneau
    Jérôme Évrard
    Alain Oudot de Dainville
    Sonia Le Gouriellec
    Rodolphe Monnet
    Florent Parmentier
    Nicolas Vaujour
    October 16, 2020
    Dans ce huitième ouvrage, le Centre HEC de Géopolitique et le Policy Center for the New South présentent 13 papiers conjoints inspirés de la 8ème édition de la conférence annuelle des Dialogues Stratégiques, et enrichis par les auteurs. Lors de cette rencontre, qui a eu lieu le 17 octobre 2019, deux thèmes majeurs ont été discutés : Les défis de la navalisation et de la maritimisation du monde et l’insularité au sein de l’Union Africaine. Dans la première partie de l’ouvrage, les a ...
  • Authors
    Hajar El Alaoui
    October 5, 2020
    La pandémie de la Covid-19 a mis en exergue les limites de la « coopération internationale » et du multilatéralisme, cédant la place à une possible émergence de la coopération bilatérale, voire régionale, et à la mise en œuvre de Complexes régionaux de sécurité. La configuration actuelle du monde en fait un village global, où les Etats sont à l’image de leurs nations, plus connectés et interdépendants. Il est, certes, vrai que la mondialisation ne peut disparaître, mais peut, en rev ...
  • Authors
    Youssef El Jai
    September 15, 2020
    Avant l'ère coloniale, l'émission d'argent en Afrique de l'Ouest dépendait de la traite des esclaves. Avec l'avènement du régime colonial, les pièces d'argent ont été importées puis progressivement imposées comme outil de coercition. La trajectoire postcoloniale a été différente pour les anciennes colonies britanniques et françaises. Alors que les premières ont retrouvé leur souveraineté monétaire, les secondes ont conservé une union monétaire sous l’égide de la France. La propositi ...
  • September 11, 2020
    Discover the 4th Chapter of the Annual Report on Africa’s Geopolitics 2020 on the Egyptian & Ethiopian perspectives on the Grand Ethiopian Renaissance Dam, with Sara Mokaddem, International Relations Specialist at the Policy center, and Nihal El Mquirmi, Researcher in International ...
  • Authors
    September 8, 2020
    Les pays du Sahel font face à des changements politiques qui affectent négativement le continent africain dans son ensemble. Ce papier, tout en traitant la question des armées et de leurs implications dans des zones de conflits, notamment au Mali, pierre d’achoppement de la région, tente d’établir le lien essentiel entre sécurité et développement. La nécessaire importance à accorder au renforcement des institutions nationales est aussi en filigrane des arguments développés. This ch ...
  • September 4, 2020
    The 2011 announcement of the Grand Ethiopian Renaissance Dam’s construction came at a critical time, as Egypt was in the midst of a revolution and relations between Egypt and Ethiopia were already tense. Despite initial Egyptian threats of undertaking military action, Ethiopia pursued the construction of what has been presented as an essential part of its national and, to some extent, regional development. Tensions between the Sudan, Egypt and Ethiopia have been extremely high for t ...
  • Authors
    Sous la direction de
    September 3, 2020
    Au moment où elle fêtait le passage à 2020, l’Afrique était loin de soupçonner que l’année à laquelle elle faisait ses adieux, aurait le funeste “privilège” de porter dans ses registres d’Etat-civil, la naissance d’un virus qui allait paralyser le monde, dans la première moitié de l’année suivante. C’est sur cette Afrique de l’année pré-Covid-19 que portent les différents papiers du présent Rapport. Les uns, reflétant les espoirs, les ambitions et les projets africains et, les autre ...