Publications /
Opinion

Back
Djibouti, au centre des jeux d’influence
March 11, 2019

Indépendant depuis seulement 1977, Djibouti, jeune République de moins d'un million d'habitants, s’est transformé en un acteur régional doté d’un poids stratégique et commercial considérable.

Bordé par l’Érythrée, au Nord, par l’Ethiopie, à l’Ouest, et par la Somalie, au Sud-est, sa frontière maritime orientale jouxte la mer Rouge et le golfe d’Aden. Ainsi, situé sur le détroit de Bab el Mandeb, d’une largeur de seulement 19km, Djibouti offre un positionnement privilégié afin d’observer et de sécuriser ce quatrième plus important passage maritime pour l’approvisionnement énergétique mondial, principalement celui de la Chine. La récente expansion chinoise dans cette porte de l’Afrique, tant au niveau économique que militaire, constitue un signe annonciateur d’un nouvel ordre mondial, pouvant faire de Djibouti un point de conflit majeur dans une nouvelle course des puissances pour le continent.

Un hub militaire pour des puissances aux intérêts différents

Au cours de la dernière décennie, plusieurs menaces directes, allant de la piraterie au large des côtes Somaliennes à la guerre au Yémen, ont confirmé la centralité de ce goulot d’étranglement dans la géopolitique mondiale. Djibouti se retrouve, dès lors, pris au milieu des jeux de pouvoir internationaux et héberge, donc, plus de bases militaires étrangères que tout autre pays. Plusieurs armées aspirent à se positionner à Djibouti. Les militaires français, américains, japonais, ainsi que ceux de la Force navale européenne (EU NAVFOR) s’y trouvent déjà. Récemment, les Chinois s’y sont installés alors que les Saoudiens1 seraient en train de négocier un camp pour leurs besoins logistiques liés à la guerre au Yémen.

Seule base militaire américaine permanente dans le continent, le Camp Lemonnier abrite la force d’intervention conjointe du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM). Avec 4000 soldats déployés, le site est utilisé pour des opérations antiterroristes, notamment pour les frappes de drones dans les pays voisins, la Somalie et le Yémen. Soulignant l’importance stratégique du pays pour le Pentagone, l’ancien Secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, s’est rendu à Djibouti en avril 2017, seulement quelques mois avant l’ouverture de la première base militaire outre-mer de l’Armée populaire de libération (APL).

En raison de sa politique de « non-ingérence », la Chine peine toujours à justifier son désir d'une présence militaire à l'étranger2 . Cependant, même si la Chine continue d’éviter l’usage d’une terminologie militaire explicite pour en parler, préférant utiliser les termes « installations de soutien » ou « installations logistiques »3 , des exercices de tirs réels ont été organisés un mois, à peine, après l’ouverture de cette base d’une capacité de 10000 soldats.

Emplacement des bases militaires à Djibouti

(Source : Globalsecurity.org)

PCNS

De plus, choisissant la petite ville côtière d'Obock (carte ci-dessus) -où débuta la colonisation française en 1862-, la Chine se positionne géographiquement face aux Etats-Unis, comme pour illustrer la rivalité qui existe entre Washington et Pékin4 .

Un point d’entrée pour la Chine

La base chinoise à Djibouti pourrait être un signe avant-coureur d’autres activités à venir dans la région. En effet, les démarches chinoises s'inscrivent dans le cadre d'une politique naissante d'engagement militaire global, qui s'étend de la mer de Chine méridionale à l'Afrique orientale. L'un des principaux mécanismes permettant d'atteindre cette stratégie, connue sous le nom de « collier de perles »6 , est la mise en place d'une marine solide, permettant à la Chine de projeter sa puissance à travers le monde. Il va de soi qu’alors que la Chine poursuit sa politique d'investissements en Afrique, la sécurité de ses placements est d’une importance cruciale.

Djibouti n’est, donc, pas seulement un avant-poste militaire pour la Chine, le ‘’petit’’ Etat africain est également au cœur de l’initiative « une ceinture, une route » (One Belt, One Road) , annoncée par le président Xi Jinping en 2013. Le pays a lourdement investi, ces dernières années, dans des projets d'infrastructure à grande échelle ; le port polyvalent de Doraleh, le chemin de fer Ethiopie-Djibouti, lancé en janvier 2018, et la canalisation d’eau Ethiopie-Djibouti, tous financés par la Chine. Cette dernière a activement participé à cet effort, et s’est imposée comme un partenaire essentiel.

Les autres puissances ont du ‘rattrapage’ à faire

Le caractère transformateur des projets soutenus par la Chine dans la région, notamment à Djibouti, place les autres partenaires bien derrière Beijing dans leur stratégie en Afrique.

Il aura fallu beaucoup de temps avant que l’administration Trump reconsidère7 sa stratégie à l’égard du continent face à la Chine. L’adoption du BUILD Act, loi pour une meilleure utilisation des investissements américains, et la mise en place de l’International Development Finance Corporation (USIDFC), qui devrait être opérationnelle, fin 2019, annonce ce changement d’approche. Le pilier de la nouvelle stratégie américaine sera basé sur la promotion des relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique.

Pour la France, consciente d’avoir perdu son avantage historique avec ce seul pays francophone de la région, l’approche générale s’inscrirait dans une logique de ‘rattrapage’ 8. Cependant, si l'investissement à Djibouti est le moyen proposé pour accroître leur influence, les Chinois pourraient certainement avoir une longueur d'avance.

Néanmoins, l’endettement de Djibouti envers la Chine représente plus de 60% de la dette publique du pays. De plus, l’intérêt ravivé de certains pays du Golfe pour la Corne de l’Afrique, ainsi que la soudaine période de « détente » dans les relations intra régionales, qui érode les avantages stratégiques du port de la capitale djiboutienne, offrent une géopolitique changeante à travers laquelle Djibouti doit essayer de naviguer sans perdre le cap. Pour cela, le soutien de ses partenaires historiques est maintenant le bienvenu.

-----------

https://www.middleeastmonitor.com/20171128-djibouti-welcomes-saudi-arabia-plan-to-build-a-military-base/

2  https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/11/27/la-chine-ne-peut-s-empecher-de-meler-commerce-et-politique-en-afrique_5389342_3212.html

 http://www.xinhuanet.com/english/2017-07/13/c_136441371.htmhttp://www.chinadaily.com.cn/a/201708/02/WS59bb53d8a310d4d9ab7e24fc.html

https://www.dw.com/fr/djibouti-military-base-a-manifestation-of-chinas-global-interests/a-39659013

 https://thediplomat.com/2018/12/chinas-djibouti-base-a-one-year-update/

6  https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/chine-strategie-encerclement

7  http://www.policycenter.ma/publications/fin-de-la-r%C3%A9cr%C3%A9ation-de-washington-face-%C3%A0-p%C3%A9kin-le-retour-des-etats-unis-en-afrique

8  https://www.afd.fr/fr/strategie-djibouti-2017-2021

RELATED CONTENT

  • Authors
    Souha Majidi
    November 26, 2020
    The Trump Administration “America First” policy changed U.S. foreign policy towards the African continent. Trump opposed trade agreements with several countries, considering them to be unfavorable to the U.S., given the nature of the African market. He shifted the U.S. concern in Africa from fighting against violent extremism and terrorism to a direct competition with other great powers—China and Russia—which had already extensively implemented African strategies. He endeavored to r ...
  • Authors
    November 19, 2020
    In October 2014, Burkina Faso entered a new era when a social uprising resulted in the overthrow after 27 years of President Blaise Compaoré. The uprising was triggered by Compaoré’s attempt to amend the constitution so he could run for another term. In late 2015, Roch Marc Christian Kaboré was elected and sworn as a new president with high hopes for a new Burkina Faso. Corruption, democratic reforms, poverty, and economic development dominated President Kaboré’s inauguration speech ...
  • Authors
    Noureddine Jallal
    November 11, 2020
    L’histoire du Polisario, loin de prouver une quelconque légitimité, est en réalité un produit non discursif, plus confus, produit et délégué à une consommation interne, et à une stratégie de propagande à l’extérieur. L’organisation séparatiste qui réfute la marocanité du Sahara, ne possède que des récits épars. Des récits basés sur des entretiens oraux et des semblants de rapports de réunions, postdatés généralement, des constatations et des déclarations de mémoire des uns et des au ...
  • November 10, 2020
    The COVID-19 pandemic has been characterized by a shifting balance of power, with some analysts even predicting a new international order in the making. Emerging powers are contributing to the changing power dynamics by competing to increase the influence they have in political, economic, and security spheres. Africa is one of the key spaces where such strategic efforts have been taking place. In such a context, this paper assesses key drivers of emerging powers’ growing engagement ...
  • Authors
    November 9, 2020
    The word ‘occupation’ was used twice specifically to the Saharan Provinces in UN General Assembly resolutions in 1979 and 1980. Though the word has not been used by the General Assembly since, it has appeared in court rulings in the EU, the UK and South in a detrimental conclusion regarding Morocco’s sovereignty over the Saharan Provinces. This paper shall start with a consideration of international law in order: to differentiate occupation of a nonself- governing territory from occ ...
  • Authors
    Eugène Berg
    Pascal Chaigneau
    Jérôme Évrard
    Alain Oudot de Dainville
    Sonia Le Gouriellec
    Rodolphe Monnet
    Florent Parmentier
    Nicolas Vaujour
    October 16, 2020
    Dans ce huitième ouvrage, le Centre HEC de Géopolitique et le Policy Center for the New South présentent 13 papiers conjoints inspirés de la 8ème édition de la conférence annuelle des Dialogues Stratégiques, et enrichis par les auteurs. Lors de cette rencontre, qui a eu lieu le 17 octobre 2019, deux thèmes majeurs ont été discutés : Les défis de la navalisation et de la maritimisation du monde et l’insularité au sein de l’Union Africaine. Dans la première partie de l’ouvrage, les a ...
  • Authors
    Hajar El Alaoui
    October 5, 2020
    La pandémie de la Covid-19 a mis en exergue les limites de la « coopération internationale » et du multilatéralisme, cédant la place à une possible émergence de la coopération bilatérale, voire régionale, et à la mise en œuvre de Complexes régionaux de sécurité. La configuration actuelle du monde en fait un village global, où les Etats sont à l’image de leurs nations, plus connectés et interdépendants. Il est, certes, vrai que la mondialisation ne peut disparaître, mais peut, en rev ...
  • Authors
    Youssef El Jai
    September 15, 2020
    Avant l'ère coloniale, l'émission d'argent en Afrique de l'Ouest dépendait de la traite des esclaves. Avec l'avènement du régime colonial, les pièces d'argent ont été importées puis progressivement imposées comme outil de coercition. La trajectoire postcoloniale a été différente pour les anciennes colonies britanniques et françaises. Alors que les premières ont retrouvé leur souveraineté monétaire, les secondes ont conservé une union monétaire sous l’égide de la France. La propositi ...
  • September 11, 2020
    Discover the 4th Chapter of the Annual Report on Africa’s Geopolitics 2020 on the Egyptian & Ethiopian perspectives on the Grand Ethiopian Renaissance Dam, with Sara Mokaddem, International Relations Specialist at the Policy center, and Nihal El Mquirmi, Researcher in International ...