Publications /
Opinion

Back
Bolsonaro : l’ascension inquiétante d’un obscur capitaine
October 17, 2018

Le premier tour des élections présidentielles brésiliennes n’aura rien réglé. Les urnes ont parlé une première fois, et les électeurs sont toujours confrontés à un choix impossible. D’un côté, un candidat estampillé « extrême-droite » et ultra-favori pour remporter le scrutin au deuxième tour : Jair Bolsonaro, député fédéral effacé et ancien capitaine de l’armée, dont le discours est truffé de propositions populistes, parfois contradictoires, de saillies misogynes et homophobes, et qui promet de résoudre les problèmes du pays par l’autoritarisme et la violence – quitte à modifier la Constitution. De l’autre, la perspective du retour au pouvoir d’un parti populiste de gauche – le Parti des Travailleurs (PT) – qui reste, qu’on le veuille ou non, le principal responsable de la pire crise morale, économique et politique de l’histoire du Brésil. Un parti qui refuse de reconnaître ses errements passés et qui affiche une rage de revanche, allant jusqu’à annoncer sa volonté de convoquer une Assemblée Constituante pour se doter d’une loi constitutionnelle « sur mesure ». 

La grande majorité des Brésiliens ont ainsi été pris en otage par deux minorités extrémistes. L’utilisation massive des réseaux sociaux et des « fake news » par les militants les plus convaincus des deux bords a largement contribué à polariser la campagne. L’adversaire politique est considéré comme un ennemi absolu qu’il faut écraser. C’est le fameux « Eux contre Nous », qui a aussi été utilisé à satiété par les gouvernements du PT et où il n’y a plus d’espace pour des consensus démocratiques. Résultat : on ne vote plus « pour » quelqu’un mais « contre ». Avant le premier tour, Bolsonaro et le candidat « petiste », Fernando Haddad, avaient d’ailleurs, le plus grand taux de rejet (autour de 40% chacun).

Corruption, crise économique et criminalité

Le vote massif dont a bénéficié Jair Bolsonaro – un membre insignifiant de la Chambre des députés – tient au bilan calamiteux laissé par les gouvernements du PT et à la stratégie de la terre brûlée de l’ex-président Lula da Silva, en prison pour corruption. La multiplication des scandales de corruption impliquant la presque totalité des partis politiques – Parti des Travailleurs compris – ainsi que la mise en examen et l’incarcération de ténors politiques et d’hommes d’affaires, de droite comme de gauche, ont provoqué dans l’opinion une onde de dégoût.

Ce sentiment a été encore renforcé par les effets de la politique économique, pour le moins erratique et irresponsable, du gouvernement de Dilma Roussef qui a plongé le pays dans la pire récession de son histoire (moins 7% du PIB en deux ans et une augmentation catastrophique du chômage et de la dette publique). L’angoisse face à cette profonde crise économique s’est accompagnée d’une exaspération de la population – toutes catégories sociales confondues – devant la vague de violence criminelle urbaine : 64.000 homicides dans la seule année 2017 et 550.000 Brésiliens assassinés en 10 ans. La presque totalité de ces crimes restent impunis et aucun des gouvernements précédents – depuis la re-démocratisation du pays en 1988 – n’a essayé sérieusement de faire cesser ce carnage, dont la plupart des victimes sont des pauvres ou de la petite classe moyenne. 

La victoire du « dégagisme » 

Ce contexte explique que des dizaines de millions d’électeurs, de plus en plus désespérés, aient pu être séduits par un politicien qui promet de résoudre les problèmes par des solutions autoritaires – dont l’exécution pure et simple des délinquants et des trafiquants. Corruption généralisée, délitement économique et criminalité incontrôlée ont alimenté un puissant « dégagisme ». Les partis politiques traditionnels et une bonne part de leurs principaux leaders ont ainsi été balayés par les scrutins législatifs concomitants à l’élection présidentielle (plus de la moitié des élus à la Chambre et au Sénat sont de nouveaux venus). Du coup, Bolsonaro, parlementaire depuis près de vingt ans, a pu apparaître comme un « homme neuf » avec son discours d’ordre et contre la corruption. Signe du discrédit du PT : l’ex-capitaine est arrivé largement en tête dans les municipalités anciennement fiefs « petistes », où se concentre le gros des classes moyennes les plus modestes – la fameuse « Classe C », choyée par Lula et qui représente près de 70% des suffrages exprimés au niveau national. Quant à l’ancienne présidente destituée, Dilma Roussef, candidate au Sénat, elle a été battue à plate couture dans son Etat d’origine, le Minas Gerais. Une défaite symbolique qui s’ajoute à la perte par le PT de la moitié de son groupe parlementaire.

Lula ou la tactique de la terre brûlée 

L’ancien capitaine, devenu député, n’aurait certainement pas eu un tel succès sans la stratégie adoptée par Lula. L’ex-président, après un procès de plusieurs mois dans lequel il a bénéficié de toutes les garanties légales et de toute la batterie de possibilités d’appel accordées par la loi brésilienne, purge une peine de 12 ans de prison pour corruption. Pour tenter d’échapper à son sort en présentant sa propre candidature à la Présidence, Lula a instrumentalisé son propre parti et transformé son éventuel candidat de rechange, Fernando Haddad, en simple garçon de courses de ses décisions et orientations. Il a aussi tout fait pour empêcher toute alliance du PT avec des personnalités ou partis politiques moins radicaux, et pour asphyxier les grandes formations plus centristes (du centre-gauche au centre-droit). L’objectif était de tenter, jusqu’au bout, d’obtenir une décision de la Cour Suprême favorable à sa candidature et de se retrouver seul, au deuxième tour, face à un politicien marginal professant des idées d’extrême droite et, donc, réputé plus facile à battre. 

Le hic de cette tactique du rouleau compresseur, c’est que la Justice ne s’est pas laissée intimider par la succession de provocations de l’ex-président et de ses avocats, et a confirmé que Lula n’était légalement pas éligible. Quant à Haddad, dénué de charisme, il n’avait plus ni le temps, ni les moyens de mener campagne, pariant sur le simple transfert de la popularité électorale de son mentor. Sauf qu’en polarisant le pays autour de sa personne, Lula a encore renforcé le profond rejet d’une majorité de la population vis-à-vis de son parti et du bilan des anciens gouvernements du PT. L’ex-président et ses partisans ont clairement sous-estimé l’hostilité – et parfois même la haine – d’une importante partie de l’opinion vis-à-vis « des années PT ». Bolsonaro a ainsi pu monter en flèche dans les sondages comme la seule alternative électorale « anti-petiste ».

L’introuvable « front démocratique » anti-Bolsonaro

À une semaine du deuxième tour, et sauf immense surprise, les dés sont jetés. Jair Bolsonaro ne cesse d’augmenter dans les intentions de vote (la dernière enquête d’opinion le place à près de 60% des suffrages exprimés). Plus grave encore pour Haddad : son taux de rejet augmente et dépasse nettement celui de l’ex-capitaine. Désormais, il s’agit avant tout de gagner le maximum d’électeurs centristes encore indécis. Les deux candidats ont donc commencé à modérer leurs discours, annonçant même qu’il n’était plus question de toucher à la Constitution (une « ligne rouge » à ne pas franchir, clairement annoncée par les Forces Armées). Mieux : pour tenter de créer « un front démocratique » contre Bolsonaro et le « fascisme », Haddad ne met plus le visage de Lula sur son matériel de campagne et a abandonné les chemises rouges du parti pour des tee-shirts aux couleurs vert et jaune du Brésil. Mais, de toute évidence, cela ne suffit pas. D’autant que le PT continue de refuser toute autocritique. En même temps qu’il exige l’alignement sur son candidat et ses positions de personnalités et de forces politiques qu’il vilipendait il y a encore quelques semaines. 

Peine perdue pour l’instant. Les plus importantes personnalités politiques et morales contactées ont ainsi fait savoir qu’en dépit de leur hostilité aux idées de Bolsonaro, elles n’étaient pas prêtes à recevoir des leçons de démocratie du PT. 

En finir avec le « Eux contre Nous »

Cette « solitude » actuelle du PT vient de loin. Le parti a miné les institutions démocratiques brésiliennes par un « formidable » réseau de corruption, par des tentatives réitérées – heureusement avortées – d’établir un « contrôle social » sur la presse, les organisations de la Société Civile, la Justice et même l’idée de nommer des officiers supérieurs plus conformes à la ligne du parti. Il soutient, par ailleurs, et officiellement les régimes dictatoriaux de Cuba et du Venezuela. L’un des membres les plus éminents de la direction historique du parti, condamné pour corruption, a été jusqu’à affirmer que l’objectif principal n’était pas de « gagner les élections », mais de « prendre le pouvoir ». Un dessein qui renvoie à la tentation hégémonique qui a toujours caractérisé les gouvernements du PT. 

Reste qu’un gouvernement Bolsonaro pourrait également constituer une menace sérieuse pour la démocratie. Il n’est donc pas étonnant que des voix – et pas des moindres – se prononcent d’ores et déjà pour refonder un vaste mouvement d’opposition qui, d’un côté, accepte de reconnaître le libre vote des Brésiliens et, de l’autre, de mener son action dans le strict respect des valeurs et des institutions de la démocratie brésilienne. Déjà, le Parquet Général  de la République a annoncé qu’il s’opposerait au projet de loi phare de Bolsonaro visant à considérer comme légitime défense tout meurtre commis par un policier dans l’exercice de ses fonctions. 

Sortir de l’affrontement binaire du « Eux contre Nous », et rétablir la culture de la négociation et du compromis est devenu le programme minimum de ceux qui refusent de se laisser embrigader par l’un des deux extrêmes et entendent préparer l’avenir. Ils sont aussi confortés par les sondages qui, paradoxalement, ne cessent de confirmer l’attachement des Brésiliens aux valeurs de la démocratie.

RELATED CONTENT

  • Authors
    February 1, 2024
    Le paysage énergétique mondial est actuellement en mutation, marqué par des progrès importants en termes de transition vers des sources d'énergie renouvelables et d’accélération de l'électrification. Cette évolution est cruciale pour faire face au changement climatique et assurer un avenir énergétique durable. Elle coexiste, néanmoins, avec l'utilisation persistante des énergies fossiles dans certains secteurs. Bien que les technologies renouvelables soient dorénavant compétitives e ...
  • Authors
    Zakaria Elouaourti
    January 31, 2024
    This Paper was originally published on onlinelibrary.wiley.com This study aimed to unveil the evolving landscape of digital financial inclusion in African countries during the post-COVID-19 era. We examined factors influencing the access and usage of digital financial services and identified population segments facing increased exclusion due to the digital divide. First, by applying principal component analysis to data collected at the country level from 39 African countries in 201 ...
  • Authors
    January 31, 2024
    En octobre 2023, la Chine a organisé le 3ème forum de l'Initiative « Ceinture et Route ». Le choix de la date n’était pas anodin, étant donné qu’elle coïncidait avec la célébration du 10ème anniversaire de l'Initiative. Une initiative aux multiples composantes L’Initiative « Ceinture et Route », également connue sous l’acronyme BRI (Belt and Road Initiative), a été initialement conçue pour permettre à la Chine de renforcer ses liens commerciaux avec les Etats partenaires de son I ...
  • Authors
    Camila Crescimbeni
    January 30, 2024
    Camila Crescimbeni is a 2023 alumna of Atlantic Dialogues Emerging Leaders program. Learn more about her here. Following a fruitful and broad debate at the 2023 Atlantic Dialogues, Alec Russell, foreign editor of the Financial Times, asked a deep and globally-relevant question: Can democracy survive 2024? With 70 states having elections this year, it is a fundamental question. After some decades of continuous expansion of democracy worldwide, as shown by the V-Dem Electoral Democra ...
  • Authors
    January 30, 2024
    الحرب بطبيعتها ليست عملية حسابية. فمن حيث الاستراتيجية العسكرية، لا تعتبر عملية الجمع دائما إضافة، ولا عملية الطرح تنقيصا. فعملية الضرب لا ُتضخِّم كما أن القسمة لا ُتقلل. وإذا كانت الوسائل هي بالتأكيد ميزة في الحرب، فإن نتيجة الصراعات (النصر أو الهزيمة) لا تعتمد فقط على هذه الوسائل، ذلك ان الحرب تكشف عن صمود المجتمع وليس عن قوة الجيش فقط. فالحرب ُتظهر ارتباط القوة العسكرية بصلابة الجبهة الداخلية المرتبطة بدورها إلى حد كبير بالتماسك الاجتماعي. و ليس لهذا الأخير وحدة قياس، ف ...
  • January 30, 2024
    Cette étude est consacrée à l’Éthiopie, pays dont l’histoire remonte à la nuit des temps et où l’agriculture représente 70 % à 80 % des emplois. Nation agricole, donc, mais aussi pays au potentiel minier connu, lequel demeure sous-exploité. Depuis le début du vingt-et-unième siècle, l’Éthiopie a développé des liens privilégiés avec une multitude de puissances, émergentes notamment. Au premier chef, la Chine trône en partenaire privilégié, auquel s’ajoutent des p ...
  • January 30, 2024
    Tune in to understand the motivators of food related insecurity, the historical roots of Western responses to global food insecurity and how policies can be built to encourage food stabil ...
  • Authors
    Mohamed Bassi
    January 30, 2024
    يتفحص هذا الموجز السياسي البحث الاقتصادي في إفريقيا بناءً على معطيات من منصة ورقات بحث في الاقتصاد. ويدرس إنتاجية الباحثين المنتسبين إلى المؤسسات الإفريقية، حيث أن بعضها غزير الإنتاج، بينما يظل المعدل الملاحظ على المستوى القاري أقل من المعايير الدولية. ونتيجة لذلك، لا تزال مساهمة إفريقيا في البحوث الاقتصادية العالمية متواضعة على الرغم من التحديات الاقتصادية الكبيرة التي تواجهها القارة. ثم تتناول الورقة مواضيع البحث الغالبة من خلال تحليل شفرات دراسات اقتصادية جديدة ومجلة الأدبيات الا ...
  • Authors
    Ilham Najib
    January 29, 2024
    Morocco is positioned as a new global hub of the automotive industry in an increasingly volatile international context, with various emerging countries competing intensively to gain the best returns on openness and globalization. The Moroccan automotive industry’s recent performance shows it to be the most dynamic sector in the economy: from 2014 to 2019, value-added in the automotive sector increased by almost 70% while the overall national value-added increased by only 15%. In the ...
  • Authors
    January 26, 2024
    Artificial intelligence (AI) is the name given to the broad spectrum of technologies by which machines can perceive, interpret, learn, and act by imitating human cognitive abilities. Automation was created to better fulfill repetitive tasks, increasing productivity. AI, with its impressive rate of evolution, can produce new content: texts, images, new computational codes, possibly medical diagnoses, interpretations of data, and so on. It is no coincidence that an AI-based technolog ...