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L’identité africaine de la culture marocaine
Authors
Sous la direction de
avec la coordination de Imane Lahrich
July 6, 2023

À la simple vue du titre de cet ouvrage, nombre de nos lecteurs et lectrices s’interrogeront sur les motivations qui ont conduit le Policy Center for the New South (PCNS) à traiter d’un thème relevant des questions culturelles. N’est-il pas un think tank spécialisé dans la géoéconomie et la géopolitique du Maroc et de l’Afrique ? Que signifie cette incursion dans un champ de réflexion en apparence loin de ses domaines de prédilection ? À ce questionnement légitime nous expliquons notre audace par des raisons d’ordres intellectuels et circonstanciels.

Tout d’abord, les raisons intellectuelles : la culture est de plus en plus reconnue comme un facteur de développement. Le patrimoine d’une nation, d’une localité est considéré comme un facteur immatériel de création de la richesse. De nos jours, les industries culturelles sont devenues une source de valeur, d’emploi dans un monde ouvert aux courants des échanges des biens et des services. La mondialisation ne se réduit pas à de simples flux économiques et financiers. Elle est aussi une mondialisation humaine et culturelle traversée par des tensions entre l’homogénéisation des valeurs, des modes de vie et de consommation et la volonté de sauvegarder le patrimoine identitaire. La culture est aussi au centre du soft power dans un monde en turbulence où le hard power tend à imposer l’ordre de la puissance. La diplomatie culturelle devient, à côté de la diplomatie politique et économique, un vecteur d’influence, de dialogue entre les peuples.

Ensuite, les raisons circonstancielles : en 2020, les Nations unies ont adopté une résolution déclarant 2021 « l’Année internationale de l’économie créative au service du développement durable ». Soutenue par 81 pays, elle consacre l’intérêt pour une partie de l’économie mondiale souvent mésestimée et sous-évaluée. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) a été chargée de mettre en oeuvre cette résolution par différentes initiatives, aux côtés de l’Unesco, de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi), de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres organisations internationales ou régionales de premier ordre. Dans la foulée des organisations onusiennes, le 34e sommet de l’Union africaine (UA) s’est tenu, en 2021, sous le thème « Arts, culture et patrimoine : leviers pour construire l’Afrique que nous voulons ». Le thème est un appel lancé aux Africains pour qu’ils revisitent leurs racines, créant ainsi un terrain fertile pour réinitialiser leur façon de penser et adoptent un état d’esprit ancré sur leur personnalité propre et tourné vers l’avenir dans ce monde post-coronavirus. Il invite à créer un nouveau récit qui reflète la vision de l’Afrique culturelle telle qu’elle est inscrite dans les agendas 2030 et 2063. Le patrimoine culturel n’est-il pas un ingrédient important qui alimente la transformation socio-économique structurelle en Afrique, en tirant parti de ses forces et en saisissant toutes les opportunités ?

Ce sont donc ces raisons, intellectuelles et circonstancielles, qui ont conduit le PCNS à initier une réflexion entre artistes marocains et parties prenantes de la culture sur le thème « L’identité africaine de la culture marocaine ».

La culture marocaine est un univers très riche où nombre d’influences s’imbriquent et s’enchevêtrent. Elle est arabe, berbère, hébraïque, méditerranéenne, orientale et occidentale. Elle est aussi africaine. Le Maroc est terre de rencontre. Il a été, et reste, une nation multiculturelle. Sa trajectoire historique, les textes fondateurs de ses institutions affirment la diversité de ses appartenances. Cette diversité a évolué au fil de l’Histoire. La culture africaine du Maroc n’est donc en rien un instantané, une fulgurance, une frivolité, une représentation ni même un projet, tant les courants qui la portent sont enracinés dans la profondeur de l’histoire. Tant elle puise sa sève créative dans un imaginaire commun. Tant elle est parvenue à toucher la zone émotion du citoyen ou du dirigeant par ses multiples formes d’expression, ses oeuvres et, au final, à proposer un univers partagé.

Dans ce domaine, le Maroc peut se prévaloir de nombreuses réalisations réunissant des artistes et des professionnels de la culture africaine. Différentes manifestations témoignent de l’enracinement africain de la culture marocaine : le Festival gnaoua et musiques du monde d’Essaouira, le Festival des arts populaires de Marrakech, le Festival africain du film de Khouribga etc. La richesse de la dimension africaine de la culture marocaine va au-delà de la musique, de la danse ou d’autres productions artistiques. Elle met en avant un ensemble de valeurs fortes liées à l’identité et l’histoire du continent. L’essence de la culture n’est-t-il pas un ensemble de valeurs qui instillent le sentiment d’appartenance à une communauté, qui constitue à son tour la base de sa personnalité, de son développement futur ? À cet égard, l’aspect le plus important de la dimension africaine de notre culture est l’appartenance à une communauté de valeurs. C’est en cultivant un sentiment d’identité chez les nouvelles générations qu’elles seront prêtes à s’approprier leur histoire et embrasser la modernisation de l’intérieur.

Le Maroc, comme les autres pays du continent, s’est engagé dans un processus irréversible vers la modernité. Mais il a également fait le choix de ne pas renoncer à ses valeurs séculaires qui font la force des communautés d’appartenance et nourrissent la cohésion sociale des nations. Parmi ces valeurs, nous citerons la tolérance, la solidarité et l’altérité. Et les artistes marocains, chacun dans son domaine d’expression, expriment, à leur manière, leur attachement à ces valeurs qui font partie de notre identité, de notre culture et de notre éducation.

Dans la production de leurs oeuvres, les artistes marocains ne se sont pas enfermés dans un univers culturel choisi par l’Autre. Ils ont gardé leurs croyances, leurs cultures, voire leurs identités. Leur création s’inspire des cultures différentes, du Livre sacré, des signes, des symboles, des mythes, du vécu, de la calligraphie, du patrimoine, etc. Il n’est pas question, pour eux, de reproduire le modèle occidental, mais de créer des oeuvres originales et authentiques. D’une manière générale, l’impact de la culture africaine est présent dans les oeuvres de toutes les générations des artistes marocains.

Dans la confection de cet ouvrage, le PCNS a réuni quelques réflexions d’hommes et de femmes ressources – artistes, professionnels et chercheurs- pour recueillir leurs analyses sur l’apport de la culture marocaine au soft power culturel africain dans les différents genres de la production culturelle. La recherche est rare sur le sujet. Aussi, l’objectif de cet ouvrage est de faire découvrir, d’analyser et de documenter la dimension africaine de la culture marocaine, ses oeuvres ou ses signes méconnus du grand public. Trois niveaux d’expression de cet objectif ont été retenus :

Le premier analyse les différentes dimensions (anthropologique, économique, politique et historique) des liens et des traces de l’Afrique dans la culture nationale. Des chercheurs se sont intéressés au coeur du thème générique : qu’en est-il de la dimension africaine de la culture marocaine, ses sources, ses genres, ses passeurs ? On y retrouve des contributions de Driss Ksikes, Zaïnab Guedira ou encore Rahal Boubrik.

Le second est celui des actions infrastructurelles porteuses de cette dimension culturelle. Des espaces dédiés à la création artistique accueillent des oeuvres d’artistes africains, apportent leur appui à la création artistique en animant l’univers des échanges culturels. Des professionnels de ces espaces, tels que Ghitha Triki, Neila Tazi et Mohamed Benabid, ont accepté de partager avec nous le fruit de leur réflexion autour de la diffusion des oeuvres, des mises en relation des artistes et des liens avec le public, sans lesquels que d’oeuvres resteraient dans l’oubli.

Enfin, le troisième est consacré à des portraits d’artistes marocains ayant exprimé dans leurs oeuvres - sous une forme ou une autre- ce lien d’inspiration ou ce rapport d’influence culturelle que le Maroc a vécu dans sa personnalité africaine à un moment ou un autre de son histoire. Des critiques d’art ont voulu partager leur passion des oeuvres. Côté cinéma ou musique, nous retrouvons des portraits tels que ceux de la chanteuse Oum et de feu Noureddine Saïl, pionner du 7e art marocain. Ces portraits racontent l’apport d’artistes marocains à la création culturelle africaine et leur rencontre avec le continent.

En filigrane, on trouve une profondeur de la réflexion sur la dimension africaine de la culture marocaine, on plonge dans les strates de cette dimension à travers la vie d’artistes et d’oeuvres. In fine, on retient le message de générosité que véhicule le soft power dans les rapports entre les cultures africaines, on adhère à cet appel implicite à l’appui à une diplomatie culturelle active et influente.

Nous avons invité des artistes, des intellectuels qui ont travaillé sur la dimension africaine de la culture au Maroc ; ses fondements, ses références, son appartenance au continent. Ils nous dressent un diagnostic de cette dimension. Ils nous parlent de la créativité artistique dans notre société. Ils nous parlent de son héritage passé, du foisonnement de son actualité et des défis de son avenir.

Des institutions marocaines valorisent le patrimoine culturel africain, promouvant les artistes africains via formation et accompagnement. Elles soutiennent les laboratoires d’expressions artistiques pour rapprocher les jeunes talents dans divers genres culturels.

Cet ouvrage, réalisé grâce à la collaboration entre le comité de coordination, contributeurs et équipe d’édition, remercie tous les participants pour leur engagement. Une gratitude particulière est adressée aux chercheurs et critiques d’art pour leur soutien constant et la restitution de la richesse de la contribution des artistes marocains à la culture africaine.

L’ouvrage vise à encourager les artistes, professionnels et acteurs culturels à développer des cadres d’analyse pour rehausser la place des arts dans nos sociétés. Il appelle à des actions pour améliorer le statut des artistes et veiller à ce que les politiques publiques et les programmes de développement économique soutiennent le secteur culturel.

L’ouvrage incarne surtout une vision et une volonté qui soutiennent que les processus artistiques ouvrent des espaces pour imaginer de nouveaux champs de partenariat avec les pays du continent. Il appelle à renforcer nos échanges culturels avec l’Afrique en stimulant la créativité, en développant un cadre essentiel aux rencontres des artistes et des organisations culturelles à travers l’Afrique pour joindre leur force dans le développement de notre patrimoine commun et se frayer collectivement une place de choix dans la compétition mondiale des industries créatives et culturelles. Dans une mondialisation aseptisée, la culture, les artistes, les politiques culturelles jouent un rôle important dans la production de sens dans notre engagement pour une Afrique solidaire.

Le PCNS s’est donné entre autres missions de produire un nouveau narratif sur l’Afrique, et de renforcer l’ancrage continental du Maroc. La culture, en tant que soft power, est essentielle. L’institution valorise la contribution marocaine au patrimoine africain et souhaite le transmettre aux générations futures.

Cet ouvrage est un point de départ pour une collaboration entre les acteurs culturels, impactant le développement du secteur et l’ouverture à la culture africaine comme source d’inspiration et de diversité.

Karim El Aynaoui
Président exécutif,
Policy Center for the New South

Larabi Jaïdi
Senior Fellow,
Policy Center for the New South

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