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Les Établissements et entreprises publics au Maroc: Les autres figures de l’État
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Sous la direction de Abdallah Saaf
July 16, 2024

Disponible bientôt sur Livremoi.ma

 

Plusieurs raisons expliquent la création d’Établissements et d’entreprises publics (EEP). Aux facteurs économiques, industriels et de service public s’ajoutent des considérations idéologiques, politiques, et historiques. Quels peuvent être aujourd’hui le rôle et la place des EEP au Maroc, dans un système politique qui affirme tendre au pluralisme, dans un cadre économique marqué par le libre-échangisme fondé sur la propriété privée ? Après une période coloniale où ils ont joué le rôle d’instruments économiques de la Résidence, puis plus tard, de ressource essentielle de la doctrine économique de l’État indépendant, puis après plusieurs décennies de libéralisations et de privatisations, les EEP ont été traités comme des résidus, voire des souvenirs d’une époque révolue, où la place de l’État était plus accentuée. Ils assurent pourtant, et aujourd’hui encore, une fonction politique, économique et sociale centrale dans le pays.

Ces entreprises se caractérisent par une grande diversité de statuts juridiques, réglementaires et institutionnels. À la fin de 2019, l’ensemble se composait de 225 établissements publics, 43 sociétés à participation directe de l’État et 479 filiales et participations publiques. Quelques organismes seulement, tels que le Groupe OCP, l’ONEE, la RAM, le Groupe CDG, l’ONCF, le Groupe Al Omran et ADM, réalisent l’essentiel des performances du secteur en termes d’investissements, de chiffre d’affaires et de transferts financiers. On relève que les transferts des EEP vers l’État proviennent d’un nombre réduit d’organismes, lesquels constituent les principaux EEP investisseurs, enregistrant un crédit de TVA structurel. Quant à la majorité des établissements publics non marchands, de par la lettre et l’esprit de leurs mandats, ils n’engendrent pas de ressources propres en l’absence de rémunération de leurs prestations. Cependant, ils restent pour la plupart subventionnés par l’État. Leur endettement n’a cessé de progresser. Force est donc de constater que le domaine des EEP semble pleinement alimenté par le budget de l’État.

À l’heure actuelle, le débat public, les rapports et autres documents évaluatifs publiés sur les EEP restent centrés sur les idées et questions de la réforme du processus de création et de filialisation des EEP, de l’amélioration de leur pilotage stratégique, de leur conversion en espaces de dialogue, de renforcement de leur contractualisation, de clarification du rôle de l’État-actionnaire, d'amélioration de la reddition des comptes, des modalités de contrôle financier (le relatif recul du contrôle financier a priori et l’appui à la tendance favorisant un contrôle de gestion global a posteriori), de révision de la composition et du fonctionnement des organes de gouvernance, de normalisation du choix et de la rémunération des administrateurs et des dirigeants, de traitement spécifique des EEP relevant des collectivités territoriales, etc...

Les grandes orientations qui inspirent régulièrement l’analyse et la réflexion sur les EEP à partir de divers points de vue découlent de ce profil général de leur problématique, telle qu’esquissée dans le contexte marocain : les contributions qui suivent tentent précisément de délimiter le profil général des EEP au Maroc. À ce titre, l’étude des définitions, des caractéristiques générales, des cas spécifiques, des statuts, des typologies, de l’histoire avec ses permanences et ses mutations, reste déterminante...

Dans la littérature disponible et les argumentaires justifiant les démarches adoptées par les autorités publiques, la question de la gouvernance, de la gestion et du contrôle des EEP par l’État occupe une place de choix : l’encadrement de leur gouvernance, les changements à apporter aux formes de gestion, de contrôle (juridique, fiscal et financier) de l’État sur eux, les outils ayant évolué, les effets qu’ils produisent sur leurs stratégies productives et les politiques financières et commerciales (financement, endettement, marketing, prix, concurrence etc.)...

S’est mis en place aussi, de manière centrale, un débat sur l’activité économique des EEP, les avantages qu’ils présentent en matière de développement, les exigences en termes de coûts, de délais, de qualité, du ‘’sourcing’’ relatifs à leurs achats socialement responsables... La révision des contraintes pesant sur les entreprises publiques, qui ne sont d’ailleurs pas les mêmes que celles des entreprises privées, est très significative des préoccupations trop « économistes » des acteurs du fonctionnement de l’organisme marocain. Dans cette perspective, la loi-cadre constitue aujourd’hui une référence centrale pour la réforme.

La question de la posture de l’État propriétaire ou actionnaire dans l’activité des EEP s’impose fortement à l’investigation : quelle est l’empreinte de la propriété ou de l’actionnariat public du capital sur l’activité, l’organisation et le management de l’EEP ? La propriété et l’actionnariat publics sont-ils aptes à modifier les règles et les cadres du travail, notamment par rapport aux entreprises privées ? Parallèlement à ces préoccupations relatives aux traits saillants et aux perspectives d’amélioration de la gouvernance, cette dimension essentielle des EEP incite à s’interroger sur le degré d’influence de l’État propriétaire ou actionnaire sur l’activité de ces derniers, par rapport notamment aux élites, aux logiques d’action de l’État, aux organisations et au travail. Quelle est la part d’inspiration du marché et du secteur privé ? La promotion des achats socialement responsables des entreprises industrielles passe par leur définition avant de les faire adopter par les EEP. Le public est examiné au miroir du privé. Qu’y a-t-il de public dans un EEP ? Que reste-t-il d’ailleurs du public dans les EEP après la privatisation partielle ou plus poussée ?

Par ailleurs, dans le prolongement de ces grandes orientations de la recherche, de nombreux sujets appellent l’attention : la capacité d’orientation par l’État de l’implantation territoriale de sites de production, la problématique de l’État, de l’emploi et des relations professionnelles dans les EEP, le rôle de l’État dans la création de l’emploi direct ou indirect, la gestion de ce dernier et des relations professionnelles dans les EEP, l’impact sur l’emploi privé ou indépendant, et inversement, l‘actualité des EEP en tant que « laboratoires sociaux », la satisfaction des citoyens et des contributeurs fiscaux en général comme une priorité dans la vie à venir des EEP. Par ailleurs, il semble difficile de ne pas s’arrêter sur le rôle et la place des EEP au prisme de la question sécuritaire. Plusieurs données dignes d’attention concernant les EEP au Maroc renvoient au problème de la responsabilité environnementale...D’autres dimensions des EEP peuvent être explorées...

Mais la question principale qui revient constamment au centre de la présente recherche collective concerne la relation entre les EEP et la réforme de l’État : y a-t- il une évolution de leur positionnement par rapport aux différentes temporalités de l’action publique dans les politiques de l’État ? Surtout, y a-t-il lieu d’anticiper sur d’autres perspectives ? Quel rôle déterminant dans le développement économique et social ? Quel rôle dans le processus d’élaboration, de planification, d’exécution et d’évaluation des politiques publiques ? Quelle séparation des rôles entre politiques publiques, régulation et acteurs politiques ? Comment énoncer ces dynamiques et leurs enjeux politiques ? Quel est le modèle d’État qui se profile derrière la réforme des EEP ? Cette réforme peut-elle réellement déboucher sur une véritable réforme de l’État ? Comment, en effet, définir aujourd’hui la place, le rôle et le sens des EEP dans le dispositif institutionnel global de l’État ?

Le sujet des EEP semble peu attrayant pour la recherche en sciences sociales, comme en témoigne l’indigence de la littérature disponible sur la question. La vie courante de l’État et de la société exige une vision plus fouillée et plus relevée ainsi qu’une démarche globale, qui pour le moment font défaut, au-delà des aspects juridiques et économiques de circonstance. L’idée d’une recherche et d’une réflexion collectives sur les EEP a pris corps lors d’une discussion avec Monsieur Mostafa Terrab, le Président-Directeur Général du Groupe OCP, durant laquelle il nous a vivement encouragés à approfondir la problématique marocaine des EEP et d’en explorer les perspectives aux fins du développement. Cet ouvrage ne prétend pas répondre à toutes les interrogations ni à tous les besoins. Mais il entend constituer une plateforme permettant le développement d’analyses plus approfondies des EEP dans la phase à venir.

Abdallah Saaf, Senior Fellow, Policy Center for the New South

Karim El Aynaoui, Président Exécutif, Policy Center for the New South

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