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Policy Brief
Le 28 mai 2025, la CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) soufflera sa 50ème bougie, occasion propice pour revenir sur les réalisations et les échecs de cette Organisation régionale. Si l’on s’accorde à reconnaitre la CEDEAO comme une structure d’intégration réussie en Afrique, il n’en demeure pas moins que lui sont reprochés quelques défaillances et échecs.
Introduction
Le présent papier conçoit la création, en 2014, du G5 Sahel qui comptait trois États de la CEDEAO (Mali, Niger et Burkina Faso), et la naissance de l’Alliance des États du Sahel, qui se transforme en Confédération en annonçant parallèlement sa sortie de l’Organisation ouest-africaine, comme l’annonce d’une menace qui entame la cohésion et l’entente au sein de cette Communauté économique régionale (CER).
L’Organisation, qui célèbre cette année son cinquantenaire, semble, en dépit de certains succès socio-économiques, peiner à résoudre les questions politiques et sécuritaires, soit en raison de décisions mal interprétées par certains des membres, soit du fait de passivité en des moments où certains membres s’attendaient à plus de réaction.
La CEDEAO : objectifs, réalisation et défis
1- Création et objectifs initiaux
La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest a été créée le 28 mai 1975 par le traité de Lagos.[1] Elle regroupe 15 États membres, à savoir : le Bénin, le Burkina Faso, le Cabo-Verde, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo. Le projet avait pour but de promouvoir la coopération et l’intégration économique entre les pays ouest-africains pour créer un bloc économique unifié capable de favoriser le développement et permettre aux États de cette zone de mieux s’adapter aux conjonctures internationales.
De par son extrait d’acte de naissance, la CEDEAO poursuit plusieurs objectifs clés dont notamment :
- la promotion du commerce intrarégional par l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires afin de renforcer le commerce entre les États membres ;
- l’instauration d’un régime de libre circulation des personnes, des biens et des capitaux pour faciliter la mobilité économique et sociale au sein de la région ;
- l’harmonisation des politiques économiques dans le but d’encourager les réformes économiques pour réduire les disparités entre les États membres ;
- la paix et la sécurité par la mise en place de mécanismes de prévention et de gestion des conflits ;
- le développement infrastructurel par l’investissement dans les infrastructures transfrontalières, telles que les routes, les chemins de fer et les réseaux énergétiques.
2- Réalisations et niveau d’intégration atteint
Depuis sa création, la CEDEAO s’est attelée à assurer les objectifs pour lesquels elle a été créée. Elle a, dans ce sens, réalisé plusieurs avancées dans le processus d'intégration :
- la CEDEAO a établi une union douanière : la mise en place du Tarif Extérieur Commun (TEC) en 2015 a constitué une étape majeure pour l’intégration économique. Ce système visait à harmoniser les droits de douane sur les importations provenant de pays extérieurs à la région ;
- au niveau de la libre circulation : le Protocole sur la libre circulation des personnes a permis l’établissement d’un passeport CEDEAO, facilitant les voyages sans visa entre les pays membres ;
- au niveau de l’union monétaire : la CEDEAO a toujours nourri l’ambition d’une monnaie unique régionale (l'éco), mais la mise en œuvre d’un tel projet est retardée par des divergences économiques et politiques entre les pays membres ;
- institutions régionales : la CEDEAO dispose d’organes et d’institutions tels que le Parlement, la Cour de Justice et la Commission, qui jouent des rôles clés dans l’intégration.
3- Limites enregistrées et défis confrontés
En dépit de ces réalisations, la CEDEAO fait face à plusieurs défis dont principalement :
- les conflits politiques et sécuritaires : les coups d’État récents au Mali, en Guinée et au Burkina Faso ont fragilisé la stabilité de la région. Les menaces terroristes, notamment dans la zone du Sahel, demeurent un obstacle majeur ;
- l’hétérogénéité économique : les disparités entre les États membres, en termes de PIB, de taux de croissance et de niveaux de développement, ralentissent l’harmonisation des politiques ;
- les retards dans certains projets d'intégration, dont celui de la monnaie unique qui reste un projet non réalisé à cause de divergences sur les critères de convergence macroéconomique ;
- les corridors commerciaux inefficaces : les infrastructures de transport et les pratiques administratives, tels que les contrôles aux frontières, continuent d'entraver le commerce intrarégional ;
- la dépendance de puissances externes : les États membres dépendent fortement de l’aide extérieure et des exportations de matières premières, ce qui limite l’autonomie de la région.
La CEDEAO, qui reste un acteur central de l’intégration économique en Afrique de l’Ouest, a certes réalisé des progrès significatifs, notamment dans les domaines de la libre circulation et de l’union douanière. Elle reste cependant freinée dans son élan par de nombreux défis qui subsistent. De plus, la Communauté, dont la nature est économique, s’est vue obligée d’élargir certaines de ses attributions pour se pencher sur des problématiques politiques et sécuritaires. C’est surtout dans ce dernier domaine que la CEDEAO, critiquée pour ses ingérences dans des affaires des pays membres et, surtout, pour y appliquer des mesures qui ne sont pas les mêmes pour tous.
Les deux poids deux mesures dans les interventions militaires et sanctions économiques contre des pays membres
La CEDEAO a joué un rôle mitigé dans la gestion des crises politiques et des conflits armés en Afrique de l’Ouest. Bien que son mandat principal soit d’ordre économique, l’Organisation est souvent intervenue militairement ou prononcé des sanctions pour tenter de rétablir la stabilité dans la région. C’est dans ce sens qu’elle est intervenue à plusieurs reprises dans des crises internes des pays membres.
1- Des interventions militaires directes
- Guerre civile au Libéria (1990–1997, puis 2003)
En 1989, une guerre civile éclate au Libéria. La crise débute avec l’insurrection de Charles Taylor contre le président Samuel Doe. Le conflit s’intensifie rapidement, impliquant plusieurs factions armées et entraînant une crise politique, sécuritaire et humanitaire majeure.
En 1990, la CEDEAO prend la décision d’intervenir et déploie l’ECOMOG (Economic Community of West African States Monitoring Group) pour rétablir la paix. Cette mission, qui fut marquée par des affrontements violents, arrive à mettre fin au conflit en 1997. En 2003, une seconde intervention a lieu pour stabiliser le pays après le départ de Charles Taylor.
- Guerre civile en Sierra Leone (1997–1999)
En 1997, en Sierra Léone, un coup d’État militaire renverse le gouvernement élu d’Ahmed Tejan Kabbah. Une junte militaire s’allie au Front révolutionnaire uni (RUF), un groupe rebelle responsable de violences massives.
La CEDEAO décide, encore une fois, d’intervenir militairement et confie cette mission à l’ECOMOG en 1998 pour déloger la junte militaire et rétablir Tejan Kabbah au pouvoir. Cette intervention met rapidement fin aux hostilités principales, bien que des poches de résistance subsistent jusqu'en 1999.
- Conflit en Guinée-Bissau (1998–1999)
Une mutinerie militaire dirigée par le général Ansumane Mané contre le président João Bernardo Vieira déclenche une guerre civile en Guinée Bissau.
La CEDEAO envoie des troupes de l’ECOMOG pour surveiller le cessez-le-feu établi et appuyer les négociations de paix. La mission n’atteint pas ses objectif et ses résultats sont limités, d’abord en raison de contraintes logistiques et aussi du fait de la complexité des rivalités internes.
- Crise en Gambie (2017)
Suite aux élections présidentielles de 2016, le président sortant Yahya Jammeh qui avait dans un premier temps accepté sa défaite, se rétracte et refuse de céder le pouvoir à Adama Barrow, vainqueur.
La CEDEAO lance une opération militaire, composée principalement de troupes sénégalaises (ECOMIG) pour contraindre Yahya Jammeh à quitter le pouvoir. Cette intervention, combinée à une pression diplomatique intense, permet à Adama Barrow de prendre ses fonctions sans effusion de sang.
2- Un soutien à des interventions militaires étrangères
- Crise Ivoirienne (2002–2011)
En 2002, une tentative de coup d’État avorté plonge la Côte d’Ivoire dans une guerre civile, divisant le pays entre le nord contrôlé par les rebelles et un sud resté sous autorité gouvernementale.
La CEDEAO intervient en soutenant un cessez-le-feu et en facilitant des négociations. Elle associe ses efforts à ceux de l’Union africaine (UA) et l’ONU pour maintenir la paix. Après la crise postélectorale de 2010–2011, la CEDEAO décide alors de soutenir l’intervention française qui aboutit à l’arrestation de Gbagbo et permet à Alassane Ouattara d’assumer la présidence.
3- Des sanctions économiques et menaces d’intervention militaire
- Crises au Mali (2020–2023)
Deux coups d’État militaires en 2020 et 2021 font suite à des manifestations populaires contre le pouvoir du président IBK et la présence de troupes françaises censées appuyer le pays dans sa lutte contre le terrorisme sans pour autant enregistrer de résultats tangibles.
Bien qu’aucune intervention militaire directe n’ait eu lieu, la CEDEAO impose des sanctions économiques et diplomatiques pour pousser à un retour à l’ordre constitutionnel.
- Coup d'État au Burkina Faso (2022)
En janvier 2022, le président Roch Marc Christian Kaboré est renversé par un coup d'État mené par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. En septembre 2022, ce dernier est à son tour évincé par le capitaine Ibrahim Traoré.
La CEDEAO a immédiatement condamné les deux coups d'État, dénonçant une violation de l'ordre constitutionnel. Des délégations ont été envoyées pour dialoguer avec les nouvelles autorités militaires et négocier un retour à l'ordre constitutionnel. La CEDEAO a, dans ce cas, choisi de privilégier la diplomatie et d'éviter des sanctions lourdes, en raison de la crise sécuritaire et humanitaire.
- Coup d’État au Niger (2023)
En juillet 2023, des militaires renversent le président élu Mohamed Bazoum. La CEDEAO considère cet événement comme une menace pour la démocratie dans la région. Elle menace, alors, d’intervenir militairement pour rétablir l’ordre constitutionnel. Bien qu’aucune intervention armée n’ait été décidée, la pression économique et diplomatique reste forte.
Les interventions de la CEDEAO, bien que justifiées par la nécessité de maintenir la stabilité et de préserver la démocratie, soulèvent des questions sur les limites du mandat de l’Organisation. Certaines critiques soulignent que ses actions peuvent être influencées par des intérêts géopolitiques, notamment ceux des États membres dominants. Il est également reproché à la CEDEAO de ne pas réagir à ce qui est communément appelé en Afrique « Des coups d’État constitutionnels’’ »qui consistent en la manipulation des constitutions pour permettre à certains chefs d’État de la région de se maintenir au pouvoir.
De plus, et concernant les interventions militaires, il est reproché à la CEDEAO de se précipiter pour intervenir dans des pays ayant connu des coups-d ’État et de demeurer, par contre, passive devant les menées terroristes et jihadistes qui ont déstabilisé les pays du Sahel.
Il lui est même reproché de servir des intérêts étrangers en rappelant son soutien à l’intervention française en Côte d’Ivoire.
Création de l’Alliance des États du Sahel : quels impacts sur la CEDEAO ?
À la suite du coup d'État du 26 juillet 2023 au Niger, Niamey s’associe avec le Mali et le Burkina Faso pour signer la charte du Liptako-Gourma et former l'Alliance des États du Sahel (AES). La nouvelle alliance née le 16 septembre 2023 se veut être un pacte de défense mutuelle motivé par les menaces d’intervention militaire lancées par la CEDEAO contre les militaires qui ont renversé le président Bazoum au Niger.
L’Alliance se transforme en Confédération le 6 juillet 2024 et confirme sa volonté de quitter la CEDEAO, un fait qui devient effectif à partir du 28 janvier 2025.[2] La Communauté économique Régionale des États d’Afrique de l’Ouest ne comptera à partir de cette date que 12 membres (voir cartes comparées ci-dessous).
1- La CEDEAO perd en volume, principalement en termes de superficie
Les cartes comparées ci-dessus montrent la réduction drastique de la superficie de la CEDEAO après la sortie des trois pays de la Confédération des États du Sahel (CES). En effet, la CEDEAO perd 54 % de sa superficie d’avant janvier 2025, soit 2 781 000 km.2 La Communauté ne comptera plus que 2 300 000 km.2
Avec le départ des trois pays de la CES, la CEDEAO perd également 7 % de son PIB, soit quelques
53 milliards de dollars.
En termes de population, la CEDEAO sera diminuée d’environ 60 000 000 d’habitants.
Ces pertes ne paraissent pas constituer un grand impact macroéconomique majeur sur la CEDEAO comme ensemble, mais l’effet sur les populations frontalières des États limitrophes du Mali, du Burkina Faso et du Niger sera important en raison de l’interdépendance, au niveau informel, entre les populations des deux côtés. La limitation, voire l’interdiction, de la libre circulation des personnes touchera de plein fouet les marchés frontaliers qui assuraient une certaine survivance aux habitants des zones frontalières.
2- La CES pourrait entrainer de nouvelles sorties de la CEDEAO
Interrogé sur la relation de son pays avec la Confédération des États du Sahel, le ministre togolais des Affaires étrangères, de la Coopération et de l'Intégration africaine, Robert Dussey a répondu[3] : « Pour moi, ce n'est pas impossible, mais c'est la décision du président de la République d'abord et c'est la décision également du Parlement togolais. Nous avons des institutions togolaises, nous avons la présidence de la République, nous allons vers la Ve République. Si le Parlement décide que le Togo doit rejoindre les pays de l'AES, pourquoi le Togo ne le ferait pas ? Je vais vous surprendre : demandez à la population togolaise si le Togo veut rentrer dans l'AES et vous verrez leur réponse. Ils vous diront oui… ».
La position du Ghana laisse également paraitre un changement de position vis-à-vis des pays de la Confédération des États du Sahel. Le Benin n’est pas étanche à une forme de collaboration étroite avec la CES.
Il semble, en effet, que les États atlantiques de l’Afrique de l’Ouest ayant des frontières avec la Confédération et qui sont menacés par l’extension du terrorisme dans la région, restent ouverts à la coopération, voire l’intégration avec la CES, surtout si les États de cette dernière remportent des victoires notables sur les extrémistes armés.
Conclusion
Au moment où la CEDEAO célèbre le cinquantième anniversaire de sa création et pourrait s’enorgueillir de ses réalisations qui ne sont pas insignifiantes ; l’Organisation régionale est rattrapée par les effets de quelques-unes de décisions mal calculées vis-à-vis de certains de ses membres, notamment autour de faits sécuritaires :
- la CEDEAO avait choisi, suite à des évènements qu’elle avait considérés comme enfreignant ses règlements, d’agir militairement ou de menacer de le faire. Ces interventions ont surtout été dirigées contre les moins puissants de la région tout en épargnant d’autres États où des dirigeants ont manipulé leurs constitutions pour pérenniser leur pouvoir ;
- la CEDEAO dont certains États souffraient du terrorisme, avait choisi de rester en dehors de la lutte contre ce fléau et ne pas tenter d’actions militaires contre les extrémistes armés. Pourtant, la CEDEAO avait facilement déployé ses militaires contre des membres de la Communauté.
Plusieurs membres, notamment ceux ayant choisi de quitter la Communauté, reprochent à celle-ci de servir les agendas de puissances étrangères ayant des visées dans la région et qui utilisent certaines puissances de la CEDEAO comme Proxys.
La naissance, dans ce climat, de la Confédération des États du Sahel risque de déclencher un mouvement de retrait de l’Organisation qui, non seulement fragmenterait la CEDEAO, mais risque de créer d’autres structures d’intégration qui pourraient mener à sa dislocation.
[1] Le traité de Lagos a été initialement signé par 16 pays. Un Traité révisé a été signé à Cotonou, en République du Bénin, en juillet 1993 par les chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO composée désormais de quinze (15) États membres après le départ de la Mauritanie.
[2] À l'issue du sommet ordinaire tenu, en décembre 2024, à Abuja, la capitale du Nigéria, les chefs d'État et de gouvernement de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest) ont ratifié le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger du bloc économique.
[3] L’interview a été réalisée par RFI le 17 janvier 2025.