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Opinion
La dynamique qui anime aujourd’hui le conflit israélo-palestinien, notamment la guerre que mènent à Gaza les troupes du Tsahal et les combattants du Hamas, appuyés par le Jihad islamique et les autres factions armées palestiniennes, laisse espérer un accord entre les parties prenantes pour mettre fin à une guerre qui a généré des dizaines de milliers de morts et de blessés. Espoirs nourris par le dernier discours (31 mai) du président américain qui détaille, on ne peut plus clair, les étapes d’un plan de paix auquel Joe Biden voudrait voir Israël et Hamas adhérer sans réserve.
La question reste cependant posée de savoir si les pressions américaines, après celles de la communauté internationale, arriveraient à rassembler les deux belligérants autour d’une table de négociation qui finaliserait l’accord et mettrait fin à la guerre :
- d’une part, Israël continue à entretenir le brouillard en déclarant qu’elle a élargi les marges de ses négociateurs pour parvenir à un accord, tout en maintenant ses positions initiales consistant en son refus de tout cessez-le-feu préalable à l’affaiblissement des capacités militaires et de gouvernement du Hamas de manière que cette organisation ne puisse à l’avenir détenir aucun rôle dans l’autorité qui gouvernera Gaza après la guerre et ;
- d’autre part, Hamas, qui dit considérer positivement les clauses du discours du président américain, affirme qu’il ne saurait être question de son exclusion d’un quelconque gouvernement à Gaza après la guerre, et qu’aucun accord ne prévoyant pas un cessez-le-feu total et définitif assorti de l’évacuation de toutes les forces israéliennes présentes dans la bande de Gaza, ne pourrait être accepté par l’organisation.
L’espoir reste donc altéré par le doute que suggèrent les postures des deux protagonistes qui prennent leur temps pour manœuvrer au grand dam des populations palestiniennes et israéliennes qui subissent les affres de la guerre.
Où allons-nous donc dans cette guerre ? Se prolongerait-elle sans fin ? Ou cesserait-elle, comme le veut le président américain et une large partie de la communauté internationale ?
Il est une analyse qui laisse penser que les deux parties ne tarderont pas à trouver la voie vers un accord qui leur permettrait, chacun de son côté, de proclamer la victoire ; surtout qu’un cessez-le-feu qui autorise le retour au statu quo d’avant le 7 octobre semble être une solution dont les deux parties tireraient profit. Solution favorable, également, au président Joe Biden qui, en mettant fin à la guerre, marquerait des points supplémentaires dans sa campagne électorale.
Biden sauverait l’accusé Netanyahou et gagnerait un argument de campagne
Le président Biden, donné perdant par tous les sondages d’opinion face à Donald Trump, aurait fort besoin d’un succès qui lui permettrait de redorer son blason face à l’électorat américain. Cependant, la grande réussite que serait la cessation de la guerre de Gaza et dont aurait besoin le président Biden ne saurait être obtenue sans l’accord de Netanyahou, un premier ministre qui risque, non seulement d’être trainé devant les tribunaux israéliens, mais certainement jugé et emprisonné. La seule manière d’obtenir sa collaboration est de l’aider à être lavé de tout soupçon, voire à conserver son poste :
- très influents dans la politique intérieure israélienne, les Américains pourraient intervenir, dans les coulisses, auprès des protagonistes de Netanyahou et notamment ceux qui encouragent la fin de la guerre, afin d’obtenir le blanchiment de l’ardoise judiciaire de Netanyahou, au cas où celui-ci ne s’oppose pas et n’entrave pas un accord de cessez-le-feu et d’échange de prisonniers avec le Hamas ;
- Netanyahou pourrait même être aidé à aller jusqu’à la fin de son mandat, même s’il est lâché par son extrême droite. Le chef de l’opposition israélienne Yair Lapide, avait même déclaré le 1er juin -peut-être en accord avec l’administration Biden- qu’il offrirait au premier ministre israélien un « filet de sécurité » au cas où il est menacé, par la droite extrême, de dissolution de l’actuel majorité. Reste seulement à savoir si Netanyahou fait confiance à Yair lapide, sans une garantie américaine.
Si l’accord de cessation des hostilités est conclu, le président Biden ferait figure du grand président qui aura géré un conflit des plus complexes et qui aura évité à la région une escalade dangereuse. Il n’aura ainsi pas grand mal à rattraper le retard sur le candidat Trump entamé par sa condamnation pour quelques 34 chefs d’accusation par le tribunal de New York. Un tel gain justifierait le plein engagement du président Biden qui, dans son discours du 30 mai, avait semblé fortement résolu à faire parvenir Israël et le Hamas à un accord.
Le Hamas obtient une image de victoire qui lui permet de conserver le pouvoir à Gaza et d’échapper à une mainmise de l’autorité palestinienne.
En dépit des dommages subis par la population de Gaza, le Hamas pourrait proclamer la victoire dans la guerre contre un ennemi qui n’aurait pas réussi à l’éradiquer. L’image des combattants d’Al Qassam, des brigades Al Quds et autres factions armées tirant en l’air et clamant la victoire contre une grande armée, voilerait et relèguerait au second plan le lourd prix payé par la population de Gaza (36 000 morts et 80 000 blessés) pour une victoire à la Pyrrhus du Hamas.
Le Hamas pourrait s’enorgueillir d’avoir empêché l’armée israélienne d’atteindre les objectifs stratégiques définis par Netanyahou le 8 octobre 2023, consistant en :
- la libération par la pression militaire des otages, détenus à Gaza par les différentes factions armées de la résistance ;
- l’éradication du Hamas ou, du moins, l’affaiblissement de ses capacités militaires et administratives dans la bande de Gaza ;
- l’instauration de la sécurité pour les agglomérations de l’enveloppe entourant Gaza en éradiquant les capacités balistiques du Hamas.
Avec une telle image, l’autorité palestinienne ne pourrait plus prétendre pouvoir revenir à la bande de Gaza et Hamas échapperait à la mainmise de ses frères ennemis de l’OLP.
À qui profite un cessez-le-feu sans paix ?
Si Netanyahou est assuré de terminer son mandat et d’échapper à la justice de son pays et que le Hamas est assuré de garder sa domination sur Gaza, le grand perdant ne peut être que la cause palestinienne. Hamas est opposée à la solution des deux États, tout comme Netanyahou. Chacun d’entre eux prétend que sa mère-patrie est toute la Palestine « de la mer au fleuve », et que l’autre doit disparaitre. En attendant, ils s’accommodent de la situation de ni guerre ni paix qui permet au Hamas de s’accaparer de Gaza et d’avoir un espace à gouverner en dehors de toute autre autorité palestinienne et, à Israël, de toujours évoquer le déchirement des Palestiniens pour n'adhérer à aucune initiative de solution à deux États.
Le président Biden aura gagné d’avoir un argument de campagne qui lui permet de combler l’écart qui le sépare de son antagoniste, amoindri par les affaires judicaires.
Si l’éclatement de la guerre avait nourri l’espoir de voir les extrémismes palestinien et israélien disparaitre pour laisser place à des gouvernements plus raisonnables qui adhérent à la solution des deux États, le projet de cessez-le-feu annoncé par le président Biden semble leur permettre de survivre et de prolonger l’état de ni guerre ni paix dont Netanyahou et Hamas s’accommodent en attendant la réalisation de leur rêve ultime : régner sur toute la Palestine.
Netanyahou et Hamas sont certes ennemis, mais ils se rencontrent dans leur opposition à une solution à deux États. Ils peuvent s’entendre sur un cessez-le-feu sans paix et un retour à la situation pré-sept octobre, qui ne peut léser que la solution juste et véritable, celle des deux États.
Entre la période des négociations (3 à 6 mois) et la longue période de reconstruction (3 à 5 ans), d’autres événements viendront faire oublier la question de base : celle de la création d’un État palestinien. Lorsque les armes se tairont, rien ne presserait pour une solution finale ; il n’y aurait plus le feu au lac.