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En présentant ces textes, publiés dans les plateformes du Policy Center for the New South, pour partie, et dans divers supports, pour l’autre, on découvre à leur lecture des sujets absents des sciences sociales nationales. Le premier défi que doit surmonter le chercheur marocain qui s’intéresse aux affaires militaires et de sécurité (AMS) est la sous-conceptualisation du domaine en raison du désintérêt des universités et du conformisme institutionnel.
La méfiance civilo-militaire a construit un mur psychologique, un état d’esprit conservateur des temps révolus, alors même que la vision et les ambitions globales du Maroc appellent à un sursaut vitaliste à différentes échelles. Sur les plans académique et scientifique, objet de ce recueil, les tendances lourdes qui émergent des conjonctures, nationale et mondiale, ainsi que leurs implications sur la sécurité nationale rendent nécessaire le renforcement, la valorisation et la stimulation des interactions entre la recherche fondamentale en sciences sociales civiles et les AMS.
La sécurité nationale est aujourd’hui conditionnée par les demandes sociales en termes de sécurité humaine et les besoins stratégiques de l’État. L’identification de cette chaîne des besoins et demandes permet de dégager un ensemble ordonné de questions auxquelles, nous semble-t-il, la communauté du savoir civilo- militaire devrait répondre de façon collective et inclusive : comment préserver la maîtrise de son propre destin ? Quelle marge de manœuvre stratégique le Maroc peut-il préserver dans la conjoncture actuelle et dans les temps à venir ? Comment le Maroc se prépare-t-il à l’évolution irréversible et totale de la guerre et à la « révolution dans les affaires militaires » ? Comment se prémunir contre une surprise stratégique classique (offensive militaire), asymétrique (terrorisme) ou diplomatique (démonstration de force) ? Quels modèles de formation pour les militaires?
Ces questions sont d’autant plus cruciales que les lignes directrices de la dynamique mondiale sont difficilement lisibles. Nous avons donc besoin de renforcer nos capacités de connaissance et d’anticipation. À ce titre, quels outils de réflexion stratégique pour conseiller les politiques publiques de sécurité et de défense et pour améliorer les capacités d’influence nationale sur le débat mondial ? Cette dynamique qui doit regrouper les think tank, les universités et le monde militaire ne peut pas être considérée pour autant comme productrice du discours officiel, car elle ne s’exprime que dans le champ des idées. En
tant que telle, la pensée relève-t-elle de la communauté du savoir alors que la doctrine demeure le domaine réservé de l’État. Seule la volonté politique peut créer les conditions nécessaires pour que la réflexion et l’action se complètent et se renforcent, et sans doute autrement, car l’approche nationale d’aujourd’hui aurait besoin d’être adaptée à l’évolution de l’environnement international.
La structuration intellectuelle des études militaires et de sécurité passe également par la généralisation de leur enseignement dans les universités marocaines et à travers l’ouverture sur des axes prioritaires : sociologie militaire, économie de la défense, industrie de défense, finances publiques de la défense, gestion des ressources humaines, psychologie militaire, inter-culturalité, politiques publiques de la défense, etc.
Cette réalité paradoxale ne nous a jamais empêché, pour autant, de faire des constats à partir desquels nous avons problématisé davantage certains aspects de la défense dans une dizaine de publications, reproduites de manière pédagogique et cohérente dans ce livre. Trois axes ont particulièrement attiré notre attention tout au long de nos recherches. D’abord, penser la politique de défense du Maroc, c’est en effet penser le processus d’adaptation des Forces armées royales (FAR) à la géopolitique ambiante, aux risques et menaces et aux besoins de réforme. C’est penser aussi aux constantes stratégiques, si bien ancrées dans la conscience collective qu’elles occupent une place référentielle dans le discours et la pratique militaires. C’est tirer les leçons de la contribution des FAR à la stratégie nationale face à la COVID-19, aux actions humanitaires et aux Opérations de maintien de la paix (OMP). C’est penser la politique de défense à la lumière du principe fondamental de l’autonomie stratégique (Chapitre I). Penser la politique de défense du Maroc, c’est soutenir que l’innovation technologique et la préparation aux nouvelles menaces en constituent le socle technique et tactique. L’histoire militaire mondiale moderne révèle que si la guerre froide a façonné la stratégie et l’industrie militaires, et que les attentats du 11 septembre 2001 ont démontré le poids des menaces asymétriques et hybrides, la crise sanitaire de la COVID-19 a, quant à elle, recentré les stratégies de défense et de sécurité, sinon sur l’emploi probable des armes biologiques, du moins sur les aspects liés à la préservation de la santé publique, à la biosécurité, la biodéfense. Dans le même sens, la technologie d’armement constitue un bouleversement, dès lors qu’elle transforme le champ de bataille et définit le périmètre de la guerre future (Chapitre II). Penser la politique de défense, c’est se demander comment le Maroc compte-t-il installer son industrie de défense ? La loi n° 10- 20, relative à l'industrie de la défense, et son décret d’application visent certes la mise en place des fondements solides pour une industrie de défense marocaine pérenne, mais l’absence d’un véritable débat sur le modèle économique adéquat, dans le prolongement des efforts d’émergence industrielle, ralentit le processus d’implémentation (Chapitre III).
Ces esquisses stratégiques exposent des réflexions sur certains éléments fondamentaux et propriétés essentielles des questions militaires et de défense au Maroc. Notre souhait est qu’en filigrane à cette publication se dessine la nécessité d’une communauté de chercheurs civio-militaires, car sans mutualisation des efforts à partir de nos espaces de référence national, régional et africain nous serons condamnés aux suivismes paradigmatiques et conceptuels dominants. Notre devoir est de veiller également à ce que la « relève stratégique » se porte bien en augmentant les effectifs des jeunes chercheurs et en valorisant leurs compétences.
Pour favoriser l’émergence des études stratégiques au Maroc dans une perspective civilo-militaire, il faut s’inspirer des expériences internationales et valoriser l’existant. C’est-à-dire, faire travailler ensemble les acteurs de recherche des FAR, des think tank et des universités. C’est aussi offrir un cadre idoine à une nouvelle génération de chercheurs, capables de créer, par la qualité de leur compétence, un véritable écosystème marocain.