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Opinion
Système urbain complexe, la ville cristallise toutes les attentes d’ordre social, économique et politique. La crise sanitaire du Covid-19 vient nous rappeler, encore une fois, l’importance de concevoir des villes inclusives, durables et résilientes. Lieux de concentration humaine, les villes qu’elles soient mégapoles Tokyo (42 millions), New York (23 millions), Pékin (21 millions), Paris (13 millions), métropolitaines (Casablanca 3.5 millions) ou encore moyennes et petites, sont vulnérables aux épidémies. Toutefois, les villes sont aussi sources du génie urbain. Le système d’assainissement moderne, tel qu’il fut développé par l’ingénieur Britannique Joseph Bazalgette, n’aurait peut-être pas pu voir le jour sans la pandémie du Choléra qu’a connue Londres en 1853.
Dans un monde globalisé, le Coronavirus a mis à rude épreuve les systèmes de santé, d’éducation, de production et d’approvisionnement des pays, aussi bien du Nord que du Sud. Avec plus de 3 milliards de personnes confinées et des centaines de milliers de personnes emportées par le virus, les villes sont en première ligne face à cette crise sanitaire. Si les impacts sur les villes sont pluriels (vulnérabilité sociale et sanitaire, effondrement économique, qualité de vie), il importe, toutefois, de souligner que les réponses des Etats et des villes à cette crise sont multidimensionnelles dans l’attente d’une relance au sortir de la crise sanitaire.
La résilience des villes mise à rude épreuve
L’impact du Covid-19 sur les villes est d’ordre sanitaire, économique, social et financier. Dans ce contexte, le système de santé a subi une pression au point de mettre ses capacités en péril. Face à cela, les pays ont eu recours à d’autres alternatives pour relever ce défi de taille: transferts des malades vers des pays voisins (France), renforcement du système de la santé publique et soutien de la médecine militaire (Maroc), construction d’hôpital mobile (Chine) ou sollicitation de médecins étrangers (Italie).
Par ailleurs, le système économique a été frappé par l’effondrement des demandes intérieures et extérieures. Dès lors, toutes les économies ont subi des contractions jamais enregistrées depuis des décennies, avec des millions de travailleurs contraints au chômage dont souffre davantage le secteur informel, source de revenus pour des millions de personnes. Avec une économie locale au ralenti, la question sociale devient préoccupante sur plus d’un registre (emploi, personnes fragiles, qualité de vie, engagements financiers, etc.).
Sur le plan financier, les villes verront leurs recettes fiscales en baisse pour l’année en cours. L’ONU-Habitat estime cette contraction entre 12 et 15%. Ce qui ne manquera pas d’impacter le financement des programmes de développement urbain (infrastructures, équipements, transport urbain, logement social, lutte contre les bidonvilles, etc.).
Des réponses plurielles à une crise exceptionnelle
De par les incertitudes et la complexité qu’elle a générées, la pandémie a ébranlé les plus solides des politiques et gestionnaires des villes. Face à cette crise, les réponses des gouvernements ont été d’ordres sanitaire, économique et social. Ainsi, le renforcement de l’offre sanitaire, le soutien de l’économie et l’aide directe aux personnes ayant perdu leurs emplois et à la population en situation précaire, constituent les principales décisions, et non des moindres, pour infléchir les effets dévastateurs de cette crise plurielle.
De par le monde, les villes sont en première ligne pour amortir les effets de la crise sanitaire, aussi bien en termes de continuité des services urbains, de soutien au système de santé, de sensibilisation de la population pour le respect des directives sanitaires (hygiène, confinement et distanciation sociale) et d’aides aux plus démunis parmi la population. Aussi, convient-il de souligner, que dans un élan de solidarité, plusieurs initiatives ont été lancées par les acteurs sociaux pour soutenir les premières mains en frontline du Covid-19 (nuitées pour le corps médical, restauration, équipement médical, distribution de nourriture, instauration de moratoires contre les expulsions et les coupures d’eau et d’électricité pour ceux qui sont dans l’incapacité de régler leurs factures etc. L’objectif principal est le renforcement de la résilience des personnes qui vivent dans la marginalisation et la privation face aux nombreux défis auxquels elles sont confrontées.
Les facteurs explicatifs de la vulnérabilité des villes
Crise globale par son ampleur, la pandémie agit à toutes les échelles territoriales (internationale, nationale, régionale, locale). Quant à l’espace épidémique, il est différentié à l’intérieur de la région, la ville et le quartier. Le Covid-19 tire sa force de cette puissance de propagation hyper-spatiale et hyper-scalaire.
S'il est difficile, pour le moment, d’expliquer ce phénomène dans l’absence de données et de recherches scientifiques avancées, toutefois, au regard de la répartition de l’épidémie à l’échelle des pays, il est permis d’avancer que les facteurs explicatifs de la propagation de la pandémie sont liés à la concentration des individus, la configuration de la morphologie urbaine, la densité urbaine, la capacité du système de santé et le degré de préparation des pays à faire face à la crise. Ainsi, les premières villes les plus touchées sont industrielles (Wuhan, Lombardi, Detroit,), mondiales (Londres, New York, Paris…) et touristiques (villages de stations de ski en Europe et aux Etats- unis). Autrement dit, des villes connues par la concentration démographique et la connectivité de leur système urbain à la chaine mondiale d’approvisionnement et d’échange. Corrélée à d’autres facteurs de pauvreté et de précarité, la densité urbaine est naturellement un facteur de risque pour la multiplication de foyers épidémiques et, donc, facteur de vulnérabilité pour la ville. Par ailleurs, les périphéries urbaines, qui concentrent des zones d’activités industrielles, constituent des lieux propices à la propagation du virus pouvant contaminer le reste de la population en ville.
Demain la ville
Espace par excellence de territorialisation des politiques publiques, les villes sont dans l’urgence de mettre en place un plan de relance en coordination avec les acteurs locaux. Ce plan est de nature à développer des mesures intégrées et prioriser les investissements productifs et créateurs d’emploi. Il est clair que l’accent doit être mis sur l’économie locale, pour insuffler une dynamique aux petites entreprises, concomitamment avec les initiatives de l’Etat. La reprise suppose, aussi, de prioriser les communes et les quartiers à forte concentration humaine vulnérable. Eu égard à l’impact du Covid-19 sur les recettes fiscales et les redevances des villes, l’appui du secteur privé sera déterminant.
Au sortir de la pandémie, de nombreux chantiers d’ordres politique, socioéconomique et juridique, doivent être remis sur l’agenda des décideurs politiques, aussi bien à l’échelle des gouvernements que des villes.
- Quel rôle des gouvernements urbains -mis en arrière-plan par l’Etat- en période de catastrophes naturelles ou sanitaires?
- Quel aménagement pour nos villes à la lumière des enseignements de la crise sanitaire du Covid-19 (création des pistes cyclables et aménagement des espaces publics pour faciliter l'éloignement physique) ?
- Quelle place, à l’avenir, pour les solutions numériques dans la consécration des politiques publiques (santé, enseignement, services, etc.) et la gestion des villes ?
- Quelle place, à l’avenir, pour le télétravail et l’enseignement à distance dans nos modes de vie ? Les grands mastodontes Google et Facebook ont, d’ores et déjà, autorisé leur personnel de travailler à distance jusqu’à 2021, et d’autres universités ont déjà programmé un enseignement à distance pour l’automne prochain (Université de Montréal…).
Eu égard à la défiance plurielle de la pandémie, il convient de souligner que cette crise sanitaire peut-être un acte fondateur de profondes révisions de la conception et de la mise en œuvre des politiques publiques et des modes de gouvernance des villes. Bien pensées, implémentées et associées à des solutions technologiques et au leadership politique, ces politiques publiques urbaines constituent les premiers pare-chocs des impacts humains, sociaux et économiques des crises, qu’elles soient socioéconomiques, naturelles ou sanitaires.