Publications /
Opinion

Back
Le leadership des femmes garant de la paix
Authors
Patricia Ahanda
January 24, 2020

C’est l’image d’une femme qui s’élève au milieu de la foule et s’exprime pour demander la paix, pour appeler à la fin des violences et des conflits. C’est une image qui a fait le tour du monde, une image devenue virale, prise ici ou ailleurs, du Soudan au Liban. C’est la photographie de la nouvelle géopolitique mondiale où les femmes refusent d’être uniquement représentées en victimes mais, au contraire, s’affirment en leaders, dirigeantes, diplomates, assises à la table des négociations pour la paix.

Les femmes ont toujours été au cœur des questions de paix et de sécurité. Elles le sont car elles subissent de plein fouet les guerres et les conflits. Elles constituent, avec les enfants, une grande partie des populations impactées par les conflits en tant que déplacées ou réfugiées. Les femmes sont également les principales victimes de discriminations liées au genre ou des violences sexuelles et sexistes lors des conflits.

Les femmes sous-représentées dans les processus de paix

Cibles principales des conflits et des guerres, elles sont néanmoins absentes des négociations de paix qui les concernent. Les femmes sont bien souvent reléguées au simple statut de figurantes. Elles sont présentes pour témoigner des horreurs de la guerre mais écartées lorsqu'il s'agit d'évoquer les règlements post-guerres et conflits.

En 2017, on comptait 2% de médiatrices, 5% de témoins, signataires et 8% de négociatrices lors des négociations de paix. Des chiffres faibles qui témoignent de la sous-représentation des femmes dans le processus de paix.

Sur la question de la prise en compte de la voix des femmes dans les négociations pour la paix : « Il existe un contraste frappant entre le soutien exprimé par les États membres de l’ONU et les organisations régionales et internationales, et la réalité » déclarait Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice exécutive d’ONU Femmes.

Conséquence de cette faible représentation des femmes : leur exclusion totale dans le cadre d’une reconstruction politique, économique et sociale alors qu’elles sont les actrices incontournables de la croissance économique et de la vitalité démocratique nécessaire au maintien de la paix.

Pourtant, face aux conflits ou lors des périodes troubles, les femmes se mobilisent, créent des associations, militent, interpellent les instances locales ou internationales sur des challenges actuels, tels que le climat. Selon l’ONU, lorsque des femmes participent aux processus de paix, la probabilité de maintenir en place les accords de paix sur une période d’au moins 15 ans augmente de 35%.

Les femmes sont des actrices de la paix et ont démontré lors de plusieurs conflits qu'elles peuvent mettre en place des stratégies innovantes pour rétablir la paix. Cette innovation sociale et politique appelle à une meilleure prise en compte de l'expertise des femmes car elles sont les clés incontournables d'une paix durable.

L’affirmation du rôle important des femmes sur les questions de la paix et de la sécurité

L'année 2000 a pourtant marqué un tournant important pour la prise en compte de la participation des femmes aux négociations pour la paix. L'adoption de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies fut une étape cruciale pour la reconnaissance du leadership des femmes comme un des éléments essentiels de la consolidation de la paix et de la reconstruction après un conflit. Cette résolution a ouvert une nouvelle ère au sein de la communauté internationale en matière d’affirmation de la place des femmes lors des négociations de paix.

Le 29 octobre 2019 se tenait un débat ouvert du Conseil de sécurité des Nations unies sur l’application du programme pour les femmes, la paix et la sécurité. Le thème du débat : « Vers une application effective du programme pour les femmes et la paix et la sécurité : passer des engagements aux actes en prévision de la commémoration du vingtième anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité ».

Les différentes priorités énoncées par les Nations unies :

- accroître la participation des femmes à la prise de décisions économiques dans les situations d’après conflit ;

- protéger les militantes des droits de l’homme ainsi que les organisations de femmes ;

- assurer un financement adéquat pour les femmes, la paix et la sécurité dans les zones de conflit ;

- accroître le nombre et l’influence des femmes en uniforme travaillant dans les missions de maintien de la paix et les services de sécurité nationale ; 

- veiller à ce que les femmes participent activement aux processus de paix ;

- améliorer la collecte de données afin d’assurer la mise en œuvre du programme relatif aux femmes, à la paix et à la sécurité.

Ce volontarisme en matière d’inclusion des femmes est un engagement positif mais il ne peut être la solution ultime, si l’on souhaite un véritable changement de cap en matière de leadership féminin dans le cadre des processus de paix.

En 2017, seulement 3 sur 11 accords de paix signés prévoyaient des dispositions sensibles au genre.

Ces résultats démontrent la difficulté de la communauté internationale à promouvoir une véritable prise en compte de la voix des femmes et des enjeux de genre et d’égalité lors des négociations.

Pour créer un Big Bang sur l’affirmation des femmes, la place des femmes ne peut se résumer à une question de quotas. Elle doit aussi prendre en compte une approche plus inclusive et favoriser l’émergence de la parole de toutes les femmes lors des débats et des instances décisionnaires et non juste celle de quelques femmes.

Redessiner les tables de négociation pour la paix

Le véritable enjeu est de décloisonner les processus de paix internationaux qui sont restés la chasse gardée des institutions officielles et des pratiques stéréotypées. Il est nécessaire de faire évoluer les anciens modes de participation lors des processus de paix en veillant qu’à chaque niveau de réflexion, à chaque niveau décisionnel, les expériences et les besoins des femmes aux identités et parcours variés soient bien pris en compte.

Il faut également veiller à introduire de nouveaux acteurs lors des discussions : civils de tous âge et catégories sociales, associatifs, culturels, humanitaires, économiques … la paix doit devenir l’affaire de tous et toutes et non pas de quelques hommes, des groupes armés ou encore des structures officielles.

Lorsque l’on parle d’inclusion des femmes, il est aussi impératif de ne pas juste mettre « une femme » à la table de négociation mais de favoriser l’expression des femmes compétentes sur le sujet abordé.

Et si redessiner la table de négociation en adoptant une démarche genre, inclusive, intergénérationnelle, intersectionnelle était la bonne solution pour faire émerger la diversité des expériences, des compétences et des talents des femmes lors des processus de paix ?

Une démarche intersectionnelle pour une meilleure inclusion des femmes ?

L'exemple du Soudan du Sud est assez édifiant en matière de démarche intersectionnelle. Dans le cadre des négociations pour la paix, une coalition regroupant 40 organisations de femmes « la Coalition des femmes du Soudan du Sud pour la paix et le développement » a été créée.

En rassemblant toutes les femmes du Soudan du Sud sans distinction de couleur partisane, en aidant financièrement les femmes qui ne pouvaient se rendre seules aux réunions, en écoutant aussi bien les femmes expérimentées que les jeunes sans expérience des négociations, cette coalition intersectionnelle a permis une meilleure prise en compte de la place des femmes dans le règlement des conflits.

Ainsi, l’accord de paix résultant des négociations contient des dispositions favorisant le leadership féminin, telles que l’établissement d’un quota de 35 % de femmes au sein du gouvernement de transition et l’octroi d’un soutien financier destiné aux survivantes de violences sexuelles liées au conflit.

Réinventer, repenser et moderniser le cadre traditionnel du maintien de la paix en adoptant une démarche axée sur la promotion des expériences et identités diverses et la lutte contre les inégalités structurelles semblent être des perspectives de travail intéressantes pour favoriser la participation de toutes les femmes au maintien de la paix et en même temps contribuer à leur empowerment.

Lors du Paris Peace Forum 2019, Emmanuel Macron, Président de la République française, a délivré un plaidoyer pour la mise en place d’un leadership responsable basé sur la justice pour favoriser le maintien de la paix. Dans le cadre du G7 de Biarritz, les ministres français, Jean-Yves le Drian, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, et Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat chargée de l’égalité femmes-hommes, ont esquissé les grandes lignes de la « diplomatie féministe » pour promouvoir les droits des femmes dans le monde, et plus particulièrement dans les zones de conflits.

Aujourd'hui, face aux nouveaux enjeux internationaux, aux nouvelles zones de conflits, le temps n’est-il pas aussi venu d’appeler à la mise en place urgente d’un véritable leadership féminin multilatéral pour garantir la paix.

Sources : La participation des femmes aux processus de paix, ONU Femmes, janvier 2018. Débat ouvert du Conseil de sécurité des Nations unies, sur l’application du programme pour les femmes, la paix et la sécurité, UN, octobre 2019; Infographie : Participation significative des femmes promeut l’instauration de la paix ( Données UN Peacemakers 2017 ) ONU Femmes.

*Patricia Ahanda is an Alumna of the 2018 Atlantic Dialogues Emerging Leaders Program (ADEL).

Les opinions  exprimées dans cet article appartient à l’auteur.

RELATED CONTENT

  • Authors
    May 3, 2019
    France appears to be relying on force to patch up problems in Africa, and particularly in Libya. None of this is compatible with President Macron’s lofty foreign policy declarations. French President Emmanuel Macron has classified colonisation as a crime against humanity. He is also keen to redefine the relationship with former French colonies. But in practice, there has never been a more ‘let’s go to war’ or ‘va t-en guerre’ attitude, in terms of its hopes for involvement in inter ...
  • Authors
    Mathieu Pellerin
    December 21, 2018
    Often described as an “ungoverned area”, the Niger-Libya border is nevertheless at the centre of major economic, political and security challenges. Both the Libyan authorities and the Nigerien state are struggling to establish tight control over this, particularly isolated area. However, local actors who live there are making their own modes of governance, based on individual and so far, barely institutionalised relationships. These local forms of regulation provide states in the su ...
  • Authors
    October 31, 2018
    There has been a flurry of activity in the Horn of Africa recently, where decades-old political disputes have suddenly been put to rest. The resulting changes have shattered the status quo in the region, putting the Horn on a new path where state-to-state relations are no longer marked by regional competition and frozen borders. While this has undoubtedly been a positive development for the region, one big piece of the puzzle has been the role of external actors in the process, and ...
  • Authors
    September 14, 2018
    A VACUUM ON THE SHORES OF THE MEDITERRANEAN SEA “L’Etat c’est moi, ” proclaimed Louis XIV on April 13, 1655. He was the state for 72 years and 110 days, the absolute monarch of France, who was "l’état lui meme" since he was four years old when his reign began. Louis made his nation the leading power in Europe, defining its foreign policy mainly through warfare. The monarch turned into a myth, surrounded by extravagance and luxurious exaggerations, the roi soleil dominating forever ...
  • Authors
    September 14, 2018
    Après dix-huit mois d’observation, les milices armées de Tripoli ont repris leurs luttes de pouvoir faisant, une quarantaine de morts, selon un bilan datant du 3 septembre 2018, et provoquant l’évasion de quelque quatre cent détenus de la prison d’Ain Zara. Après la rencontre de Paris, et la conquête du croissant pétrolifère libyen par le Maréchal Haftar, les milices armées semblent dos au mur se résolvant dans un ultime effort à faire partie, tambour battant, de la nouvelle phase d ...
  • September 7, 2018
    Alors que le dialogue était totalement rompu entre l’Ethiopie et l’Erythrée, le nouveau premier ministre Ethiopien a pris le pays et la région complètement au dépourvu en annonçant, dès sa prise de fonction en avril 2018, son intention de tourner la page aux « années d'incompréhension » et de renouer le dialogue en mettant en œuvre les termes de l’Accord d’Alger signé en 2000, suite à une guerre fratricide (1998-2000) qui avait fait plus de 80000 morts.  Le réchauffement entre les ...
  • Authors
    Sabine Cessou
    September 6, 2018
    Le partenariat Europe-Afrique-Méditerrannée Comment renforcer la relation historique entre l’Europe et l’Afrique, et faire en sorte que le développement des deux continents se fasse en osmose ? C’est la question qu’a posée Gilles Pargneaux, euro-député français issu du mouvement « En marche », dans sa présentation d’une conférence organisée en partenariat avec OCP Policy Center, au Parlement européen, à Bruxelles, le 4 septembre 2018.  Président-fondateur de la Fondation EuroMedA ...
  • Authors
    August 28, 2018
    A NATION CRAVING TO RETURN TO GREATNESS It was yet another turbulent episode reflecting the dark sides of politics and secret service conspiracies. Murder is the message. “Do not mess with us.” The killers wore turbans and spoke Arabic. What else is new? It was dark, not a good time to drive on a hellhole of a road in the Central African Republic, one of the poorest nations of the world. So poor that death has no price. Not many streets are paved and streetlights are as frequent as ...
  • Authors
    Malik Abaddi
    August 8, 2018
    The African Union goes to Mauritania Under the theme “Winning the Fight Against Corruption”, the 31st Summit of the African Union was held in early July in the desert capital Nouakchott. In a bitter prelude in late June, the AU’s commitment to this central theme was dealt a blow with the sudden – and public – resignation of Ghana’s Daniel Batidam from the AU Advisory Board on Corruption. Off to a rocky start, the summit had an even rougher road ahead of it.  A month before the lau ...
  • Authors
    Tristan Coloma
    Benjamin Augé
    July 27, 2018
    Arrivé au pouvoir le 2 avril 2018, le premier ministre Ethiopien Abiy Ahmed Ali, issu de la majorité oromo, a été imposé à une minorité tigréenne ayant cadenassé les postes à la tête de l'Etat, depuis la domination politique de la coalition de l'Ethiopian Peoples' Revolutionary Democratic Front (EPRDF) en 1991. Chef de l'Oromia Urban Development and Housing Bureau en charge des programmes de construction dans sa région, ainsi que vice-président de cette région peuplée de plus de 30 ...