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Opinion
Dans le vaste univers des matières premières, il est commun de parler des « métaux de base » pour qualifier les « grands » métaux non ferreux que sont l’aluminium, le cuivre, l’étain, le nickel, le plomb et le zinc. L’homogénéité de ce groupe est, bien évidemment, toute relative et la dynamique des cours qu’ils ont suivi, chacun, depuis le printemps 2021 ne peut manquer de le rappeler. En effet, alors qu’ils avaient tous lourdement chuté au premier trimestre 2020, après le déclenchement de la pandémie de la Covid-19, et connu en suivant une forte progression qui s’est accélérée sur le premier semestre 2021, les prix de ces métaux ont, depuis, emprunté des chemins différents.
Une forte volatilité du cuivre, du nickel, du zinc et du plomb…
Le cuivre a, sans surprise, vu ses prix sur le London Metal Exchange (LME) connaître une très forte volatilité dans un contexte sanitaire mondial – et donc macroéconomique – encore très incertain avec la cinquième vague et le variant Delta, puis Omicron. Il a ainsi touché un plus haut niveau historique en mai avant de chuter assez lourdement au cours de l’été puis… de flamber de nouveau en octobre pour revenir peu ou prou à son record de mai. Plombé par les incertitudes sur la croissance mondiale et sur l’immobilier chinois, il est alors reparti sur un chemin baissier et s’échangeait à 9 543 USD/t (prix cash) le 10 décembre. Les tensions sur l’offre de long terme, dans un contexte marqué par des stocks officiels au LME ayant atteint leur plus bas niveau en seize années, devraient toutefois lui permettre de maintenir des cours historiquement élevés. Le nickel a également vécu une période particulièrement instable : il a dépassé le seuil de 20 000 USD/t sur le marché londonien début septembre puis celui de 21 000 USD fin novembre, avant de refluer et de s’établir à 19 960 USD/t ce même jour. Jamais, cependant, le prix record atteint en avril 2007 à près de 50 000 USD/t ni même celui de février 2011 (à 27 000 USD) ne semblaient pour l’instant atteignables. Cette grande instabilité, le plomb la subissait également, fléchissant en septembre pour rebondir le mois suivant et trébucher de nouveau. Le marché du zinc a, pour sa part, vu les producteurs tels que Glencore ou Nystar réduire leur offre sous l’effet de l’augmentation des prix de l’électricité, alors que la demande pour la galvanisation est bien présente. Ceci ne pouvait que se traduire par une flambée des cours, ce qui s’est produit en octobre : le prix cash sur le LME passait ainsi de 2 999 USD/t à 3 815 USD/t entre le 1er et le 18 octobre avant de revenir dans la bande des 3 200-3 400 USD/t sur les semaines suivantes.
Une production d’aluminium fortement contrainte
Parce qu’il faut, en moyenne, environ 13 500 KWh pour en produire une tonne, c’est toutefois l’aluminium qui a probablement le plus subi la crise énergétique. Il a vu son offre en provenance de Chine se réduire sous l’effet combiné de la lutte engagée par Pékin contre la pollution (une large proportion de la génération électrique nécessaire à cette production est alimentée par du charbon) et de cette augmentation des prix de l’énergie. Une sécheresse dans la province du Yunnan a, par ailleurs, limité le recours à l’hydroélectricité permettant de produire de l’aluminium bas carbone. D’un charbon devenu cher à une hydroélectricité peu disponible, les énergies primaires ont assurément orienté le marché du métal blanc ! La situation était telle que la Chine, pourtant premier pays producteur, a accru ses importations de métal blanc en 2021, tandis que les stocks du LME affichaient, eux aussi, un plus bas niveau depuis 2007. En septembre et octobre, une offre relativement dynamique en Amérique du Nord a néanmoins limité, dans l’amplitude et dans la durée, la progression des cours. Le prix cash de l’aluminium a cependant atteint, sur le marché londonien, USD 3 180/t le 18 octobre, avant de se replier, à la faveur d’une baisse des prix du charbon thermal, jusqu’aux premiers jours de novembre, passant alors sous le niveau de 2 500 USD/t. Il progressait toutefois sur les semaines suivantes et s’échangeait, le 10 décembre, à 2 625 USD/t.
L’étain au sommet
Si, malgré cette importante volatilité, la conjoncture s’est montrée favorable en 2021 pour la plupart des métaux, notamment ceux de la transition énergétique, c’est l’étain qui en a assurément tiré le plus grand parti ! Son prix cash (LME) a en effet atteint 41 000 USD/t le 25 novembre 2021, ce qui lui offrait une remarquable progression de près de 95 % (78 %, en moyenne mensuelle, entre janvier et novembre de cette même année, selon les statistiques de la Banque mondiale). À 39 159 USD/t en novembre, il dépassait ainsi de 21 % le précédent record d’avril 2011, à 32 363 USD/t. La situation était tout à fait inédite et, bien que l’étain ait reflué sous le seuil de 40 000 USD/t début décembre, elle devrait perdurer sur les mois prochains, si la situation sanitaire ne vient pas peser sur la croissance économique mondiale.
Comment comprendre cette envolée sans précédent ? L’étain évolue, en premier lieu, sur un marché étroit et dominé, du côté de l’offre d’étain raffiné, par la Chine. Or, dans sa lutte contre le variant Delta, Pékin a plusieurs fois fermé sa frontière avec le Myanmar, son principal pays fournisseur de minerai d’étain, depuis la décision de l’Indonésie (jadis premier exportateur mondial) de cesser l’exportation d’un certain nombre de minerais et de concentrés, dont ceux d’étain donc. Alors que la quasi-totalité des secteurs métallurgiques subissaient les conséquences des fortes tensions sur le marché de l’électricité, cette contrainte supplémentaire ne pouvait que peser sur l’offre et, par conséquent, sur les prix. Car, si la disponibilité du métal interroge, c’est aussi parce que la demande est forte. En 2020, 48 % de celle d’étain raffiné provenait, selon l’International Tin Association (ITA), des besoins en soudures et des semi-conducteurs. Deux forces antagonistes se manifestent néanmoins : d’un côté, une miniaturisation des appareils électroniques ou de leurs composants qui induit une diminution de la quantité d’étain requise pour les soudures, de l’autre, une demande structurellement croissante pour ces mêmes appareils, dans le secteur de l’automobile et des transports, du médical ou, de manière non exhaustive, des loisirs. En 2020 et 2021, c’est bien la seconde qui a dominé et elle pourrait se renforcer à la faveur du développement de la technologie 5G.
Ce lien étroit que l’étain entretient avec les secteurs électroniques ne doit pas faire oublier l’un de ses usages historiques : celui du « fer blanc » dans la fabrication de conserves. La tendance de long terme semble, certes, peu favorable à cette demande, mais la pandémie de la Covid-19 et les périodes de confinement ont entraîné une consommation accrue de produits alimentaires sous cette forme et l’étain en a profité ! Forte demande et offre contrainte : l’équation est donc simple et s’exprime sous la forme d’une contraction très importante des stocks en bourse, et notamment ceux du LME. Atteignant 645 tonnes le 2 novembre, ces derniers étaient au plus bas depuis… 1989 ! Pour mémoire, ils évoluaient de 7 000 tonnes sur les premiers jours de 2020. Dans ce contexte tendu, l’affirmation d’une spéculation haussière – tant par du stockage privé que par l’accroissement des positions acheteuses sur les contrats futures – ne faisait guère de doute ! Les annonces faites par le Président indonésien Joko Wido indiquant que son pays pourrait cesser toutes formes d’exportations de ce métal, incluant donc celles d’étain raffiné, n’était bien évidemment pas de nature à rassurer les marchés !
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