Publications /
Opinion

Back
L’urbanisme numérique au Maroc tiendra-t-il ses promesses ?
Authors
Mostafa Kheireddine
September 4, 2020

L’action publique urbaine dans le monde connait une métamorphose grâce à la montée en puissance du numérique dans la production et la gestion de la ville. Si le Maroc a franchi des étapes importantes dans la dématérialisation de certains services publics (impôts, cadastre, marchés publics, etc.), en revanche, d’autres secteurs peinent à suivre la même voie au moment où l’actuelle crise sanitaire de la Covid-19  vient rappeler l’urgence de la structuration de l’écosystème digital et la promotion de l’administration numérique. Ce sont les missions premières de l’Agence de développement du digital, créée en 2017, dans l’objectif de mettre en œuvre la stratégie de l’Etat en matière de développement de l’administration en ligne et de promouvoir la diffusion des outils numériques. D’ailleurs, la Cour des Comptes a relevé le retard du pays en la matière dans son rapport de 2018, en précisant que ‘’le Maroc s’est classé 78ème dans l’indice des services en ligne et 110ème dans l’indice de l’e-gouvernement’’.

Processus incontournable de l’urbanisme numérique, la dématérialisation en urbanisme porte essentiellement sur les autorisations de construire, la numérisation des documents et la mise en place de Géoportails et plateformes participatives (enquêtes publiques, élaboration des documents d’urbanisme, co-construction des projets urbains, etc.).

Par dématérialisation, il est entendu le recours au numérique pour la collecte, le traitement et la diffusion des données traditionnellement présentées sous format papier. L’objectif est de simplifier les procédures administratives, réduire les délais de traitement et d’accessibilité à l’information et, in fine, créer l’environnement favorable à l’investissement.

Dans un monde marqué par l’incertitude et la pluralité des acteurs, le chantier de la dématérialisation a été fixé comme priorité majeure dans le programme de l’autorité gouvernementale chargée de l’urbanisme. Toutefois, entre la bonne intention et l’absence d’un cadre qui précise le(s) porteur(s) de cette dématérialisation, ses modalités et ses échéances, le bilan est mitigé et fait ressortir un retard dans le processus engagé. Un des modèles d’inspiration pour nos décideurs, la France s’est fixée 2022 pour une digitalisation de l’urbanisme à l’échelle de l’hexagone. Soit l’écosystème dans ses différentes facettes : autorisations, numérisation des documents d’urbanisme et leur intégration dans un géoportail national à des fins d’analyse et de suivi des dynamiques urbaines, de prospective territoriale et de mise à jour.

Les premières expériences

Au Maroc, les premières expériences de l’urbanisme numérique remontent au milieu des années 1990, avec la numérisation de la deuxième génération des schémas directeurs d’aménagement urbain, la mise en place d’un Système d’Information Géographique (SIG) interactif des documents d’urbanisme de villes pilotes et d’un observatoire des indicateurs urbains. Cependant, les ambitions de mise en œuvre ont été ponctuées par des phases de réalisation creuses, et ce faute d’une gouvernance unifiée et d’un portage stratégique et opérationnel et, surtout, en raison des choix du contexte social et politique de l’époque.

Par ailleurs, si la conjoncture des années 2000 était favorable à l’implémentation de l’urbanisme numérique sur de bonnes assises, il convient, en revanche, de souligner que les décideurs de l’époque ont jeté les bases de ‘’l’urbanisme à crédit’’, qui lègue une très lourde facture aux générations futures, (une mobilisation des milliers d’hectares du foncier, des villes nouvelles inachevées, un habitat social à ‘’obsolescence programmée’’...).

L’urbanisme numérique consacré par la réglementation

Avec l’adoption du règlement général de construction en 2013 (Décret n° 2-13-424), fixant la forme et les conditions de délivrance des autorisations en urbanisme, la dématérialisation acquiert sa portée juridique (art.47) par une injonction aux acteurs concernés de mettre en place des bases de données numériques interactives communes (art. 48). Toutefois, sans compter sur la faible adhésion des acteurs locaux. Il a fallu, donc, un portage au niveau de la Direction générale des Collectivités locales (DGCL) pour embarquer les acteurs qui évoluent dans les clusters de l’urbanisme sur la voie du numérique. Conforté par le Décret n°2-18-475 du 12 juin 2019, instituant la dématérialisation des autorisations d’urbanisme (art.53) et les modalités de sa mise en œuvre (art.54), le déploiement de la plateforme rokhas.ma est synonyme d’un aggiornamento de l’heure de l’urbanisme numérique après plusieurs tentatives non entreprenantes.

Le Géoportail national de l’urbanisme : la pièce manquante à l’écosystème

Le nouveau dispositif juridique rend désormais incontournable l’accès en ligne aux documents d’urbanisme. A charge pour les agences urbaines d’emprunter cette voie pour faire des Géoportails des documents d’urbanisme la pièce manquante de l’urbanisme numérique. Il est à rappeler que le Géoportail de l’urbanisme est un ensemble de données géographiques (bâti, voirie, équipements, mobilier urbain, espaces verts, etc.) et de données alphanumériques (démographie, superficie, règlement, etc.) issues des documents d’urbanisme (Plans d’aménagement), des règlements et des recensements de la population. Le Géoportail de l’urbanisme permet à chaque citoyen, promoteur, aménageur ou investisseur de localiser un terrain, de connaître le zonage et les prescriptions d’urbanisme qui s’y appliquent. Aussi, convient-il de souligner que l’importance du géoportail réside dans sa capacité à interroger, via un SIG, les données géographiques et superposer les différentes couches d’information (fond cadastral, photo aérienne), et créer des cartes thématiques sur l’évolution urbaine et territoriale. 

Des pistes à baliser

Si la démarche actuelle portée par le ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la Ville semble être la décision à la bonne échelle pour répondre aux enjeux techniques et de pilotage du Géoportail national, il est indiqué que l’agence urbaine, en tant que pôle producteur de la donnée urbaine, constitue l’élément central de l’alimentation dudit Géoportail dans un for­mat numérique fiable et exploi­table.  Il importe, toutefois, de souligner que pour asseoir l’urbanisme numérique sur des assises solides, certains défis sont à relever. Ils renvoient à la fracture numérique au sein des agents de l’urbanisme, à la rareté du capital humain formé aux métiers des SIG (géomaticiens) et les systèmes d’information et de gestion des données. Par ailleurs, l’urbanisme numérique est synonyme de la communication et de l’open data. Deux prérequis qui sont loin d’être l’ADN des agences urbaines. Pour preuve, la plupart des portails internet de ces établissements appartiennent à la génération du web 1.0. Si l’urbanisme est à l’heure du numérique, en revanche, les acteurs locaux, avec quelques exceptions, ont du chemin à parcourir. Ne pas saisir cette réalité revient à hypothéquer les opportunités qui s’offrent pour œuvrer vers des agences urbaines digitalisées.

L’avenir dira si le développement de l’urbanisme numérique au Maroc sera à la hauteur des promesses. Mais, nous pouvons déjà avancer l’hypothèse qu’il s’agira d’un élément central de l’évolution vers la ville numérique.

L’urbanisme numérique doit servir à construire la ville de demain. La transition en cours vers un nouveau modèle de développement représente une opportunité de faire du numérique (plateformes et services en ligne) un levier pour l’amélioration de la qualité de vie, l’attractivité territoriale et la création de la valeur économique.

RELATED CONTENT

  • Authors
    May 10, 2018
    The April issue of the IMF’s “World Economic Outlook (WEO)” included a chapter on how globalization has helped knowledge from technology leaders spread faster than before. Cross-border technological diffusion has not only contributed to rising domestic productivity levels in advanced and emerging economies, but also facilitated a partial reshaping of the technological innovation landscape, with some recipients becoming new significant sources of research and development (R&D) an ...
  • Authors
    March 7, 2018
    Brazilian conditional cash transfers are small amounts of money the government distributes directly to very poor households on condition that their children attend school and are vaccinated. The money goes to the women of the household, because research undertaken in the 1990s – and later confirmed in other countries – showed an increase in babies' height and weight when women have more control over household income. Greater control over household resources by women can strengthen a ...
  • Authors
    December 15, 2017
    The In-focus session about Jobless Growth during the Atlantic Dialogues on December 14th led to a passionate debate on the future impact of jobless growth on Africa as well as the world economy. « Jobless growth » was coined by the American economist Nick Perna (Yale) in the early 1990s. The causes of this phenomenon are highly discussed. For instance, automation is seen as the main source of jobless growth by some economists while others argue that it falls into a « Luddite Fallac ...
  • December 14, 2017
    Moderator: Jordi Bacaria, General Director, Barcelona Centre for International Affairs - Newai Gebre-ab, Executive Director, Ethiopian Development Research Institute, former Chief Economic Adviser to the Prime Minister of Ethiopia - Paulo Neves, President, Institute for the Promotion of...
  • December 12, 2017
    Infrastructure development is a key factor for growth and an essential catalyst for sustainable and socially inclusive development. The emergence of a large middle-class on the African continent is driving the demand for socio-economic infrastructure including access to water and sanita...
  • Authors
    November 28, 2017
    After many decades of expansion, incomes and standards of living have never been better in many parts of the world. Yet, global trade and the prospects of growth still seem uncertain, and protectionism seems to be on the rise. In developed countries, there is anxiety over the loss of the manufacturing jobs that once absorbed a large share of the labor force and created a middle class that formed the core of democracy. Most middle-income countries have not yet been able to make the t ...