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Opinion
La crise du Covid-19 ne cesse d’impacter les économies des pays du monde entier, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement. La situation serait plus délicate pour les pays pauvres. L’économie de ces pays est moins résiliente aux chocs et fortement tributaire des échanges commerciaux[1]. Les taux de chômage risquent de grimper et probablement pour une période assez longue. Les entreprises ayant pris des mesures pour arrêter totalement leurs activités économiques, auraient du mal à reprendre, notamment celles qui sont liées à des marchés internationaux.
Les filets sociaux pour atténuer l’impact du Covid 19
Les conséquences de la crise du Covid-19 impacteraient, également, les familles, particulièrement pauvres et vulnérables, suite à des pertes d’emploi et des revenus. Des familles pourraient voir leur situation dégradée et basculer dans la pauvreté, voire même dans l’extrême pauvreté[2]. Sans intervention par des mesures d’atténuation, ces familles se sentiront plus fragiles face à cette crise, d’où le rôle des instruments de la protection sociale. Celle-ci fait référence à l’assurance sociale et l’assistance sociale (transferts monétaires et en nature). En recourant à ces instruments, le but consiste à aider les familles vulnérables à faire face à la perte de capacité ou à l’impossibilité d’accéder à un revenu minimum, en raison des différents risques sociaux (perte d’emploi, maladie, pauvreté, vieillissement, handicap, etc.).
La lecture des données collectées par des experts de la Banque mondiale (BM) et l’Organisation internationale du Travail (OIT), sur les mesures prises par l’ensemble des pays du monde pour faire face à la perte d’emploi et de revenu, causée par la crise du Covid-19, illustre bel et bien l’importance et le rôle des instruments de protection sociale[3]. Ces instruments ont eu une place privilégiée dans les différentes mesures prises pour limiter l’impact socio-économique du Covid-19. En effet, en plus de la branche d’assurance sociale, les transferts monétaires et les transferts en nature ont été mobilisés pour soutenir le niveau de vie des ménages, notamment les plus vulnérables. Vu leur efficacité dans le maintien d’un niveau de consommation minimum, ce sont les transferts monétaires qui ont été le plus utilisés par l’ensemble des pays du monde. Ces transferts représentent 36 % de l’ensemble des instruments utilisés au niveau mondial, 44 % en Afrique, 37 % en Amérique latine, 31 % en Asie et 26 % en Europe.
De son côté, le Maroc a rapidement réagi, en prenant des mesures pour faire face aux chocs qui pourraient être causés par cette crise en termes de marginalisation et d’exclusion, suite à la perte d’emploi et de revenus. En plus des mesures destinées à soutenir les entreprises, le soutien des ménages pauvres mais, également, les personnes ayant perdu leur emploi et revenu a été considéré comme une des priorités des actions des pouvoirs publics. Le recours aux instruments de protection sociale a été sans précédent. En utilisant une approche innovante en termes de paiement et de couverture des populations éligibles, des transferts monétaires aux bénéficiaires du Ramed, des indemnités du perte d’emplois pour les salariés inscrits à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) et les non-salariés du secteur informel, en plus des transferts en nature, etc., ont été mobilisés pour venir en aide au plus démunis et aux travailleurs ayant perdu leur revenu et leur emploi. Un fonds spécial, dédié à la gestion de la pandémie du Covid-19, a été mis en place.
L’investissement dans la protection sociale s’impose pour l’avenir
Ceci étant, partout dans le monde, l’investissement dans la protection sociale face aux conséquences de la crise actuelle est un choix incontournable. Un choix qui devrait être consolidé et renforcé davantage dans l’avenir, en mettant en place des systèmes intégrés de protection sociale permettant la prévention des risques sociaux et le renforcement de la résilience des familles. Il est à rappeler que l’investissement dans la protection sociale constitue, également, un levier pour le développement du capital humain et l’intégration des populations vulnérables dans la vie économique et sociale. Cependant, la durabilité des actions menées dans le cadre de la protection sociale demeure tributaire de la pérennisation du financement et la mise en place d’un ciblage pertinent et dynamique.
Au Maroc, la mise en place du Registre national de Population, couplé avec le Registre social Unique, qui sont en cours d’élaboration, fera de l’expérience du Royaume une référence en matière de ciblage au niveau international. De même que la rationalisation des dépenses pour une meilleure efficience, ainsi que la capitalisation sur le Fonds Covid-19 ne pourraient qu’être bénéfiques pour l’ancrage et la durabilité des programmes de protection sociale dans l’avenir. Le nouveau modèle de développement donnerait, sans doute, plus de visibilité à la protection sociale en tant que domaine de prévention contre les risques sociaux et le renforcement de la résilience des familles face à ces risques.
Biographie :
Aziz AJBILOU est Professeur d’Enseignement Supérieur, Secrétaire général du Département des affaires générales et de la Gouvernance, ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration
Il est titulaire du Diplôme d’Ingénieur Statisticien Economiste de l’Institut National de Statistique et d’Economie Appliquée (INSEA) à Rabat (1985) ; de Diplôme de 3ème Cycle en Démographie de l’Université Catholique de Louvain-La-Neuve en Belgique (1992) ; de Doctorat en Démographie de l’Université Catholique de Louvain-La-Neuve en Belgique (1997).
Professeur d’Enseignement Supérieure à l’Institut National de Statistique et d’Economie Appliquée (INSEA) à Rabat, (depuis 1985) ; Directeur du Centre d’Etudes et de Recherches Démographiques (CERED) (Avril 2001-Février 2006) ; Directeur des Etudes, de la Coopération et de la Législation, depuis Février 2006 au ministère des Affaires économiques et générales.
Auteur de plusieurs travaux scientifiques sur l’économie sociale, les questions relatives à la population, à la pauvreté et au développement.
[1] https://blogs.worldbank.org/fr/voices/crise-du-coronavirus-pour-les-pays-les-plus-pauvres-le-pire-est-venir
[2] Des études et des analyses approfondies devraient être menées pour évaluer ces impacts.
[3] U. Gentilini, M. Almenfi and I. Orton (2020), “Social Protection and Jobs Responses to COVID-19: A Real-Time Review of Country Measures”, Living paper, version 3 (April 3, 2020)