Publications /
Opinion
Ce thème, le second de la dernière édition des Dialogues stratégiques entre le Policy Center for the New South (PCNS) et le Centre HEC de géopolique, le 10 avril 2019 à Paris, a été abordé par plusieurs panels d’experts et de chercheurs. Ce thème, le second de la dernière édition des Dialogues stratégiques entre le Policy Center for the New South (PCNS) et le Centre HEC de géopolique, le 10 avril 2019 à Paris, a été abordé par plusieurs panels d’experts et de chercheurs.
Dans cette région de première importance stratégique, quelles sont les rivalités régionales, les conséquences de la guerre au Yémen, où l’Iran et l’Arabie Saoudite s’affrontent, et les risques de crise ? Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, a rappelé que la « base militaire chinoise ouverte en 2017 à Djjibouti est la première de la Chine à l’étranger avec Vanuatu, ce qui signifie bien quelque chose ». Au Yémen, la coalition menée par une Arabie Saoudite « confortée dans sa position de puissance » en est à sa quatrième année de guerre, face à un Iran « marginalisé mais qui garde ses nerfs » et soutient les rebelles chiites, résume Pascal Chaigneau, directeur du Centre HEC de géopolitique.
La mer Rouge, une « fermeture éclair »
Carrefour situé autour d'un grand ensemble désertique en Arabie Saoudite et d’un bassin fluvial, les deux Nils se rejoignant à Khartoum, au Soudan, la mer Rouge est peu peuplée sur ses rivages. Les pays qui la bordent sont très hétérogènes, l’Arabie Saoudite représentant 93 fois Djibouti en taille, deux fois l’Egypte et dix fois l’Ethiopie en PIB. « Mer intermédiaire depuis 1869, date de l’ouverture du canal de Suez, cette voie royale entre Londres et son ancien empire colonial représente une ligne de jonction et de coupure à la fois », résume Thierry Garcin, chercheur du Centre HEC de géopolitique.
En termes de sécurité, la mer Rouge reste un enjeu majeur de la géopolitique globale, puisqu’elle voit passer 15 % du trafic maritime international. Qui en assure la sécurité ? Les Emirats arabes unis (EAU) à 70 % et l’Arabie Saoudite à 30 %, estime Pascal Chaigneau. « Le Yémen, poursuit-il, est un facteur central de mutation des stratégies saoudienne et émirati vers l’Afrique de l’Est ».
De son côté, l’amiral français Alain Oudot de Dainville affirme que « la sécurité de la mer Rouge incombe aux pays riverains, mais l’Arabie Saoudite ne fait pas le travail, ce qui laisse le champ libre aux Etats-Unis ». Evoquant les enjeux stratégiques des espaces maritimes dans la Corne de l’Afrique, Jamal Machrouh, Senior Fellow au PCNS, explique que « la mer Rouge a été fermée en 1956-57 et entre 1967 et 1975. Cette fermeture éclair reste fermable, un risque pour le commerce entre l’Europe et l’Asie. »
L’essor de l’influence d’Abu Dabhi et de Riyad se traduit par une « crainte à Djibouti de déstabilisation du régime comme cela a été fait au Qatar, avec le monde entier qui ferme les yeux », souligne Sonia Le Gouriellec, chercheuse à l’Institut de recherches stratégiques et au Centre HEC de géopolitique. Pour mémoire, les relations diplomatiques des EAU, de l’Arabie Saoudite, de l’Egypte, du Yémen, du Bahreïn et des Maldives ont été rompues en juin 2017 avec le Qatar, accusé de complaisance à l’égard du terrorisme islamiste et de l’Iran. La zone d’influence française que reste Djibouti abrite aujourd’hui plusieurs bases militaires étrangères. « Le pays veut se positionner comme un carrefour pacifique, mais reste curieusement absent des sommets actuels consacrant le rapprochement entre l’Ethiopie et l’Erythrée », poursuit la chercheuse.
Rivalité Chine-USA et « hydrodiplomatie »
La complexité de la géopolitique de la Corne de l’Afrique n’est pas seulement dûe à la mer Rouge et à la guerre au Yémen, mais aussi aux jeux d’alliances en Ethiopie et au Soudan, où la contestation a eu raison du régime d’Omar el Béchir. La Chine s’est implantée solidement en Ethiopie, où les Etats-Unis s’emploient également à restaurer leur influence dans l’Est de l’Afrique, selon Abdelhak Bassou, Senior Fellow au PCNS. Une « hydrodiplomatie souhaitable pour le monde entier, car susceptible de gérer l’eau comme un bien commun » est par ailleurs en cours d’invention dans le bassin du Nil, estime Youssef Tobi, chercheur au PCNS. L’Ethiopie et l’Egypte cherchent à résoudre leur conflit au sujet du barrage de la Renaissance, situé en territoire éthiopien, qui pourrait réduire le cours du Nil en Egypte, affectant toute l’activité agricole du pays.
Dans son analyse des enjeux économiques du rapprochement entre l’Ethiopie et l’Erythrée, Fathallah Oualalou, Senior Fellow au PCNS et ancien ministre marocain de l’Economie et des finances, est revenu sur le profil particulier de l’Ethiopie. Seconde puissance démographique d’Afrique avec 107 millions d’habitants, mosaïque d’ethnies, l’Ethiopie connaît un nouveau souffle politique avec le nouveau Premier ministre Ahmed Abyi, « arrivé comme le messie à un moment de forte croissance, à partir d’un niveau il est vrai très bas ». Des réformes sont menées sur tous les fronts, avec un investissement public volontariste, la création de quatre zones industrielles sur le modèle chinois et l’ambition de devenir l’atelier de l’Europe. En outre, « cette décision inouïe de privatiser les secteurs clés de l’économie, avec le soutien de la Banque mondiale, qui a octroyé un prêt de 1,2 milliard de dollars ». L’endettement (plus de 60 % du PIB), la pénurie de devises et la faiblesse des réserves extérieures (1,6 mois d'importations), restent des fragilités structurelles. L'Ethiopie ayant besoin de paix et d'ouverture sur la Mer rouge, son initiative de réconciliation avec son voisinage direct (Soudan, Somalie, Erythrée, Kenya et Egypte) paraît exemplaire. Elle « évoque ce Maghreb impossible mais nécessaire », a-t-il conclu.
Consultez les six volumes des Dialogues Stratégiques:
Volume I Nouveaux axes stratégiques et défis sécuritaires - Cas de la Chine et de la bande sahélo-saharienne,
Volume VI L’Amérique latine: crises et sorties de crises; L’Union Africaine face à de nouveaux défis.