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Opinion
L’OCP Policy Center a eu la primeur de la présentation, par l’historien Jean Pierre Filiu, de son dernier livre « Généraux, gangsters et jihadistes. Histoire de la contre-révolution arabe », la toute première hors de son pays, la France. Une première dont il se réjouira au début du débat-échange autour de son ouvrage, tenue le 28 mars 2018, en partenariat avec l’Institut Français du Maroc.
Habitué à faire appel à plusieurs disciplines scientifiques à la fois, telles que la science politique, la géopolitique, en plus de sa spécialité, l’histoire, J.P. Filiu n’hésitera pas à s’appuyer sur l’actualité brûlante pour introduire son livre. Deux éléments de l’actualité dans le monde arabe lui serviront de prétexte. Comme la rencontre coïncidait avec le 3ème et dernier jour des élections présidentielles en Egypte, un des pays auquel il réserve de longs développements, il commentera le scrutin, en considérant que celui-ci « n’a d’élections que le nom que l’on voudrait leur donner ». A l’appui de cette affirmation, ce connaisseur de l’Egypte expliquera que le Président Sissi a été obligé de désigner son propre concurrent. Le seul enjeu de cette élection, considérera-t-il, est celui du taux de participation dont on ne saura jamais rien à son sujet.
L’autre élément d’actualité auquel il fera référence, qu’il estime tout aussi accablant pour le devenir du monde arabe, ce sont des scènes qui se passent dans la capitale syrienne, Damas, où des militaires soviétiques fouillent des hommes et des femmes syriens évacués de leurs foyers pour être transférés dans un autre secteur du territoire de leur pays, témoignage de son abandon de la souveraineté de son pays par le Président Assad fils.
C’est prenant appui sur ces deux éléments, qu’il qualifiera de « scandales », que l’auteur déclinera la raison d’être de son dernier ouvrage qui est de décrire comment la contre-révolution arabe s’est déployée avec une force inédite depuis que les peuples se sont soulevés démocratiquement et pacifiquement au début de 2011, en obtenant, en quelques semaines, le renversement, d’abord de Ben Ali, en Tunisie, et, ensuite, de Hosni Moubarak, en Egypte.
Cette contre-révolution a utilisé une férocité inouïe, en ce sens qu’elle a mobilisé des systèmes dont la formation historique est l’objet, justement du livre.
Une contre-révolution qui est l’œuvre, développera-t-il, de ce qu’il surnomme les « Mamelouks modernes », référence faite par lui aux Mamelouks qui ont régné en Egypte et en Syrie, de 1200 à 1516, et qui étaient, en fait, étrangers aux sociétés qu’ils dominaient et avec lesquelles ils avaient un rapport médiéval, rapport que l’auteur estime retrouver dans ce qu’il catégorise comme étant des dictatures arabes.
L’historien considère que le rapport actuel des dictateurs arabes avec leurs compatriotes est du même ordre. Au mieux, explique-t-il, du mépris, si ce n’est de l’oppression déchainée quand ces populations osent revendiquer leurs droits.
L’auteur explique avoir trouvé comme une des similitudes entre « les Mamelouks modernes » et les Mamelouks du Moyen âge, la hantise de ces derniers de conserver le pouvoir une fois celui-ci détenu. Les « Mamelouks modernes », indique-t-il, sont, eux aussi, habités par la lutte de pouvoir.
Ces logiques de lutte de pouvoir, analyse-t-il, aboutissent très souvent au résultat selon lequel c’est toujours « le pire qui l’emporte ». Il attirera l’attention sur le fait que lorsque ces luttes de pouvoir entrent en phase avec des crises dans la société ou des tourments politiques, elles provoquent des troubles de type révolutionnaire. Mais, aux yeux de l’auteur, le paradoxe qui devrait interpeller observateurs et décideurs est celui qui consiste au fait que plus on a de l’oppression, plus on a de jihadistes. Le cas syrien lui servira d’exemple, en ce sens que dans le contexte de 2011, la Syrie ne comptait pas de jihadistes, si ce n’est dans les prisons, et il s’agissait de manifestations pacifistes et des protestations réformistes. Alors que des centaines de manifestants allaient être incarcérés et torturés à mort, rappelle-t-il, des centaines de prisonniers jihadistes allaient être libérés, dont certains réussiront à escalader la hiérarchie du bien mal nommé « Etat islamique ». Ceci autorise l’auteur à constater ce qu’il appelle des « collaborations très anciennes » entre les services syriens et les jihadistes, fondées notamment sur la communauté d’intérêts.
Même esprit de collaboration existait au Yemen où, affine l’historien, l’ancien président Ali Abdallah Salah entretenait des relations douteuses, mais confirmées, avec la branche yéménite d’Al Qaida.
Dans le cas égyptien, considère l’auteur, le processus est différent dans la mesure où il est question de la fermeture de l’horizon politique qui conduit à accentuer la menace jihadiste.
L’exemple égyptien permet à l’auteur d’affirmer que contrairement à des analyses qui présentent les dictatures comme un « moindre mal » et un « rempart contre l’islamisme », la mission de la contre-révolution arabe est tout le contraire. Les dictateurs, assène-t-il, font le lit du jihadisme, par l’intermédiaire des gangsters. C’est ce qu’il qualifie de « triade ».
En conclusion de sa présentation, l’auteur livrera le constat selon lequel ladite contre-révolution arabe aura échoué et il serait temps qu’on s’en rende compte car, considère-t-il les conséquences sur la sécurité en Méditerranée son considérables. Alors que trop souvent, fait-il remarquer, l’accent est mis sur la fin des printemps arabes, on peut aussi affirmer que les dictatures sont, elles, en banqueroute, y compris face au jihadisme.