Publications /
Opinion

Back
L’ « Occident » a-t-il survécu à la chute de l’URSS ?
Authors
March 13, 2018

S’adressant à l’Occident en 1989, Alexandre Arbatov, conseiller diplomatique de Mikhaïl Gorbatchev avait dit : "nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d'ennemi ". Ce que le russe n’avait pas prévu à ce moment, c’est que la disparition de l’Union Soviétique allait priver l’occident de bien plus que d’un ennemi : elle allait le priver de son identité.

Durant la guerre froide, il existait un camp de l’Est et un camp de l’Ouest. Cet antagonisme donnait à l’Occident une personnalité, une identité. L’Ouest se définissait par opposition au camp socialiste. Il constituait un monde qui se voulait être le « monde libre », qui avait une « enseigne ». Ce monde libre avait un leader, les USA, et un ensemble que formait l’Europe et les autres Etats qui partageaient les mêmes valeurs de démocratie, de liberté et de droit. Un monde aux traits connus et au portrait clair. L’URSS s’est éteinte et l’ensemble qui se définissait par opposition au soviétisme s’est trouvé dépourvu de cet « opposé » qui lui donnait son image.

A la chute du mur de Berlin, ce qui s’appelait alors l’Occident s’est retrouvé sans ennemi et sans concurrent, mais aussi sans cette « noirceur » de l’autre qui faisait ressortir sa propre blancheur et lui permettait de se définir et de se faire connaître. L’Est, après 1989, n’était plus qu’un point cardinal et l’Ouest ne pouvait plus être qu’un autre point cardinal. Il était l’opposé de l’Est, mais simplement dans une acception géographique. Il n’y avait plus de socialisme et le capitalisme a alors perdu son sens ; il n’y avait plus non plus de pacte de Varsovie et l’OTAN a perdu le Nord et ne savait plus quoi faire de lui-même. La guerre (froide) avait cessé faute de combattant, mais l’identité de l’Ouest s’était effacée faute d’identifiant. Si l’évènement  ne représentait pas la fin de l’Histoire comme le prévoyait Fukuyama, il marquait cependant bien la fin d’un concept et d’une identité qui s’appelait l’Occident.

Le bloc que nous connaissions comme étant l’Ouest avant 1989 s’étant disloqué, que serait donc l’Occident aujourd’hui ? Les USA, avec un président qui se départit de toute doctrine ou idéologie pour se recroqueviller sur les propres intérêts mercantiles de son pays ? Une Europe qui réalise de plus en plus qu’elle devient orpheline après l’extinction de cette famille qui lui fournissait le parapluie défense et lui permettait de se consacrer à l’essor économique ? Le Royaume-Uni qui s’est séparé de l’Europe sans savoir vers quels horizons regarder ?  Si nous voulons persister à croire qu’il existe encore un Ouest autre que géographique, laquelle des trois entités choisirions-nous ? Les USA avec le repli stratégique de Trump ? L’Europe qui a intégré ses voisins de l’Est sans savoir quoi en faire ? Le Royaume-Uni qui s’isole dans son caractère insulaire ? L’Occident classique s’est fragmenté en trois espaces qui ont perdu le lien de solidarité qui les cimentait face à l’Est. N’ayant plus d’ennemi commun, ceux qui jadis s’appelaient les occidentaux, ont aujourd’hui pour nom, les américains, les européens, les anglais… et sont face à la Russie, la Chine, l’Iran, la Corée du Nord… qui eux aussi ne sont qu’un Est géographique.

Lors de son intervention au Brussels Forum 2018, dont l’OCP Policy Center est partenaire, Federica Mogherini, s’adressant aux USA, a appelé à cette identité commune, une identité s’appuyant sur un socle de valeurs communes. Mais des questions restent posées. Une identité commune entre l’Europe et les USA ou entre l’Union européenne et les USA ? Dans le deuxième cas, que faire du Royaume-Uni ? 

La solidarité automatique qui, avant 1989, donnait à l’Ouest une identité, s’est aujourd’hui effacée devant un individualisme étatique et de petites identités, que rien ne semble lier sinon des coalitions de conjoncture dont les murs se fissurent au moindre coup de brise. Les USA ne sont plus solidaires de l’Europe et cette dernière, lâchée par sa grande sœur, cherche à se faire par elle-même. Comme un malheur n’arrive jamais seul, elle vient de perdre le Royaume-Uni. L’ex Occident n’existe plus que dans les livres d’histoires. Le label Occident est aujourd’hui diffus, éparpillé et flou. Que faut-il faire pour le réanimer ? Un troisième conflit mondial ? Un nouvel ennemi de la taille de l’ex URSS ? Ou faut-il désormais l’oublier comme un objet du passé ? Dans ce cas, force est de croire que le mur de Berlin n’a pas seulement mis fin au clan de l’Est, mais également à celui de l’Ouest. En s’effaçant l’URSS a également effacé toute idée d’Occident.  

RELATED CONTENT

  • Authors
    April 6, 2018
    The young women sitting in the Olympic ice hockey stadium of Kwandong, South Korea, were dressed like a group of gorgeous stewardesses on an outing after graduating from flight school, or as if they were celebrating the survival of an emergency landing. They applauded in a very methodical fashion, a well-studied rhythm that their eternal Supreme leader Kim Jong-Un certainly did not learn at his Swiss boarding school “Liebefeld Steinhoelzi” near Bern, Switzerland. Who dares to confir ...
  • Authors
    Mokhtar Ghailani
    March 30, 2018
    L’OCP Policy Center a eu la primeur de la présentation, par l’historien Jean Pierre Filiu, de son dernier livre « Généraux, gangsters et jihadistes. Histoire de la contre-révolution arabe », la toute première hors de son pays, la France. Une première dont il se réjouira au début du débat-échange autour de son ouvrage, tenue le 28 mars 2018, en partenariat avec l’Institut Français du Maroc. Habitué à faire appel à plusieurs disciplines scientifiques à la fois, telles que la science ...
  • Authors
    March 29, 2018
    The Soviet crew faced death in the depth of the Caribbean. Their submarine of the diesel powered “Foxtrott” class, registered as “B -52”, had been transformed into a gigantic metal coffin. It was in October 1962, the month when the world stopped breathing. The end, nuclear war, seemed near. Human civilization has never faced such an APOCALYPSE in history. The unthinkable was likely to happen. Washington and Moscow, here the leaders of the free capitalistic world, and there the repre ...
  • Authors
    March 13, 2018
    S’adressant à l’Occident en 1989, Alexandre Arbatov, conseiller diplomatique de Mikhaïl Gorbatchev avait dit : "nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d'ennemi ". Ce que le russe n’avait pas prévu à ce moment, c’est que la disparition de l’Union Soviétique allait priver l’occident de bien plus que d’un ennemi : elle allait le priver de son identité. Durant la guerre froide, il existait un camp de l’Est et un camp de l’Ouest. Cet antagonisme donnait à ...
  • Authors
    October 6, 2017
    This Policy Brief highlights the depths of the Sahel crisis. Some aspects of the crisis, such as extremist violence, migration, transnational crime and precariousness, are in fact symptoms of a disease that will only get worse if the real and deep causes are not addressed. Exploring the case of the G5 Sahel as a framework for the convenience of study and analysis does not imply that the crisis is limited to the five countries that are part of the G5 Sahel. Indeed, while specificitie ...
  • Authors
    Abdelkhalek El Bikam
    Afang Ndong Zita
    Kourouma Oumar
    August 25, 2017
    The current economic, political and geo-strategic dynamics, centered on the major regional groups, announce a reconfiguration of the international order in which Africa is called to play an important role through its main continental institution which is the Union African Union (AU). The AU is increasingly emerging as the continent's platform with foreign partners, and continues to face problems of dependence, governance and leadership. Therefore, in a critical and forward-looking a ...
  • Authors
    July 7, 2017
    Ce Policy Brief traite de l’articulation entre le développement et la sécurité dans le bassin méditerranéen, ainsi que de l’implication des pays des deux rives, nord et sud, dans un partenariat assurant la sécurité nécessaire à un développement socio-économique conjoint. Les pays du Sahel prennent également part à l’analyse et conditionnent le succès des stratégies sécuritaires au Maghreb et au sein de l’Union Européenne. Le papier revient sur des exemples de pays riches mais frappé ...
  • Authors
    Christopher S. Chivvis
    June 20, 2017
    The United States and Europe share a common interest in addressing the growing terrorist threats from North Africa. The emergence of ISIL as a force in the region — notably in Libya, but also in Egypt and to a lesser degree in Tunisia, Algeria, and Mali — is cause for genuine concern. The ISIL challenge is compounded by the persistence of older terrorist organizations, both local ones such as the region’s various Ansar al Sharias as well as al Qaeda in the Islamic Maghreb (AQIM), al ...
  • June 14, 2017
    The debate on defense is more relevant than ever in an evolving global context that is driven by the constant reconfiguration of geostrategic equilibriums and by the importance of the impacts of the economic and financial crisis on States’ budgets leading to pertinent questions such as: will defense policies be adapted to their future tasks? Will the military leaders’ strategists have sufficient means to effectively negotiate the adaptation process? In addition to the modernization ...