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Opinion
L’avenir de l’Inde a fait débat le 11 avril en présence de 110 personnes, lors des 5èmes Dialogues stratégiques, une rencontre biannuelle organisée à Paris par l’OCP Policy Center et le Centre HEC de géopolitique.
En 2050, l’Inde comptera 17 % de la population globale et aura le troisième PIB mondial. « Le ralentissement de la croissance en Chine n’occultera peut-être plus l’essor de cette grande démocratie », a noté Jacques Gravereau, président du HEC Eurasia Institute. Soulignant la rivalité avec la Chine, que l’Inde surpasse sur le plan de la croissance économique depuis 2014, il a rappelé qu’elles sont en concurrence en Afrique pour le landgrab notamment – avec un avantage certain de l’Inde - mais aussi pour le contrôle de l’Océan Indien, « une zone où les perspectives restent assez ouvertes, contrairement à la Mer de chine et le Pacifique, où se joue clairement un face-à-face entre la Chine, le Japon et les Etats-Unis», analyse Jacques Gravereau.
« On le sait, la Chine est l’atelier du monde. On le sait moins, l’Inde est le bureau du monde, avec ses cerveaux et sa dynamique d’ouverture axée sur les services », a rappelé pour sa part Fatallah Oualalou, ancien ministre marocain des Finances et ex-maire de Rabat, Senior Fellow de l’OCP Policy Center.
L’Inde n’en reste pas moins un pays en développement, pour l’instant peu fiscalisé (15 % du PIB contre 45 % en Europe) et classé à la 100ème place dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale, 22 rangs derrière la Chine.
La place de l’Inde sur l’échiquier mondial, entre ambitions et fragilités
L’Inde se préoccupe d’abord de ses relations avec ses voisins directs - à commencer par les pays qui font partie de « l’India Holy Land » pour les nationalistes hindous (Népal, Bhoutan, Bangladesh, Myanmar). « L’ambition est d’intégrer ces pays sur le plan économique et de contrer l’influence grandissante de la Chine, pour ne pas lui permettre de dominer l’Océan Indien, un axe majeur de la politique étrangère », a expliqué Ihssane Guennoun, Program Officer de l’OCP Policy Center.
Revenant sur les quatre années au pouvoir de Narendra Modi, Rodolphe Monet, chercheur au Centre HEC de géopolique, a souligné la personnalité de ce président atypique : hindou et célibataire, il a gravi tous les échelons de son parti avant d’être Chief Minister de l’Etat du Gujarat. Sa politique étrangère envers l’Afrique, les pays de l’Asean et les pays du Golfe suivent deux grands axes : « sécuriser l’approvisionnement énergétique et prendre soin de la diaspora indienne avec la construction d’un temple hindou aux Emirats Arabes Unis (EAU) par exemple ».
Pas moins de 12 % de la diaspora indienne totale se trouve en Afrique, avec 1,3 à 2,5 millions de personnes selon les estimations, incluant des natifs de ces pays qui se considèrent comme Ougandais, Kenyans, Tanzaniens ou Sud-Africains, même s’ils appartiennent à la troisième ou quatrième génération d’émigrés indiens. Cette diaspora africaine n’est pas prioritaire pour l’Inde, dont la coopération avec l’Afrique est axée sur l’agriculture, et passe par des lignes de crédit surtout accordées à des entreprises indiennes. L’Inde s’est engagée à financer 50 000 bourses d’étudiants africains entre 2016 et 2020, un sujet qui prête à plus de controverses que la présence indienne en Afrique, en raison des incidents racistes à l’encontre d’étudiants africains en Inde.
Quelle stratégie africaine pour l’Inde ?
Un sommet Inde-Afrique se tient – en principe – tous les trois ans depuis sa première édition de 2008 à New Delhi (un second s’est tenu en 2011, un troisième en 2015 et le prochain est prévu pour 2020). Les visites officielles se multiplient, plus nombreuses du côté de l’Afrique avec des dirigeants qui se rendent à Delhi, a souligné Ihssane Guennoun. Narendra Modi s’est d’abord rendu aux Seychelles et à Maurice, dans l’Océan Indien, avant d’aller en 2015 en Afrique du Sud, au Mozambique, au Kenya et en Ethiopie. L’Inde se positionne par ailleurs dans l’Asia-Africa Growth Corridor formé avec le Japon, en réponse à la « Route de la soie » chinoise.
« Le poids écrasant de la Chine empêche de voir la progression indienne, qui devient un élément structurant pour l’Afrique », a rappelé Jean-François Daguzan, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique. L’Inde se positionne sur le continent comme « grand coopérateur face à la “vilaine” Chine qui domine - ou telle est du moins la vision que l’Inde essaie de porter en Afrique, en tant que partenaire plus égal n’ayant pas le poids de pratique néo-coloniales ou de l’avidité supposée des Chinois ».
Moubarak Lo, conseiller spécial du Premier ministre du Sénégal et Senior Fellow de l’OCP Policy Center, a dressé un tableau complet et chiffré de la relation Inde-Afrique. Une relation essentiellement économique, même si « l’Inde cherche aussi à obtenir les soutiens de pays africains sur les grands dossiers internationaux, comme l’entrée de l’Inde au Conseil de sécurité des Nations unies ou le conflit indo-pakistanais au sein de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). » Volet moins connu de cet intérêt, mais néanmoins réel : le déploiement de forces militaires avec un projet de base militaire aux Seychelles, alors que la Chine envisage d’en ouvrir une seconde en Angola. L’Inde a par ailleurs vendu des frégates de surveillance maritime au Mozambique. Pas moins de 3500 militaires indiens sont présents en Afrique dans des opérations de maintien de la paix, tandis que de plus en plus de militaires africains fréquentent ses écoles de formation. « Mais c’est une tendance naissante. Au ministère indien des Affaires étrangères, les sous-directeurs qui s’occupent de la politique africaine ne sont pas forcément les meilleurs», a conclu Moubarak Lo.