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Opinion
Cinq ans et demi après l’intervention militaire internationale conduite par la France pour chasser les jihadistes du nord du Mali, l’ancien Soudan français s’apprête à organiser une élection présidentielle censée accélérer le processus de paix issu des accords inter-maliens négociés à Alger et signés à Bamako en juin 2015. « Un scrutin décisif”, soutient en marge de l’African Peace and Security Annual Conference (APSACO), organisé les 18 et 19 juin 2018 à Rabat au Maroc par l’OCP Policy Center, Mahamat Saleh Annadif, le chef de la mission onusienne au Mali (Minusma). Entretien.
C’était le 2 février 2013. Alors locataire de l’Elysée, François Hollande se rend à Tombouctou, symbole de l’occupation durant dix mois du nord du Mali par les groupes jihadistes qui viennent d’en être chassés par l’opération française Serval déclenchée 22 jours auparavant, pour célébrer “le plus beau jour de sa vie politique”. Quatre ans plus tard, le 12 janvier 2017, lors d’une escale à Gao, principale base malienne de l’opération Barkhane qui a pris le relais de Serval à partir de juillet 2014, le président français alors en route pour Bamako où il devait assister à son dernier sommet Afrique-France, prévu du 13 au 14 janvier, confiait à des journalistes qui l’accompagnaient “la joie” qu’il avait ressenti en 2013 en voyant “la France acclamée pour son action”. Devant ses pairs africains qui l’écoutaient le lendemain dans la capitale malienne, Hollande vantera encore l’action militaire française qui a permis au Mali “qui tremblait il y a quatre ans” de retrouver la stabilité. Moins dithyrambique, son successeur qui a réservé son premier voyage hors d’Europe aux militaires français stationnés dans le nord du Mali n’a pas pu s’empêcher de qualifier l’implication militaire française au Mali d’exemple « dont la France doit être fière ». Discours de circonstances ou affirmations sincères fondées sur une conviction profonde que le Mali a été, ou est en voie d’être, définitivement sauvé de la menace jihadiste?
Attaques jihadistes
Hollande et Macron auraient pourtant mieux fait d’être plus prudents. Excepté l’indéniable succès militaire qu’a été la “libération” des villes et villages du joug islamiste, l’intervention française, même épaulée par une importante mission onusienne, peine à permettre au Mali de retrouver la paix. Un objectif dont le chemin a pourtant largement été dessiné par un accord négocié à Alger en 2014 et signé à Bamako en 2015, par le gouvernement et la rébellion touarègue à l’origine de la crise déclenchée en 2012. La preuve? Au départ limités au seul septentrion du pays et impliquant essentiellement des activistes issus des communautés arabe ou touarègue, les attentats et attaques jihadistes s’étendent maintenant un peu partout dans le pays. Et ils sont aussi de plus en plus le fait d’éléments issus d’autres ethnies, y compris les Bambaras, majoritaires dans le pays mais surtout les Peuls, notamment de la région de Mopti, au centre. En raison d’exactions réelles ou supposées de la part des forces de l’ordre et des milices pro-gouvernementales, les Peuls voient de plus en plus une partie de leurs jeunes prendre les armes et rallier la cause jihadiste, élargissant ainsi les portions du territoire où l'Etat malien peine à exercer un contrôle effectif.
Présidentielle cruciale
C’est dans ce contexte que l’ancien Soudan français s’apprête à organiser une nouvelle élection présidentielle, le 29 juillet, où les deux finalistes de celle organisée à la faveur de l’intervention militaire française en 2013 pour rétablir l’ordre constitutionnel rompu après un coup d’Etat militaire perpétré dans la foulée de la rébellion de 2012, sont encore les favoris: Ibrahim Boubacar Keita, le président sortant, et Soumaila Cissé, maintes fois ministre par le passé et actuel chef de file de l’opposition.
Contrairement à l’élection de 2013 dont la tenue avait bénéficié d’un consensus presque unanime parmi la classe politique malienne, pressée alors de tourner la page d’une transition instable et étroitement surveillée par l’ex-junte qui avait renversé le président Amadou Toumani Touré après la débâcle de l’armée face aux rebelles touaregs dans le nord en 2012, les conditions d’organisation du scrutin du 29 juillet 2018 alimentent une vive polémique entre le pouvoir et l’opposition. Début juin, celle-ci a même provoqué des scènes de violence mettant aux prises les forces de l’ordre avec les partisans de l’opposition qui exigeaient “une élection transparente et un égal accès aux médias de l’Etat”. L’épisode a été si inquiétant que les principaux partenaires du pays avaient été obligés d’appeler “à la retenue”, à l’instar du patron de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma), Mahamat Saleh Annadif qui a d’ailleurs joué de tout son poids “pour éviter le pire”, selon ses propres mots.
“Le Mali est à un tournant. Il a franchi des étapes importantes ces dernières années mais il lui en reste d’autres à réussir. Il faut protéger les acquis jusqu’ici enregistrés par le pays depuis le retour à l’ordre constitutionnel et le lancement du processus de paix en 2013. Le Mali n’a pas besoin d’une nouvelle crise. Une rupture de confiance entre les acteurs politiques est dangereuse. Cette présidentielle est cruciale, puisqu’elle est censée permettre le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que la réconciliation nationale prônée par le processus de paix engagé avec les accords inter-maliens issus des négociations d’Alger et signés à Bamako en juin 2015. C’est pour cette raison qu’en tant que représentant des Nations-Unies, je fais tout pour que les partisans des différents candidats évitent de nouvelles tensions et favorisent des conditions apaisées pour l’organisation de ce scrutin que j’estime décisif pour l’avenir politique du Mali. Il faut éviter une nouvelle crise qui pourrait naître d’une élection contestée ou d’un président mal élu”, met en garde Mahamat Saleh Annadif, mardi 19 juin dernier en marge de la Conférence annuelle pour la paix et la sécurité en Afrique (Apsaco) organisée à Rabat, au Maroc, par l’OCP Policy Center.
Coup d’Etat
Á un mois du scrutin, et deux semaines environ du début de la campagne électorale, le calme qui semble régner désormais entre pouvoir et opposition signifie-t-il que l’avertissement a été suffisamment entendu? Si ses destinataires affichent une attitude qui réjouit le diplomate onusien, ce n’est pas le cas au sein d’une partie de l’opinion et des observateurs. Un officier supérieur de l'armée malienne, sous couvert d’anonymat, avoue ainsi redouter que la situation soit déjà si tendue qu’une hypothèse d’un nouveau coup d’Etat soit déjà en préparation. « Il pourrait venir non pas d’officiers subalternes mais de simples hommes de troupes et ce sera la catastrophe », craint le haut gradé en allusion au coup de force surprise déclenché dans la foulée de la défaite de l’armée face aux rebelles dans le nord en 2012 et commis par l’ex capitaine Amadou Haya Sanogo qui avait pris le pays en otage. « On ne peut rien exclure. C’est pour cela qu’il faut tout faire pour empêcher une crise pré ou post-électorale. Et j’espère que nous y parviendrons, défend le diplomate tchadien, surtout que les différends qui semblent opposer la classe politique malienne relèvent plus de querelles personnelles que politiques ou idéologiques. Ils se connaissent très bien et sont tous issus du même univers », insiste l’ancien « Monsieur Afrique de l’Union africaine » pour la Somalie.
Lors de l’élection présidentielle de 2013, en raison de l’insécurité et de l’absence des services de l’Etat dans une grande partie du nord du pays, le scrutin n’a pas pu se dérouler sur tout le territoire national. À la veille du vote, des voix s’étaient élevées pour demander son report en attendant la réunification du pays. « L’idéal serait que cette présidentielle se passe dans toutes les communes du pays. Mais ne soyons pas dupes. Il y a encore des bouts de territoire où il sera difficile de déployer les bureaux de votes et les observateurs. Mais cela ne doit pas être une raison pour reporter le vote, surtout que les zones concernées par la situation sont très faiblement peuplées. Les électeurs potentiels qui pourraient y être ne représentent qu’un très faible pourcentage parmi les millions de citoyens en état de voter. Il ne faut pas pénaliser l’écrasante majorité des Maliens qui tiennent à choisir leur futur président », justifie le patron de la Minusma dont les services sont fortement mobilisés pour l’organisation de l’élection. « Nous avons déjà envoyé tout le matériel de vote nécessaire et participé à la formation des agents chargés d’organiser et superviser l’élection. En partenariat avec nos différents partenaires, comme la force militaire française Barkhane, les forces armées et de sécurité maliennes et les groupes armés signataires des accords de paix, nous avons aussi pris toutes les dispositions pour assurer la sécurité des électeurs et des bureaux de vote », affirme le diplomate onusien.
G5 Sahel
Forte de près de 150 00 hommes, dont environ 11 000 militaires, 1700 policiers et 1180 civiles, la Minusma est l’une des plus importantes missions onusiennes actuellement déployées dans le monde. Elle est surtout la plus meurtrière. Mise en place le 1 juillet 2013, date de son installation en remplacement de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma), la Minusma a perdu à ce jour près de 160 hommes sur le terrain. « Je perds des hommes presque tous les jours. Il faut que les Maliens nous aident à accomplir notre mission. Non seulement, ils doivent nous aider en élisant un président dans des conditions acceptées par tous, mais aussi et surtout en accélérant l’application des accords de paix qu’ils ont signés. La Minusma n’a pas vocation à rester éternellement au Mali. Elle doit même se préparer à quitter le pays dans un délai qui ne dépasserait pas deux ou trois ans”, insiste le Tchadien.
Quid de la force conjointe du G5 Sahel, qui avec ses 5000 soldats mauritaniens, maliens, nigériens, burkinabés et tchadiens est censée suppléer, puis succéder à terme à la force française Barkhane pour sécuriser une zone vaste comme deux fois l’Europe? “L’idée est très bonne. Mais elle a, hélas, un défaut qui risque de compromettre ses chances de réussite. Elle est censée être essentiellement financée par des puissances ou organismes étrangers. Cette dépendance de l’extérieur risque de la paralyser. Il faut donc que les pays concernés trouvent les moyens de s’autofinancer et de travailler de manière autonome par rapport à leurs partenaires étrangers. Ils peuvent par exemple mettre en place des mécanismes de coopération entre eux en matière d’échange de renseignements, d’appui logistique et de surveillance des frontières. Un commandement unique n’est pas nécessaire. Une présence dans le territoire malien non plus. Cela risque de compliquer la mission de cette force”, analyse Annadif.
Que pense-t-il de l’idée d’entamer des négociations avec les jihadistes, ou certains d’entre eux, comme le suggèrent de plus en plus certains hommes politiques maliens et observateurs étrangers? “Les Etats-Unis ont fait la guerre aux Talibans en Afghanistan et ils ont discuté avec eux plus tard. Le gouvernement algérien a lutté contre les islamistes armés et il a entamé la même démarche pour obtenir la reddition de certains d’entre eux. Pourquoi pas le Mali? Quitte à fixer des conditions préalables, je pense que les Maliens ont le droit de discuter avec leurs jihadistes. Mais c’est à deux de décider de le faire ou pas. La paix ne peut pas se bâtir uniquement sur des discussions entre diplomates à New York, Paris ou ailleurs. Elle doit se construire à partir des réalités locales”, conclut le Chef de la Minusma.