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Opinion
Le monde a connu deux guerres mondiales et se trouve, aujourd’hui, au bord d’une « seconde guerre froide mondiale ». Il n’y aurait certainement pas un certain Winston Churchill pour prononcer un grand discours à Westminster College de Fulton[1]annonçant qu’un rideau de fer est descendu sur le monde ; ni un certain Andreï Jdanov, troisième secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique, pour lui rétorquer, depuis la Pologne, que le monde de l'après-guerre est divisé en deux camps principaux: « le camp impérialiste et antidémocratique, le camp anti-impérialiste et démocratique ».[2] Mais une chose est sûre : les fractures des plaques géopolitiques sino-américaines atteignent, ces derniers temps, une amplitude dangereuse qui risque fort de propulser le monde dans une « seconde guerre froide mondiale».
Il serait fort erroné d’imputer la dégradation des relations entre les Etats-Unis et la Chine à la pandémie de Coronavirus. Celle-ci agit, plutôt, comme un élément révélateur et un facteur accélérateur. Elément Révélateur, d’abord, en ce sens que la pandémie dévoile au grand jour les tensions géopolitiques existentielles entre l’Amérique de l’Oncle Sam et l’Empire du milieu. Facteur accélérateur, ensuite, dans la mesure où, par sa dynamique propre et ses conséquences planétaires, la pandémie accentue les contradictions profondes entre les deux puissances et les enferme dans une spirale de tensions et de provocations.
Etats-Unis/ Chine : l’inévitable piège de Thucydide
Ainsi, bien avant la pandémie, une sorte de consensus s’est formé chez l’élite politique étasunienne au sujet de la « menace stratégique » que fait peser sur le leadership américain la montée en puissance fulgurante de la Chine. De l’autre côté, la Chine ne semblait plus être en mesure de cacher ses forces ou de prendre son temps. Une sorte de piège de Thucydide[3] a fini par avoir raison des relations entre les deux mastodontes de l’arène mondiale.
Tout bien considéré, la suprématie sur le système international, monté en toutes pièces par les Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et contesté vainement pendant presque un demi-siècle par l’Union soviétique, paraît aujourd’hui sérieusement menacée par ce rival stratégique global qui est la Chine. En effet, dans presque tous les domaines, la Chine a réalisé, cette dernière décennie, un rattrapage stratégique accéléré de la première puissance mondiale. Ceci concerne aussi bien les échanges commerciaux internationaux que la technologie (cinq) 5G, l’intelligence artificielle ou encore la puissance navale. Un rapport du service de la recherche du Congrès américain du 2 octobre 2019, assure que la marine chinoise pose aujourd’hui « un défi majeur à la capacité de la marine américaine à accomplir et à maintenir le contrôle maritime dans l’Océan pacifique ». Au vu de ces éléments, il importe d’inscrire les tensions qui traversent aujourd’hui les relations sino-américaines dans le temps long, plutôt que de les considérer comme le résultat de facteur conjoncturel ou de calcul électoral.
Europe-Afrique : l’indispensable force d’équilibre
Face à cette « seconde guerre froide mondiale » qui se profile, les décideurs stratégiques gagneraient à se poser trois questions essentielles pour l’avenir de leurs intérêts nationaux : Primo, quel serait le terrain de bataille de cette « seconde guerre froide mondiale » ? Certainement, pas l’idéologie. Secundo, quels seraient les moyens d’action des deux forces en compétition ? Certainement, pas essentiellement des éléments d’ordre militaire. Tertio, quelle serait la composition des blocs Alliés/Satellites des deux protagonistes ? Le choix des Etats ne serait de toute évidence pas aussi aisé comme par le passé, y compris pour les plus proches alliés de la « première Guerre froide mondiale ».
Quoiqu’il en soit des réponses à apporter aux trois questions susmentionnées, l’impact d’une « seconde guerre froide mondiale » serait lourd sur un système multilatéral déjà au seuil de la déconfiture. C’est pourquoi il est vital que des voies médianes naissent et prennent de la place dans le débat stratégique international aujourd’hui, réduit, hélas, en une table de ping-pong autour de laquelle s’affrontent Américain et Chinois. La voix d’une Europe consciente de ses forces technologiques, équitablement partenaire d’une Afrique dynamique et intelligemment fédératrice d’un espace méditerranéen, berceau de la civilisation, pourrait avoir un retentissement positif. Il s’agit pour l’Europe et l’Afrique d’œuvrer en faveur de l’émergence au niveau mondial d’un leadership collectif, inclusif et constructif. Un leadership dont les moyens d’action ne seraient ni le Hard power, ni le Soft power, ni le Smart power mais un Human-power[4]. L’enjeu est, d’une part, d’éviter au monde les dégâts d’une nouvelle guerre dite-froide et, d’autre part, de concentrer les ressources et les énergies pour faire face aux défis globaux qui se dessinent dans les horizons guère lointains, et dont le Coronavirus et le changement climatique constituent des exemples non exhaustifs.
[1] Le Discours de Fulton a été prononcé le 05 mars 1946 par Winston Churchill dans l’Etat de Missouri (Etats-Unis) en présence du Président américain H. Truman.
[2] Voir le Rapport Jdanov présenté lors de la conférence fondatrice du Kominform qui s’est tenue en Pologne le 22 septembre 1947.
[3]Le concept, formulé par Graham T. Allison, décrit une situation qui voit une puissance dominante entrer en guerre avec une puissance montante poussée par la crainte que suscite chez la première l’émergence de la seconde.
[4] Voir notre Policy Brief « Coronavirus, risque global et ordre mondial », Policy Center for The New South, 14 avril 2020, (https://www.policycenter.ma/publications/coronavirus-risque-global-et-ordre-mondial).