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Opinion
À l’heure actuelle, l’humanité baigne dans une crise profonde dont la portée est universelle. Le constat est sans appel : la pandémie Covid-19 a enclenché une panique immense impliquant l’ordre social, les structures économiques et politiques, pour ne citer que ces aspects. S’agissant du volet politique, il est évident que les incidences de cette pandémie traversent aisément les frontières. En ce sens, une question se pose immanquablement : quel est l’impact de la crise sanitaire sur l’avenir des relations internationales ?
Répondre à ce questionnement est plus complexe qu’il n’y apparaît. Nous sommes en présence d’une réalité plus problématique qu’on pourrait le croire à première vue. Conséquemment, le recours à une grille conceptuelle interprétative pourrait apporter un éclairage lucide, car sans un bagage conceptuel, l’observateur est soumis à un « fouillis sensible » ou au « chaos de la réalité », pour reprendre l’expression kantienne. Ceci étant, la mobilisation d’une batterie de concepts, tels que la souveraineté de l’État, l’équilibre des puissances et le piège de Thucydide, est très utile dans l’optique de décrypter une réalité étant à la jonction du politique, de l’économique, du social, etc. Mais, dans cette perspective, qui est ici la nôtre, l’accent sera porté sur l’impact de la Covid-19 sur les dynamiques pouvant, à terme, façonner les arrangements structurels du pouvoir qui sous-tendent le système international post-Covid-19. Une telle posture intellectuelle révèle, au-delà de l’immédiateté de la crise, les dynamiques à l’œuvre à travers le globe.
Livrer une lecture sur les contours du monde de demain se heurte à des obstacles méthodologiques a fortiori que l’objet d’analyse en question s’inscrit dans une perspective ex ante, en ce sens que les implications de cette crise planétaire sur la structure du système international sont en cours de production et en constante mutation. Face à ce manque d’assurances analytiques que nous procurent habituellement les analyses ex post, l’issue qui se dessine à l’horizon est d’anticiper un futur probable sous forme de scénarios.
La Covid-19 au prisme de la mondialisation néolibérale
Dans la foulée de la Covid-19, ce qui est arrivé paraît assez clair. Nous avons pu constater un retour du balancier, du moins temporairement, vers le paradigme westphalien. En effet, depuis le Grand krash de 1929, les relations internationales, à bien des égards, s’apparentent à une dialectique opposant une conception marchande et mondialisée du monde à une autre, qui prône la conservation des acquis du modèle État-nation. Sans conteste, la montée fulgurante de la mondialisation libérale, au cours des années 1980, a entrainé une remise en cause du modèle État-nation et les principes y afférents, à savoir la souveraineté de d’État, l’intérêt national, la territorialité, etc. Mais, dans le contexte de la pandémie Covid-19, les vertus des prémisses néolibérales, qui sont les prescriptions politiques de la mondialisation, ont été éclipsées par l’émergence de l’État comme joueur principal qui détient le monopole du leadership au niveau national et international.
Toujours est-il que les États sont devenus les lieux privilégiés pour les populations au moment où des organismes supranationaux restaient, à la limite, passifs. À titre d’exemple, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) s’est montrée impuissante, notamment en termes de ressources sur le terrain. Dans le contexte actuel, il semble bel et bien que les mécanismes de l’État-nation ont désamorcé jusqu’à un certain point le processus de la mondialisation. Il n’en reste pas moins qu’une telle pandémie ne constitue qu’une seule variable qui tente de déconstruire l’organisation économique mondiale instaurée par l’ordre libéral. De fait, une myriade de facteurs pèsent lourdement sur l’équation, ne serait-ce que la montée du populisme. L'arrivée au pouvoir de dirigeants populistes aux États-Unis, en Europe et au Brésil, en est une belle illustration. Cela posé, plusieurs scénarios se profilent à l’horizon.
Partant du postulat que la mondialisation est un phénomène inévitable et irréversible. En l’occurrence, à l’instar des crises précédentes, la Covid-19 serait en ce sens soluble dans la mondialisation. En d’autres termes, en dépit de l’ampleur des crises, les diktats du néolibéralisme continuent à être les aspects les plus structurants des rapports internationaux. Les attentats du 11 septembre 2001 en sont un exemple. Certes, les attentats ont entrainé une sécuritisation éminente, mais pas au point d’empêcher la marée montante d’individus qui traversent les frontières.
À bien y regarder, malgré le verrouillage des frontières causé par une quelconque crise, le flux migratoire ̶ moteur clé de la mondialisation ̶ ne cesse d’augmenter. Il reste à savoir si les États réussiront-ils à concilier entre la prospérité économique et les impératifs de sécurité nationale liés à la pandémie. Cela nécessite à la fois une lecture lucide de l’histoire et un regard perspicace sur les défis qui se présentent aux sociétés humaines. En bout de piste, la mondialisation demeure l’ordre ultime des temps post-modernes et quasiment la seule forme d’organisation sociale et économique, mais une mondialisation combinée à un retour de l’activisme de l’État.
Un nouvel ordre mondial en gestation
Repenser l’ordre mondial à la lumière des ravages de la Covid-19 pourrait être fait, à notre sens, sous le prisme de la rivalité sino-américaine. Force est de rappeler que le « nouvel » ordre mondial qui pourrait se profiler est tributaire des structures préexistantes : un monde uni-multipolaire dans lequel Les États-Unis sont contraints de composer avec les puissances émergentes, surtout la Chine. À vrai dire, une absence latente du leadership américain et une Amérique en perte de vitesse, combinées à la montée en puissance de la Chine (mais pas solidement ancrée), constituent les marqueurs les plus structurants de l’ordre mondial actuel. Cela crée un vide en termes de puissance esquissant un système international dépourvu d’un réel mécanisme fonctionnel de gouvernance, ce qu’Ian Bremer a nommé le « G-0 ».
Dans un tel contexte, la Covid-19 agit comme accélérateur de l’histoire, précisément amplificateur des tendances préexistantes, en déplaçant le conflit sino-américain dans une situation dans laquelle se trouvent les États-Unis (une puissance bien établie), face à l’émergence de la Chine (une nouvelle puissance rivale), ce que Graham Allison a baptisé « le piège de Thucydide ». Dans cette optique, le conflit sino-américain, perçu par la lorgnette du « piège de Thucydide », pourrait précipiter les deux puissances de l’arène mondiale dans une spirale dangereuse dont les répercussions seraient effroyables.
Pour dire les choses de façon schématique, l’allure de l’ordre mondial de demain dépend hypothétiquement de deux scénarios. Le premier, renvoie à la disposition des États-Unis d’accepter de négocier un New Deal politique avec la Chine ou, du moins, l’endiguer en douceur. Le deuxième, amènerait les protagonistes au bord d’une 2ème guerre froide si l’administration Trump persiste à refuser de voir son statut remis en question par Pékin. D’autant plus que la Chine s’empresse de combler le vide laissé par les États-Unis sur la scène internationale. En ce sens, la menace générée par l’ascension de la Chine rendrait ainsi une nouvelle guerre froide presque inévitable.
** Moulay Omar Mharzi est doctorant en science politique à l’université d’Ottawa (Canada) où il a occupé le poste d’assistant d’enseignement. Ses recherches portent principalement sur les enjeux migratoires ainsi que sur la participation politique. Il s’intéresse au régime politique canadien. Il a publié de nombreux articles sur ces sujets dont :
- -- Mharzi, Moulay Omar (2019), « L’impact économique de l’immigration au Canada », Revue africaine de la migration internationale, Vol. 1, N° 2.
- -- Mharzi, Moulay Omar (2011), « Festival des traditions du monde », chroniqueurs culturels, Université de Sherbrooke (Canada).