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Opinion
Albert Camus, prix Nobel de littérature (1957), disait dans son discours à l’occasion de la réception qui lui était dédiée :
"Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse"
La tâche des jeunes générations, présentes ou futures, consiste à faire tout ce qui est possible pour éviter le chaos ; il est pour demain !! Sans jouer les Cassandre, cette situation relève d’une réalité plus que probable.
La réflexion doit se focaliser, entre autres, autour des préoccupations suivantes : (approche sous l'angle de la géopolitique mondiale)
Dire que la situation du monde ne serait plus comme avant le Coronavirus est une lapalissade.
D’aucuns, plus pessimistes, diront, amnésie aidant, le monde va retrouver ses excès et ses dérives ; d’autres, plus optimistes, soutiendront que le passage du Coronavirus va mettre fin à la mondialisation ou, au moins, sonnera le début de la fin.
Ni l’une ni l’autre ! du moins provisoirement, le monde s’articulera autour d’une coexistence d’une mondialisation plus ou moins régulée, avec un Etat-nation moins centralisé, des régions intégrées au-delà des frontières et, surtout, l’organisation des activités humaines dans le cadre de blocs régionaux pour limiter la dépendance au niveau des produits stratégiques.
D’ores et déjà, et ce quelle que soit l’attitude des Etats et la prédisposition des décideurs sur l’après confinement, il y a des souverainetés à préserver d’une manière impérative : on peut en citer quatre au niveau de chaque Etat ou groupes d’Etats : Se nourrir, s’éduquer, se soigner et se défendre.
Néanmoins, tous les Etats ou groupes d’Etats n’ont pas, partout, les mêmes moyens, les mêmes opportunités et les mêmes capacités pour opérer les changements nécessaires, et cela même si une conscience universelle est réalisée.
Sauf, si une nouvelle conception du monde, de son organisation, de la solidarité entre ses composantes est adoptée …
Comment ?
Si la mondialisation n’est pas remise en question, pour assurer ces 4 souverainetés, et comme il est impossible de le réaliser au niveau de l’Etat-nation, il importe de réfléchir sur les modalités de sa réalisation au niveau de groupements régionaux.
Une nouvelle organisation du monde
1. Au niveau individuel, du groupe et de la nation, l'individualisme est censé s'émousser et la solidarité gagner en profondeur...
2. La notion de l'unicité de l'humain et de son destin commun doivent interpeller l'insouciance d’avant …
3. L'organisation du monde sur tous les plans doit être repensée dans le sens de moins de mondialisation, plus d'Etat-nation et, surtout, la réhabilitation de l'Etat providence.
Et moins d'idéologie productiviste, ultra libérale, initiée depuis le début des années 80 (Margaret Thatcher et Ronald Reagan) ; l'ère du monde fini a déjà commencé, suivant la phrase de Paul Valéry (1930…).
* L'idée de la gestion commune du monde s'impose plus que jamais, tout en évitant la formule de Jacques Attali d’un gouvernement mondial dont la finalité n’est pas au-dessus de tout soupçon.
* Les rapports entre les Etats doivent connaître plus de coopération et moins de confrontation (Gorbatchev dès 1986 : la fameuse maison commune).
* L'organisation du monde en plusieurs puissances mondiales, avec coexistence de puissances régionales chargées concomitamment d'assurer la sécurité et la coopération dans leurs régions respectives…
* Un monde à la Georges Orwell (sous sa forme chinoise ou nord-coréenne) doit faire l’objet d’un débat (entre efficacité des régimes autoritaires et la fragilité des régimes démocratiques face aux crises) et céder, peut-être, le pas à un monde où la confiance et la sérénité doivent prévaloir.
Le temps de réflexion
*Le temps de réflexion est venu pour penser le destin de l'homme en dehors de l'idée du progrès, du moins tel qu’il est conçu et perçu présentement, en rapport avec la Modernité contemporaine.
En dehors de l'idéologie productiviste…
En dehors de la compétition internationale effrénée et sans limites.
A toute chose malheur est bon !
Si la crise peut avoir une vertu, c’est celle de permettre à la planète une certaine pause.
Ce que le GIEC (Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat,) et les écologistes n’ont pas pu imposer aux décideurs politiques, économiques et financiers, la crise liée à cette pandémie est en train, en partie, de le réaliser.
Apparemment, l’air de la ville de Wuhan commence à être respirable ; et l’eau des canaux de Venise est, semble-t-il, plus transparente !! Déjà !!
Toutefois, la crise ne fait que commencer. L’effondrement des bourses, du prix du pétrole, sur un fond de guerre entre les puissances, entre autres signaux, plus ou moins graves … ne sont que la partie visible de l'iceberg.
Une nouvelle organisation du monde doit être envisagée et de nouveaux modes de production et de répartition des richesses doivent être recherchés et appliqués.
Ce n’est pas un luxe mais un choix incontournable et, peut-être, salvateur.
Le choix entre l’extinction de l’humain et sa survie est désormais posé.
Ça peut paraître anxiogène et excessif, mais le chaos est là.
Les membres du club de Rome l’avaient prédit il y a de cela 50 ans ; ils étaient pris pour des farfelus. La réalité du monde aujourd’hui leur donne raison.
Le temps de la sagesse de l'homme est désormais venu. Ce n'est pas une utopie mais une nécessité impérative.
Le philosophe français d’origine roumaine, Emil Cioran, disait : "un monde sans utopie devient à la longue irrespirable"
En guise de synthèse
Une lapalissade : l’organisation du monde ne sera plus comme avant.
Ce que cette pandémie pose comme défis et ce qu'on peut tirer comme leçons, à la lumière de ce qui précède :
1. Différence d'efficacité face au virus, qu’on soit dans un pays démocratique ou autoritaire ; le choix est cornélien !!
Un peuple habitué à la pratique" démocratique" n'est pas préparé pour se priver facilement de ses libertés.
2. Le mode économique de production et de distribution des richesses doit être totalement revu.
Une remise en cause de la mondialisation est plus qu'impérative, voire salutaire.
Les politiques, les décideurs économiques et financiers vont-ils se convaincre de cette nécessité?
Il y a fort à parier que l'amnésie soit, après la fin de la pandémie, de mise.
Ils oublient que les réserves stratégiques en équipements sanitaires (masques et appareils respiratoires, en molécules disponibles..) sont aussi importantes que celles en pétrole ou autres ressources.
L'Europe et le monde découvrent qu'ils dépendent, tous, de la Chine.
La souveraineté économique ou souveraineté tout court est en cause...
3. La remise en cause de la mondialisation suppose un début de relocalisation et de réindustrialisassions ; une économie circulaire, écologique, solidaire, coopérative (SICOP) et de proximité, doit être réhabilitée...
4. L’organisation du monde par groupes régionaux doit être adoptée, étant entendu qu’aucun Etat ne peut se suffire à lui seul, sauf les Etats continents et encore...
5. La solidarité entre les peuples et les Etats, dans des moments de crise planétaire, est un impératif catégorique.
L'Italie a plus trouvé du soutien chez les Chinois, les Russes et les Cubains que parmi ses partenaires européens !!!
6. La configuration géopolitique mondiale va complètement être chamboulée. Les signaux relevés depuis, au moins 2003, se précisent ; L’EUROPE S’EFFRITE, L’AMERIQUE PATAUGE ET L’ASIE S’AFFIRME.
L’Alliance atlantique connaîtra un certain effritement pour ne pas dire plus ; ça a déjà commencé en 2003 par le refus de l’Europe (sauf le Royaume-Uni, l’Espagne d’Aznar) de s’aligner sur les USA ; ça s’est manifesté, encore une fois, à l’occasion du retrait américain de l’accord nucléaire avec l’Iran.
L’absence de solidarité avec l’Italie et l’engagement chinois, russe et cubain …auprès de Rome (Il est vrai que les Allemands et, surtout, les Français, se trouvaient dans la même galère avec des degrés différents), va interpeller tous les dirigeants européens ; en effet, cet épisode va laisser des traces indélébiles.
L’Europe sera obligée de s’organiser (en dehors de l’Alliance qui est en fait une véritable tutelle américaine sur le continent) ou de périr.
Contrairement à l’Alliance atlantique, le regroupement asiatique (surtout entre Chinois, Russes et Iraniens…) va sortir consolidé avec tout le processus entamé depuis plus de 10 ans entre eux et d’autres sur le $, les institutions financières, bancaires, monétaires, alternatives au système de Bretton Woods …
7. Sur les critères de puissance : le développement global et les moyens militaires ne suffisent plus pour assurer la souveraineté et la sécurité d’une puissance, s’ils ne sont pas confortés par une AUTOSUFFISANCE DANS LES PRODUITS STRATÉGIQUES (l’équipement sanitaire est apparu plus déterminant que des missiles ou des blindés et autres ..). La relocalisation et une nouvelle économie de proximité, solidaire, circulaire et écologique vont surement s’imposer aux décideurs après la crise.
8. A la suite de chaque cataclysme géopolitique mondial, il y a nécessité de construire un ordre international nouveau.
Ça a été le cas après 1945 et 1989.
Avant, c'était un monde des vainqueurs pour les deux situations.
Aujourd'hui, il faut le faire ensemble ; l’idée de la coexistence des puissances
régionales et internationales est une piste et un gage de garantie devant éviter la domination des puissants.
9. La coopération internationale doit être effective et non pas seulement comme un slogan qu'on agite dans tous les forums internationaux, et ce pour pouvoir affronter efficacement des situations de crise, comme celle que nous vivons actuellement. Désormais, tout est mondial ! En attendant une "démondialisation "
10. La culture de la paix et de la tolérance doit s'installer ; ce n'est pas pour sacrifier à une mode mais elle doit relever des conditions fondamentales et incontournables de vie collective des peuples et des États dans un monde difficile et complexe.
Tout cela suppose une nouvelle vision et conception au niveau global et conduisant à une nouvelle organisation du monde.
C’est plus facile à dire qu’à faire ; il n’empêche qu’il s’agit là d’une condition sine qua non pour éviter le chaos.